Voici que qu’écrit Raymond Winling à propos du théologien Paul Tillich (1886-1965)
« Tillich est un croyant convaincu que le christianisme apporte le plus authentique message de salut que l’homme puisse trouver sur cette terre.
Mais il constate que ce message n’est pas compris. Tout se passe comme si les déformations et les distorsions se multipliaient et rendaient impossible une perception qui ne soit pas caricaturale. ..
Le fossé s’élargit de plus en plus entre la théologie et la pensée des laïcs qui vivent dans un monde placé sous le signe de la science.
D’où vient ce divorce entre le message chrétien et la pensée moderne ?...
Tillich sait quel rôle a joué la pensée de type scientifique avec son impérialisme exclusif.
Mais il voit d’autres raisons : il se montre sévère pour les Eglises chrétiennes qui vivent sur le passé et se montrent incapables de trouver un langage adapté à l’homme moderne.
Que faire ?...
Partir de l’homme et des ses questions d’aujourd’hui, faire appel à ses intuitions, le conduire vers le Dieu qui lui parle à travers l’Ecriture et lui apporte la réponse aux questions vitales que la science se montre incapable d’assumer de façon valable. »
(La théologie contemporaine, Ed le Centurion, 1983, page 244)
Tillich est mort au moment du Concile Vatican II. Depuis beaucoup de théologiens ont su relever le défi et travailler à combler le divorce dont il parle. Mais il reste encore beaucoup à faire et surtout comment cela a-t-il rejoint le terrain des paroisses, des homélies, des catéchismes, des mentalités… ?
Quand cessera-t-on définitivement de penser que la Bible « est » la Parole de Dieu de manière fondamentaliste ? Alors qu’elle est une parole d’hommes marquée par leurs limites, leurs préjugés, leurs intérêts. Et à ces hommes, Dieu essaie avec patience d’insuffler une conversion : conversion de toutes ces fausses images qu’ils se font de Lui … Lente, patiente pédagogie. Le passage de la mer rouge, par exemple, n’est pas l’acte d’un dieu qui ferait périr des soldats égyptiens mais, sous la forme de ce récit, la conscience qu’Israël a eu d’un Dieu qui dit non à l’esclavage.
Quand cessera-t-on définitivement d’instrumentaliser la Bible pour justifier des conceptions qui enferment dans des schémas intouchables ? Par exemple : « Homme et femme, il les créa », n’est pas le sceau d’une volonté de Dieu qui instituerait le mariage, mais le signe du respect et la raison de toute différence dont le féminin et le masculin sont le paradigme.
Ou encore, le choix des évangiles de relater la présence de 12 apôtres masculins n’indique pas une détermination du Christ à exclure les femmes des ministères, mais renvoie à la conscience de la première communauté chrétienne d’être le nouvel Israël.
Quand cessera-t-on définitivement de penser la croix du Christ comme le prix à payer pour que Dieu pardonne ? Il s’agit au contraire de saisir à quel point les actes du Christ, ses paroles, ses décisions ont été et sont, encore aujourd’hui, libérateurs, provoquant la mise en danger de toute forme de totalitarisme, fut-il religieux. Alors la croix n’est plus le prix à payer mais l’aboutissement d’un chemin de liberté.
Quand cessera-t-on définitivement de penser que Dieu aurait écrit dans un grand livre les choix importants de nos vies, auxquels Il nous aurait, par ailleurs, prédestinés ? C’est oublié que Dieu s’inscrit au creux de notre liberté. C’est oublié que Sa tendresse nous supplie simplement d’être nous-mêmes, d’être heureux-se .
Quand cessera-t- on d’enfermer l’humain dans une faute originelle, qui le dépasse ? N’est-il pas urgent de changer notre regard sur l’être humain ? La Bienveillance est inscrite, gravée en tout homme, toute femme. Elle est plus résolue que la culpabilité, plus forte que la désespérance, plus tenace que la cruauté. Un Autre nous l’a dit : notre réalité ultime s’écrit en lettres de tendresse.
Katrin Agafia et Michèle Jeunet