Le fait d’avoir toujours interprété la figure d’Adam uniquement de manière masculine a été désastreux pour les femmes.
A. Wenin, bibliste catholique, traduit Adam par : « l’humain » et cela permet une toute autre lecture qui n’est plus discriminatoire pour les femmes.
Humain, c’est actuellement, dans la langue française, ce que nous avons trouvé de mieux pour inclure féminin et masculin dans un même mot.
Si on adopte cette traduction pour Gn 2-3, cela permet, de décrire l’homme et la femme comme formé-es de la glèbe, recevant une haleine de vie, posé-es dans le jardin, entendant ensemble la parole d’ouverture à tous les arbres et celle de l’interdiction de l’arbre à connaître le bien et le mal.
Si nous suivons la lecture inclusive d’A.Wenin, le verset 18 du chapitre 2 peut cependant nous arrêter et rendre difficile l’inclusion du féminin et du masculin dans cet-te Adam
Même si on traduit par : "Le Seigneur dit: il n’est pas bon que l’humain soit seul", on peut se demander qui était-il cet humain seul ? La réponse de l’auteur est de considérer Adam comme l’Humain dont l’être n’est pas encore différencié sexuellement.
L’interpréter ainsi (et non comme un Adam masculin) comporte un enjeu important. Parce que Dieu s’adresse à lui-elle, fait de lui-elle un-e interlocuteur-trice, lui donne un pouvoir de nomination. Dieu l’associe donc à son pouvoir. En donnant un nom, il-elle en devient maître-maîtresse.
Si Adam est toujours cet-te humain indifférencié-e sexuellement, ce pouvoir est celui des deux sexes.
Si c’est l’Adam uniquement masculin, une lecture fondamentaliste s'est servie et se sert encore de lui, pour introduire une image du masculin différente du féminin, dans le sens d’un pouvoir de gouvernement qui n’est donné qu’à l’Adam masculin.
C'est en tout cas une lecture non avertie des exigences critiques d'une éthique de l'égalité homme-femme. Cette interprétation a prévalu pendant des siècles au point d’oublier ou d’occulter l’Adam mâle et femelle de Gn 1.
Telle n’est pas l’interprétation que suggère la traduction d’ A.Wenin.
« Dans le récit, il n’est ni homme ni femme. Ou les deux à la fois. Mais pour le Seigneur Dieu, un tel isolement n’est pas bon. C’est la relation qui fait vivre. »
Très beau commentaire qui dit bien l’enjeu et le bienfait de cette différenciation voulue par Dieu et qu’il va opérer. La suite de son commentaire est encore plus novatrice :
« La torpeur fait perdre connaissance à l’humain. C’est la manière de dire que ce qui constitue un être dans sa singularité échappe forcément…Dieu prend un côté de l’humain puis ferme la chair à sa place. Cette opération signifie que seul un manque, une perte ouvre un être à l’altérité et qu’une relation authentique n’est possible que si le moi accepte d’être blessé, altéré. »
Dans une Bible traduite et commentée comme cela, nous pourrions avoir comme titre à partir du v.27 : « Le premier péché ». Il aurait pour premier auteur l’Adam masculin.
En effet ce qui est dit au v.23, à côté de son aspect positif, peut être questionné. Ce n’est pas une parole de dialogue, Adam ne dit pas : « Tu es os de mes os et chair de ma chair ». Il se parle à lui-même. La communication commence mal ! « Il en fait l’objet de son discours ». dit A.Wénin. Mais peut-être encore plus grave, il se donne comme l’origine de « issah » : « Car de ys a été prise celle –ci ». Il croit qu’elle vient de lui.
Cette déclaration se veut parole de savoir. Il croit savoir comment cela s’est passé et qu’elle vient de lui alors que le texte nous a bien dit que c’est Dieu qui est l’auteur de cette différenciation, que l’humain féminin comme l’humain masculin a été tiré comme lui de l’humain par séparation : lui, un côté, elle l’autre. Il croit savoir alors qu’il ignore tout puisque tout s’est passé dans un sommeil.
Quelle aurait dû être la parole juste ? Peut-être interroger Dieu sur ce qui vient de se passer, sur le mystère accompli, et s’adresser à cette autre maintenant devant lui ?
Au contraire, poursuit A.Wénin :
« On le voit ainsi reprendre connaissance en gommant ce qu’il ignore, à savoir l’action divine qui a fait de la femme un être singulier, différent de lui. On le voit aussi prendre sur elle un pouvoir que Dieu avait donné à l’humain sur les animaux, le pouvoir de nommer. »
Si cette remarque est juste, elle devient un bon exemple de la manière dont une lecture biblique est toujours voilée par des présupposés. On va pointer le péché de la femme en Gn 3/6 et ne pas remarquer cet autre peut-être encore plus grave et qui n’a pas même besoin d’un tentateur extérieur !
Premier péché donc mais qui est aussi celui de la femme. Celui-là aussi a été voilé et combien il est nécessaire qu’il soit dévoilé. Le péché, ici, au féminin, est le silence. Elle ne dit rien, se laisse dire. Se laisse prendre dans ce refus d’une vraie altérité, au profit du même. Elle se laisse nommer par un autre. Ce mutisme est autant refus de dialogue que le « parler à soi même » de l’humain masculin. Il dit un péché de soumission à l’injustice dont on est victime et donc une possible complicité avec son propre malheur. La femme ici le commet : par son silence elle accrédite la parole qui fait d’elle un objet dont on parle, au lieu d’être sujet parlant.
Le texte même à partir du verset 25 à l’air d’entériner cette situation. En effet pour parler de l’humain masculin, le texte va simplement dire l’humain (l’Adam ou le Glébeux, ou l’homme selon les traductions). Comme si le masculin était simplement l’humain à lui tout seul. Simplement et c’est bien là la faute. Au lieu d’accueillir l’altérité comme un don, le manque comme l’espace d’une vraie rencontre, l’Adam masculin va se vivre comme le sexe premier, parfait, exemplaire et le féminin comme dérivé de lui.
Ceci est au fondement de toute l’anthropologie classique discriminante qui va s’élaborer à partir d’une interprétation de l’Adam au masculin et qui sévit encore maintenant dans les esprits et les pratiques ecclésiales.
Les citations sont tirées de l’article suivant :
A.WENIN, « Une rencontre manquée », Croire aujourd’hui, n°159 du 1er septembre 2003
A.WENIN a développé davantage cette perspective dans :
D’Adam à Abraham, ou les errances de l’humain, Cerf février 2007