Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 juin 2018 4 21 /06 /juin /2018 11:53
Lire la Bible selon Juan Luis Segundo ( 3ème partie)

Dans l’article précédent nous en étions restées à l’affirmation du Concile de Vatican II dans la constitution Dei Verbum: l’Ancien Testament comporte des choses provisoires et imparfaites.

Et avec la question : Ceci ne concerne-il que l’Ancien Testament ?

Cela veut-il dire que le Nouveau en est exempt ?

 

Si nous répondons par l’affirmative, cela veut dire que Dieu aurait changé de méthode nous dit Segundo. Nous n’aurions plus avec le Nouveau Testament une pédagogie mais des informations parfaites, invariables mettant fin au processus de recherche pourtant inhérent à l’expérience humaine. Parce qu’avec Jésus nous aurions un accès à la révélation immédiat et personnel de la vérité, que pourrait-il y avoir de nouveau, après lui, qui justifierais encore une recherche ? [1]

 

Face à cette question, deux conceptions s’opposent.

La première dit oui, il n’y a plus rien à chercher, il y a seulement à conserver et à propager la vérité possédée, seulement à mieux l’expliquer, à en donner des définitions plus précises. L’incarnation, dans cette conception est conçue comme fin effective de l’histoire.[2]

 

La deuxième dit non, et c’est l’option de Segundo, pour deux raisons. D’abord l’incarnation ne fait pas interrompre le processus qui pousse l’homme à chercher. Ensuite comment la plus haute auto-communication de Dieu qu’est le Christ nous ferait cesser de penser, nous ferait abandonner notre aventure créatrice en quête de vérité ? Cette recherche de la vérité fait partie de la maturité dont nous parle Paul. Les hommes de la maturité sont des héritiers capables de construire du neuf, d’avoir des projets de liberté. Pour cela la réalité histoire ne doit pas être parvenue à son terme. Il y a donc dans la manière de recevoir le Nouveau Testament une façon d’avancer aussi, à travers et grâce à des crises, vers des données encore inconnues.

Ce processus vers la vérité qui continue après Jésus peut s’appuyer sur Jn16/7 :

« Il vaut mieux pour vous que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous »

et sur Jn 16/12-13 :

« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, l’esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité toute entière ; car il ne parlera pas de lui-même ; mais tout ce qu’il entendra, il le dira, et il vous annoncera les choses à venir. »

 

La Vérité incarnée qu’est le Christ continue de se dire après sa manifestation historique. Elle ne s’arrête pas à cette manifestation historique. Segundo cite pour cela St Augustin qui commente ces versets de Jean en écrivant : « Même le Seigneur en personne, en tant qu’il a daigné être notre chemin, n’a pas voulu nous retenir mais passer »[3]

La vérité qu’est le Christ nous met en chemin vers la vérité. La pédagogie divine continue donc tout au long de l’histoire humaine avec l’Esprit Saint pour guide dans sa fonction éducatrice.

Le Christ n’a pas voulu nous retenir mais passer. Il est donc passé dans cette culture qui aujourd’hui n’est plus la nôtre. La manière dont le Nouveau Testament en rend témoignage relève donc, comme pour l’Ancien Testament, de la faiblesse humaine qui produit de l’imparfait et du provisoire (Dei Verbum 15). Mais loin de s’en désoler, il nous faut l’accueillir comme une marque du sérieux de l’incarnation de la vérité dans le temps.

 

Cette fonction éducatrice et créatrice de l’Esprit Saint, se découvre déjà à l’intérieur même du Nouveau Testament par la variété des langages de la foi. La reconnaissance de cette pluralité a d’importantes conséquences. Si cette pluralité existe dans le Nouveau Testament, cela légitime la pluralité des théologies dans l’histoire et pour aujourd’hui. On peut donc sortir légitimement d’une conception de la vérité monolithe et intemporelle.

Paul, par exemple, ne fait référence à aucun acte de Jésus, à aucune de ses paroles, il en parle de manière complètement nouvelle. Il n’invente pas mais il crée une théologie qui le fait découvrir d’une tout autre manière. Il en a lui-même conscience quand il écrit : « Même si nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi à présent » ( 2 Co 5/16). Ce faisant il applique ici son principe de la suprématie de l’esprit sur la lettre.

De même l’auteur de l’Epître aux Hébreux, prendra lui aussi la liberté d’en parler avec un vocabulaire encore différent en disant par exemple que le Christ est l’unique grand-prêtre, un titre que les Evangiles ignorent complètement.

Les communautés primitives, auteures des Evangiles sont aussi des créatrices, puisqu’elles vont écrire les Evangiles à la lumière de la résurrection.

Enfin l’annonce de la foi, telle que relatée dans les Actes, va opérer un déplacement significatif, qu’on peut résumer ainsi : déplacement du royaume à la personne de Jésus, de la thématique du royaume à la thématique de Jésus-sauveur, de l’histoire à l’eschatologie imminente.

L’Evangile de Jean est aussi un bon exemple de créativité. Il raconte Jésus avec les mots, les concepts, les problématiques de ceux à qui il s’adresse.

Il nous faut à notre tour faire preuve de la même créativité en répondant à d’autres problématiques. Continuer le processus avec lequel il a pensé, c'est-à-dire à partir de lui, apprendre à apprendre. Ce dialogue de Jean avec la culture de son temps a beaucoup à nous apprendre. Mais il faut l’interpréter à l’intérieur de ses limites, les dépasser et aller vers l’aujourd’hui de notre histoire et de nos cultures.

 

 

[1] L’interprétation du choix par le Christ de 12 hommes  (viri)  comme apôtres à l’exclusion de femmes , relève de cette conception d’une  vérité éternelle, anhistorique, monolithe, absolutisée.  Sur la question du choix des 12, voir J.MOINGT, Sur un débat clos, Revue de Sciences Religieuses, 83/3, 1994.

 

[2] « L’histoire…a une fin…le christianisme est cette fin : le Christ s’est présenté comme venant à la fin des temps et comme introduisant le monde définitif…L’histoire n’est plus qu’en sursis » dans Jean DANIELOU, Essai sur le mystère de l’histoire, Cerf, 1982, p 14 et 23. Cité et critiqué par J.L. SEGUNDO , dans Qu’est-ce qu’un dogme, Cerf, 1992, collection Cogitation fidéi n°169, p 237, pour donner un exemple d’une théologie qui clôt l’histoire avec la venue du Christ. 

[3] St AUGUSTIN,  De doctrina christiana I,1 ch 34; Œuvres, DDB,  vol XI p 226 ; cité par J.L. SEGUNDO p241 et 308 dans Qu’est-ce qu’un dogme ?).

Partager cet article
Repost0

commentaires

D
Fulgurant éclairage qui déplace toutes les perspectives où le littéralisme, par nature, s'enferme. Et il n'est pas étonnant que ce soit Jean qui fasse, en l'espèce, "sauter le verrou". <br /> En laissant, dans la second partie de l'énoncé, et comme toujours chez lui, la part du mystère et de l'inintelligible hic et nunc : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, l’esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité toute entière ; car il ne parlera pas de lui-même ; mais tout ce qu’il entendra, il le dira, et il vous annoncera les choses à venir. »
Répondre
D
Fulgurant éclairage qui déplace toutes les perspectives où le littéralisme, par nature, s'enferme. Et il n'est pas étonnant que ce soit Jean qui fasse, en l'espèce, "sauter le verrou". Que ce soit lui qui soit appelé à le faire.<br /> En laissant, dans la second partie de l'énoncé, et comme toujours chez lui, la part du mystère et de l'inintelligible hic et nunc : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, l’esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité toute entière ; car il ne parlera pas de lui-même ; mais tout ce qu’il entendra, il le dira, et il vous annoncera les choses à venir. »
Répondre