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19 mai 2013 7 19 /05 /mai /2013 14:37

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« Ce qui correspond au Dieu trinitaire, ce n’est pas la monarchie d’un souverain mais la communauté des hommes sans privilèges ni servitudes »( J. MOLTMANN, Trinité et Royaume de Dieu, cerf, 1984, Collection Cogitatio fidei 123,  p 249.

Dans ce livre, (abrégé en TRD), Moltmann établit un lien fort entre théologie et rapports humains. La doctrine trinitaire de Moltmann, doctrine sociale de la Trinité, est pertinente pour penser l’anthropologie de l’humain, femme et homme.

De même que la femme et l’homme sont un dans leur commune nature humaine au sein d’une différence, de même la Trinité est une dans la commune nature divine et la différence des personnes. 

Pour cela des conditions sont à remplir : penser d’une part la Trinité des personnes divines et d’autre part la relation homme-femme dans une parfaite égalité. Ne pas penser Dieu comme un souverain au trait masculin car si on le pense ainsi nous avons une monarchie divine au ciel qui fonde la souveraineté terrestre de tout pouvoir d’un seul sur l’autre. Nous avons l’idée d’un tout puissant souverain du monde qui exige une servitude, une dépendance et qui fonde la souveraineté terrestre, religieuse, morale, patriarcale.

L’enjeu est aussi une question de crédibilité de la foi. Les fausses images d’un Dieu qui aliène l’homme dans sa liberté, ne peuvent qu’être rejetées par nos contemporains.

1-Critique du  monothéisme politique

Il y a un  rapport entre les représentations religieuses d’une époque et les constitutions politiques des sociétés, des conditionnements réciproques des alliances entre représentations religieuses et politiques. 

Le Dieu un, créateur, maitre, propriétaire du monde dont la volonté fait loi, qui peut  disposer de tout, et de la volonté duquel tout dépend, a les traits d’un monarque conçu de manière absolutiste.  Il est un, indivisible, parfait car impassible, il  gouverne et tout dépend de lui.

Ce monothéisme a apporté son soutien au principe de souveraineté impériale. La politique qui correspond à la croyance au Dieu unique, c’est l’empire de paix de l’empereur romain. Ce qui a conduit à Constantin et qui a fait passer le christianisme de religion persécutée à une religion autorisée, soutien de l’état.

Le soutien apporté par le monothéisme était  plus absolu que le soutien d’une philosophie. L’Unique empereur tout-puissant, était image visible du Dieu invisible car lui aussi est maitre, propriétaire et sa  volonté fait loi. « A l’unique roi sur la terre correspond le Dieu unique au ciel»( E.PETERSON, Monotheismus als politisches Problem, in Theologische Traktate, München, 1951, p 91. (Cité dans TRD p 241) Mais faire de la souveraineté divine l’archétype de la souveraineté étatique, cela ouvre la voie à un absolutisme au plus haut degré dans l’absence de l’obligation de rendre des comptes, et le met en dehors du droit. Aujourd’hui l’idée absolutiste ne subsiste que dans l’idéologie de la dictature. Mais celle-ci, maintenant, n’a plus besoin de la légitimité religieuse pour s’imposer, elle a à sa disposition la terreur de la force.

Pour surmonter la transposition du monothéisme religieux en monothéisme politique, il faut surmonter l’idée de la monarchie du Dieu unique sur un monde unique. Le regret  qu’exprime Moltmann, c’est qu’historiquement, le dogme trinitaire n’a pas fait échouer cette idée de monarchie divine :

« Aussi longtemps que l’unité du Dieu trine n’est pas conçue trinitairement, mais comme celle d’une monade ou d’un sujet, elle demeure liée à la légitimation religieuse de la souveraineté politique. C’est seulement quand la doctrine de la Trinité surmontera la conception monothéiste du grand Monarque universel au ciel et du Grand patriarche divin du monde que les souverains dictateurs et tyrans de la terre, ne trouveront plus d’archétypes religieux pour se justifier » (TRD  p 247)

Moltmann cite Whitehead : « l’Eglise a donné à Dieu des attributs qui appartiennent exclusivement à  l’empereur. La naissance de la philosophie théistique qui s’est achevé avec l’apparition de l’Islam,  a conduit à la représentation de Dieu selon l’image du souverain impérial, selon l’image de l’énergie morale personnifiée et selon l’image du principe dernier de la philosophie. Il est permis d’ajouter que cette philotheistique représente une philosophie patriarcale à un très haut degré »( A.N. Whitehead,  Process and Reality. An essay in Cosmology, New- York 1960 p 520 cité dans TRD p 247)

2-Comment  sortir de cette représentation ?

Par la doctrine de la Trinité qui, à l’opposé,  est doctrine théologique de la liberté et renvoie à une communauté humaine « sans domination autoritaire et sans contrainte servile » (TRD p 240). La Trinité dit l’union du Père avec le Fils livré crucifié et l’Esprit vivifiant qui crée du neuf. De cette unité, on ne peut pas forger la figure d’un monarque omnipotent du monde dont les potentats terrestres sont les reflets.

Car c’est en tant que père de Jésus crucifié et ressuscité qu’il est tout puissant et qu’il s’expose ainsi à l’expérience de la souffrance, de la douleur, de l’impuissance et de la mort .Il n’est pas toute-puissance. Il est amour. « C’est son amour passionné, passible, et rien d’autre qui est tout-puissant » (TRD p 248)

Dans le Fils,  la gloire de Dieu trinitaire ne se reflète pas sur les couronnes des rois et dans les triomphes des vainqueurs mais sur le visage du crucifié et sur le visage des opprimés dont il est le frère. Jésus crucifié est l’unique image du Dieu invisible. Cette gloire se reflète dans la communauté des croyants et des pauvres.

L’Esprit vivifiant procède du Père de Jésus crucifié et ressuscité. C’est dans l’ombre de la mort que l’on expérimente la résurrection par la force vivifiante de l’Esprit. Il nous procure avenir et espérance. Il ne procède pas de l’accumulation de puissance ni de l’usage absolutiste de la souveraineté

Une théologie politique qui se veut chrétienne doit donc critiquer le monothéisme politique en refusant une unité entre religion et politique mais aussi en recherchant des options politiques qui correspondent aux convictions de la foi chrétienne et qui ne la contredisent pas.

Donc un non à la monarchie d’un souverain, non à  un  maitre du monde, non à un père tout puissant patriarcal qui se définit par le pouvoir de disposition sur ce qui lui appartient.

Et un  oui à la communauté des hommes sans privilèges ni servitudes, communauté où les personnes sont définies par leur relation les unes avec les autres et leur importance les unes pour les autres, définies par la personnalité et par des relations personnelles. Ce faisant, cette communauté est à l’image de la Trinité qui est « une vie inépuisable que les trois personnes ont en commun et dans laquelle elles sont les unes avec les autres, les unes pour les autres, les unes dans les autres » (p 249)

Le monothéisme monarchique a aussi influencé l’organisation de l’Eglise par une déduction représentative de l’autorité divine : un Dieu, un Christ, un évêque, une communauté. Cette déduction se fonde sur le monothéisme monarchique.( Cf sur cette question G.LAFONT, Histoire théologique de l’Eglise catholique, Cerf 1994, Collection Cogitatio fidei 179. En particulier les pages 28 à 32. « Avec les grands courants intellectuels de la période pré-nicéenne…le christianisme est entré dans le cadre de la culture hellénistique…où prévalait la symbolique de l’Un. La pensée chrétienne a fait sienne l’orientation à la fois apophatique et intellectualiste de cette culture. Apophatique en ce sens que ce qui était visé, en dernière analyse, c’était bien l’union mystique avec l’Un au-dessus de tout, identifié au Dieu Père de l’Ecriture biblique » p 28) Elle va jouer aussi en défaveur des femmes. « Une déduction correspondante de la primauté de l’homme sur la femme apparait dans la théologie paulinienne de la Képhalé, 1Co11/13 : ‘le chef de tout homme, c’est le Christ, le chef de la femme, c’est l’homme, et le chef du Christ, c’est Dieu’ ; Ep5/22 : ‘le mari est chef de sa femme comme le Christ est chef de l’Eglise’ (TRD p 251 note 24.

Moltmann ajoute que K. Barth (Cf. Barth, Dogmatique, III/4,54) a développé à partir de cela une théologie de la subordination pour la femme. Théologie qui a suscité à juste titre étonnement et contradiction (voir par exemple Cl. Green, Karl Barth on Women ans Men, in Union Theol.Quarterly rewiev, ¾, 1974). Cette déduction fonde une  hiérarchie ecclésiastique masculine correspondant à la monarchie divine et représentant celle-ci. Le Moyen-âge a consolidé cette conception par une cascade de primautés de l’Un : une Eglise, un pape, un Christ, un Dieu, dans une cascade de délégation graduée, ceci fondé sur le mode de pensée du monothéisme monarchique.

Il peut y avoir une autre ligne de pensée que la pensée de l’Un, c’est le  fondement trinitaire de l’unité de l’Eglise. Qu’il soit « un » au sens  de Jn 17/20 : une unité de la communauté qui soit unité trinitaire. Ce fondement trinitaire est plus profond mais surtout il détermine autrement l’unité. Non pas un monothéisme monarchique qui dit Dieu comme puissance représentée par  l’autorité universelle  et infaillible du seul mais monothéisme trinitaire qui dit Dieu comme communion d’amour.

« Dieu comme amour… est représenté dans la communauté et … est expérimenté dans l’acceptation de l’autre, comme tous ensemble sont acceptés par le Christ. Le monothéisme monarchique fonde l’Eglise comme hiérarchie, comme souveraineté sainte. La doctrine de la Trinité constitue l’Eglise comme communauté libre de toute domination » (TRD p 254. « Communauté libre de toute domination » est une citation tirée du livre de G.Hasenhüttl, Herrschaftsfree Kirche, Sozio-theologische grundlegung, Dusseldorf, 1974)

Moltmann s’appuie également sur des auteurs orthodoxes comme P.Evdokimov pour qui « le principe trinitaire remplace le principe de la puissance par le principe du consensus » (P.EVDOKIMOV, L’Orthodoxie, Paris, 1965 p 131). Il résume cette pensée en écrivant : « A la place de l’autorité et l’obéissance, nous trouvons le dialogue, le consensus, l’accord. Ce n’est pas la croyance en la révélation divine à cause de l’autorité de l’Eglise qui se trouve au premier plan, mais la foi en la raison d’une perception personnelle de la vérité de la révélation. A la place de la hiérarchie qui maintient et qui impose l’unité, nous trouvons la fraternité et la sororité de la communauté du Christ ».( TRD p 254)

D’autre part, pour remplacer le monothéisme politique et clérical, il faut une doctrine théologique positive de la liberté. Le fondement de l’athéisme moderne, c’est la conviction qu’un Dieu régnant par sa toute-puissance et son omniscience rend impossible la liberté humaine. En s’inspirant de Joachin de Flore, mais en le dépassant et  sans reprendre l’aspect modaliste et sa division chronologique,  Moltmann développe cette doctrine théologique positive de la liberté qui se fonde sur le principe trinitaire. Il s’agit de comprendre l’histoire du royaume de façon trinitaire : les règnes du Père, du Fils, de l’Esprit sont des strates et transitions constamment présentes dans l’histoire. 

Le règne du Père :

« Le règne du Père. C’est précisément quand nous comprenons la création du monde de façon trinitaire, comme une action qui se limite elle-même, du Père par le Fils dans la force de l’Esprit, qu’elle est la 1ère étape sur le chemin de la liberté. Là où règne non pas le grand Seigneur du monde mais le Père de Jésus-Christ, un espace est donné à la liberté des créatures. Là où ce n’est pas le grand Seigneur  du monde mais le Père de Jésus-Christ  qui conserve dans sa patience le monde, de l’espace et du temps sont laissés à la liberté des créatures, au sein même de l’esclavage dont elles sont elles-mêmes responsables ; le Père règne par la création de l’être et l’ouverture du temps » (TRD p 263)

Le règne du Fils

« Consiste  dans la souveraineté libératrice du crucifié et dans la communauté avec le 1er né d’une multitude de frères et sœurs… Il introduit les hommes dans la glorieuse liberté des enfants de Dieu en les configurant à lui-même dans sa propre communauté… Quand il se détourne du créateur …la délivrance de cette mort vers l’ouverture originelle ne peut avoir lieu par la domination et par la contrainte mais par une souffrance suppléante et par l’appel à cette liberté qui est maintenue ouverte par la souffrance suppléante » Le Règne du Fils est en forme de serviteur. Il règne par la libération pour la liberté.( TRD p 264)

Le règne de l’Esprit.

L’expérience de l’Esprit, c’est être saisi par la liberté pour laquelle le Fils nous a libérés. Il donne accès à l’immédiateté avec Dieu. Il est Dieu en nous. Par la foi  et l’écoute de sa conscience, l’homme devient ami de Dieu. Par l’Esprit, l’homme fait l’expérience des énergies de la nouvelle création. Il est à la naissance de la communauté nouvelle  sans privilège, sans subordination : communauté d’hommes et de femmes libres.

En cohérence aussi avec son principe eschatologique,  Moltmann  précise que ce règne de l’Esprit est orienté vers le règne de la gloire mais qu’il n’en est pas encore l’accomplissement. L’expérience de l’Esprit qui rend l’homme temple de Dieu (1co 6/13) est anticipation de la gloire où le monde sera temple du Dieu trinitaire (Ap 21/3) Ce règne de gloire sera accomplissement de la création du Père, application universelle de la rédemption du Fils, achèvement de l’inhabitation de l’Esprit.

 

 Cette doctrine trinitaire de la liberté est histoire progressive et croissante de la liberté. Le Père est liberté des créatures qui maintient l’espace vital nécessaire ; le Fils est libération des hommes de leur enfermement grâce à l’amour souffrant qui restaure la liberté. L’Esprit est force et énergie de la nouvelle création.

Confesser Dieu ainsi n’est donc pas négation de la liberté humaine mais au contraire elle l’oriente pour une espérance infinie. A condition de ne pas se tromper de liberté.

Il y a la liberté comme domination, c’est celle qui gagne et domine et celle du maitre seul soumettant et exploitant ceux qui perdent, les   non-libres que sont les femmes, les enfants, les esclaves sur lesquels règne le maître. La liberté comme domination est une liberté qui est aux dépens des autres. Liberté pour l’un qui est oppression pour l’autre, richesse qui rend pauvres les autres. La liberté comme domination ne connait  que soi. « Cette manière d’entendre la liberté comme domination s’enracine dans une société typiquement masculine comme le signale en allemand le mot Herrschaft »( TRD 269). C’est celle du libéralisme bourgeois qui a remplacé l’absolutisme royal et la féodalité, liberté où tout homme est un concurrent dans la lutte pour le pouvoir et la propriété, où tout homme n’est pour l’autre homme que la limite de sa liberté.

Elle s’oppose à la liberté comme communauté « C’est seulement dans l’amour que la liberté humaine acquiert sa vérité : je suis libre et je me sens libre quand je suis respecté et reconnu par les autres et quand de mon côté je  respecte et reconnait les autres. Je deviens réellement libre quand j’ouvre ma vie aux autres et que je la partage avec eux et quand d’autres m’ouvrent leur vie et la partagent avec moi » (TRD p 270)

Cette liberté comme communauté doit se compléter par la liberté des sujets à un projet : « Celui qui transcende le présent vers l’avenir, en pensées paroles, et œuvres, celui-là est libre. Du point de vue théologique, ceci est la dimension particulière de l’expérience de l’Esprit : dans l’Esprit nous transcendons le présent vers l’avenir de Dieu car l’Esprit est la caution de la gloire. La liberté dans la lumière de l’espérance est la passion créatrice pour le possible... l’avenir est le règne des possibilités non encore définies, alors que le passé représente le règne limité de la réalité » ( TRD p271) Cette dimension future de la liberté longtemps ignorée par la théologie « parce qu’on n’a pas compris la liberté de la foi chrétienne comme une participation à l’Esprit créateur de Dieu »(TRD p 272

La pensée de Moltmann permet d’introduire la différence au cœur même de l’unité, de fonder le respect de la différence puisqu’elle est au cœur même de Dieu, une différence sans hiérarchie de l’un sur l’autre.  Elle dédouane la Trinité du patriarcat car celui-ci est le fait d’un monothéisme monarchique.

 Cependant, reste entier, le caractère masculin de la nomination des trois : « L’emploi exclusif d’images masculines est la première difficulté qui ressort d’une réflexion sur la Trinité dans une perspective féministe. La profession de foi en la Trinité présente au moins deux figures masculines, soit un père et le fils qu’il engendre, ainsi qu’une troisième figure exhalée par les deux autres,  celle-là plus informe, mais qui se voit néanmoins attribuer ( dans certaines langues comme le français)  le genre masculin. La puissance évocatrice du symbole profondément masculinisé de la Trinité signifie implicitement une masculinité essentielle chez Dieu au détriment d’une reconnaissance de la qualité d’imago Dei chez les femmes dans leur féminitude même » ( E.A. JOHNSON, Dieu au-delà du masculin et du féminin. Celui/Celle qui est, Paris, Editions du Cerf 1999, p 304).

La question est cruciale. Il faut pouvoir dire « Elle » comme nous disons « Il » pour parler de Dieu.

 

 

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commentaires

A
Extrêmement intéressant. Merci !
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A
Complètement en accord avec cette vision pour ce qui est du démantèlement d'une confusion entre politique et Dieu, absolutisme etc.<br /> <br /> Je veux juste ajouter que la "royauté" de Dieu est, selon l'expérience qui m'a été donnée, une sorte de Lumière qui irradie directement de Dieu, qui sort de son être même, qui règne sans pouvoir,<br /> qui éclaire dans l'Amour inconditionnel, cet Amour qui Couronne l'âme qui a soif de cette Lumière.<br /> <br /> A chaque fois que j'entends ou lis des qualifications de Dieu liées à la royauté ou à la "Toute-Puissance", je revois/revis cette expérience de la Lumière bleu clair que j'ai connue, et par<br /> laquelle j'ai compris/m'a été donné de comprendre ce qu'est ce "couronnement" d'Amour de l'âme consentante. Il s'agit d'une puissance de Dieu sans pouvoir, d'une domination de Dieu sur rien, d'un<br /> règne d'Amour absolu et inconditionnel qui couronne toute sa création, tout être qui y consent, avec ce mystère de Grâce qui l'inspire = consentement à la fois libre et inspiré par Dieu même !
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