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18 avril 2012 3 18 /04 /avril /2012 21:04

La 2ème partie de cette étude de l’encyclique Mulieris dignitatem va mettre en valeur les heureuses ruptures avec la pensée classique. Pour mieux comprendre la profondeur de la rupture, j’exposerai la pensée qui était en vigueur encore très récemment.  D’abord dans des anciens textes du Droit canon, ensuite chez St Augustin.

 

 

2ème partie : Rupture et continuité de cette lettre encyclique avec la pensée classique.

 

J’appelle « pensée classique » ce qui a été pensé jusqu’à un passé récent dans le discours catholique romain. Mulieris dignitatem sur certains points est en rupture avec cette pensée. Sur d’autres, elle est en continuité.

Les ruptures :

*La première rupture est l’affirmation de la commune théomorphie de la femme et de l’homme.

Une pensée de la différence ne peut donc, de ce fait, mettre en cause une commune humanité théomorphe. 

*La seconde rupture est sa lecture de la Lettre aux Ephésiens qui affirme la soumission réciproque de l’homme et de la femme dans le couple et non la soumission de la femme seule. 

Une pensée de la différence ne peut donc de ce fait, justifier un statut inégalitaire.

*La troisième rupture est la reconnaissance d’une image féminine de Dieu.

Une pensée de la différence ne peut donc de ce fait exclure le féminin pour représenter le divin.

La continuité :

Mais conjointement à cette triple rupture existe dans cette lettre deux continuités avec la pensée classique.

*Tout d’abord la lettre encyclique justifie la posture féminine de l’Eglise par le caractère sponsal de la relation du Christ à l’Eglise, et met symboliquement les femmes uniquement du côté de l’Eglise, épouse réceptrice.

*Ensuite  la typologie Eve/Marie face à la typologie Adam/Christ  oublie de mettre les femmes dans la christotypie.

 

A : Rupture : la théomorphie au chapitre 3

Le chapitre 3 de cette lettre qui a pour titre « Image et ressemblance de Dieu » est une affirmation très forte de la dignité égale de l’homme et de la femme car tous deux sont créés à l’image de Dieu. Cette théomorphie est fondée sur le premier récit de la création dans le livre de la Genèse. Mais il n’est pas dit (et donc a fortiori regretté) que ce discours n’a pas été constant dans la réflexion chrétienne. La lettre donne l’impression que ce  discours a été le même depuis le début du christianisme jusqu’à maintenant. Or il n’en est rien. Le reconnaître et le regretter aurait été une bonne manière de prendre acte qu’un certain discours ecclésial a pu donner des arguments religieux légitimant la « valence différentielle des sexes »( « Valence différentielle des sexes » est un concept de F.HERITIER dans Masculin/Féminin,I et II, La pensée de la différence, Odile Jacob 1996 et Dissoudre la hiérarchie, 2002).

Passer sous silence la nouveauté de cet enseignement  empêche de voir la rupture, donc de reconnaître les erreurs du passé et de faire acte de repentance à son juste niveau.

C’est pourquoi, et pour vraiment saisir la nouveauté contenue dans cette lettre encyclique, il convient donc d’abord de rappeler quel pouvait être le discours avant le Concile Vatican II. Ce sera l’objet de la première étape. Cela permettra dans la deuxième étape de mieux saisir la rupture que représente ce chapitre 3 de la lettre encyclique. 

 

                            I : Pensée classique avant le Concile Vatican II

Commençons par des documents de Droit Canon.( I.RAMING, La situation inférieure de la femme dans le Droit canonique, Concilium 111, 1976, P63 à 72) Celui qui est en vigueur actuellement date de 1983. Il a remplacé celui de 1917 qui lui-même avait remplacé le Corpus Iuris Canonici établi sous le pape Grégoire XIII en 1582. Ce corpus dans sa première partie reprenant le travail de Gratien (1140) appelé décret de Gratien qui est une compilation de textes établie par un juriste romain au 4ème siècle (la 2ème partie est constituée par les décrétales de Grégoire IX (1234)). Par une fausse attribution à Augustin et à Ambroise ces textes ont profité du prestige de ces deux Pères de l’Eglise. Que trouvons-nous dans ces textes ? La femme n’était pas considérée comme image de Dieu dans l’ordre de la création. Adam représentait le premier homme exemplaire. Eve était vue comme secondaire parce que dérivée. Le couple originel était le prototype de tous ceux à venir, chaque « vir » héritant de la primauté d’Adam et chaque « mulier » de la dépendance d’Eve. « Caput mulieris vir » : la prééminence de l’homme sur la femme était justifiée par sa création en second de la côte d’Adam. Ils avaient en commun une même substance mais hiérarchisée car le privilège de l’image n’appartenant qu’à l’homme.

« … qu’elle soit image de Dieu, ce qui est absurde. De quelle façon en effet peut-il être dit de la femme qu’elle est image de Dieu, elle qu’on constate soumise à la domination de l’homme et n’avoir nulle autorité ? En effet elle ne peut ni enseigner, ni être témoin, ni dire la foi, ni juger et encore moins commander ! » ( CSEL 50, 83)

« L’homme en effet a été fait à l’image de Dieu, et non la femme » ( CSEL 81, II, 121)

Le voile de la femme était considéré comme signe de sa subordination en tant que non-théomorphe. « C’est pourquoi la femme doit se voiler la tête parce qu’elle n’est pas image de Dieu et doit se montrer soumise »( CSEL 81, II, 121)

Ces textes posent toutefois la question de leur conciliation avec Ga 3/28(« Baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a ni juif, ni grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites plus qu’un dans le Christ » Traduction de la Bible de Jérusalem). Pour cela, ils font  appel à la distinction entre l’ordre de la création et l’ordre du salut. Dans l’ordre du salut évoqué par ce verset de la lettre aux Galates, il y aurait équivalence de l’homme et de la femme mais non dans l'ordre de la création. Il y aurait donc deux sortes d’images : celle de la création attribuée exclusivement à l’homme, l'autre, celle du salut, accordée également à la femme.  

« Autre, cependant, est cette image que l’on dit être créée dans la connaissance du Sauveur et autre est l’image selon laquelle a été faite le premier humain. La première image est aussi dans la femme, puisqu’elle connaît celui qui l’a créé et, obéissant à sa volonté, elle s’abstient d’une vie honteuse et d’une activité mauvaise; mais la deuxième image, celle de la création, est dans l’homme seulement.…ainsi, si la femme ne se voilait pas la tête, elle serait elle-même image de Dieu, mais il serait incongru que celle qui a été faite soumise à l’homme soit dite image de Dieu »( CSEL 81, III, 197)

Ce qui donne en conclusion dans le décret de Gratien :

« Comme le dit Augustin : la ressemblance de l’homme à Dieu se trouve en ce qu’il fut créé comme le seul être dont tous les autres sont sortis, et qu’il possède, en quelque sorte, la domination de Dieu en tant que son représentant, puisqu’il porte en lui l’image du seul Dieu. Ainsi la femme n’est pas créée à l’image de Dieu. C’est pourquoi l’Ecriture dit : Dieu créa le mâle, à l’image de Dieu il le créa. C’est pourquoi l’apôtre dit aussi : l’homme ne doit pas se couvrir la tête car il est l’image et le reflet de Dieu, mais la femme doit se couvrir la tête car elle n’est ni le reflet ni l’image de Dieu »( Même référence)

On peut noter que l’auteur pour dénier à la femme d’être image de Dieu, s’appuie sur Gn 1 en traduisant par  vir au lieu de homo.  C’est d’abord une faute de traduction, c’est ensuite une manière d’interpréter Gn 1 à la lumière de Gn 2-3.

 

Dans les textes authentiques d'Augustin, on constate une tentative d'inclure le féminin dans la théomorphie. Selon Kari Borensen(K.BORENSEN, Imago Dei, privilège masculin ? Interprétation augustinienne et pseudo-augustinienne de Gn1/27 et 1 Co11/7, Augustinianum 25 (1985) p 213 à 234)  il est le premier à vouloir explicitement concilier des éléments scripturaires en apparence contradictoires.( Clément d’Alexandrie avait lui aussi inclus le féminin dans la théomorphie en mettant l'image dans l'âme rationnelle. Les femmes  sont images de Dieu dans leur âme malgré leur féminité inférieure. Le Pédagogue livre 1, Cerf, 1983, Sources Chrétiennes 70,10  )Comment concilier Gn 1/27 qui déclare l'humain masculin et féminin, image de Dieu  et 1Co11 /7 interprété comme une négation explicite de l’image divine chez la femme ? La réponse se trouve à plusieurs endroits dans son œuvre et peut se résumer en une distinction entre l’esprit qui est théomorphe et le corps qui est sexué. « La femme en tant qu’elle était aussi créature humaine (femina homo erat) avait une âme, une âme raisonnable, selon laquelle elle était, elle aussi, à l’image de Dieu »( AUGUSTIN, De Genesi ad  litteram III, 22; CSEL 28, II, 88-90; BA 48,266-9 )Cependant, au niveau corporel, pour Augustin, le corps mâle, seul, symbolise la partie théomorphe de l’âme humaine (qui se trouve également chez l’homme et  la femme) tandis que le corps féminin, considéré comme inférieur, symbolise la partie qui n’est pas à l’image de Dieu. (Déjà cité )

Il suggère aussi une autre explication à la non attribution de l’image divine de 1Co 11/7 :

« Avant la chute, la femme de moindre intelligence, vivait selon le sens charnel, n’avait pas encore reçu le privilège de l’image; elle aurait pu la recevoir peu à peu sous la conduite et par l’enseignement de l’homme » (AUGUSTIN, De Genesi ad  litteram XI,42; CSEL 28,I,376-7; BA 49,322-5)

Mais c'est dans le De Trinitatae XII, VII, 10 qu'il pose une affirmation forte de la femme image de Dieu avec, cependant, une différence importante:

« D’après la Genèse, c’est la nature humaine en tant que telle qui été faite à l’image de Dieu, nature qui existe en l’un et l’autre sexes et qui ne permet pas de mettre la femme à part, quand il s’agit de comprendre ce qu’est l’image de Dieu…Comment dès lors l’apôtre peut-il dire que l’homme est l’image de Dieu et qu’à ce titre il ne doit pas se voiler la tête, mais que la femme ne l’est pas et doit par conséquent voiler la sienne ? La raison, à mon sens, est celle que j’ai déjà apportée, lorsque j’ai traité de la nature humaine : la femme avec son mari est image de Dieu, de sorte que la totalité de cette substance humaine forme une seule image ; mais lorsqu’elle est considérée comme l’auxiliaire de l’homme -ce qui n’appartient qu’à elle seule- elle n’est pas image de Dieu ; par contre l’homme, en ce qu’il n’appartient qu’à lui, est image de Dieu, image aussi parfaite, aussi entière, que lorsque la femme lui est associée pour ne faire qu’un avec lui»( De Trinitate XII, 7,10 ; CCl 50,364-5; BA 16,229-31)

Pour Augustin donc, associée à l'homme, la femme est image de Dieu, mais  l'homme n'a pas besoin de la femme pour l'être, il l'est en lui-même, image parfaite, entière. La raison de la non-théomorphie de la femme sans l'homme, selon Augustin, ce serait donc son statut d'auxiliaire.

 

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