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21 janvier 2020 2 21 /01 /janvier /2020 10:05
masculin-Féminin 2

Il y a 3 ans, j’ai publié un livre aux Editions BOD.  C’est une version abrégée de mon mémoire de maitrise en théologie que j’ai soutenu au Centre Sèvres, facultés jésuites de Paris.

Dans ce livre j’ai voulu décrypter le discours sur les femmes d’une encyclique de Jean-Paul II et en quoi ce discours continue d’être discriminatoire pour les femmes.

Je le mets sur mon blog en plusieurs partie. Une manière de vous le partager mais aussi de le faire connaitre et donner envie de l’acheter !

https://www.bod.fr/librairie/masculin-feminin-ou-en-sommes-nouso-michele-jeunet-9782322077274

Voici le deuxième envoi : masculin-féminin 2

Chapitre 1

Le lourd passif d’un discours avant Vatican II

 

L’encyclique Mulieris dignitatem de Jean-Paul II est à bien des égards étonnante car elle se positionne, pour une part, en rupture avec le discours traditionnel sur les femmes.

La première rupture est l’affirmation que les femmes comme les hommes sont image de Dieu (ce qu’on appelle la théomorphie).

La deuxième rupture  porte sur l’interprétation d’un livre du Nouveau Testament,  la lettre aux Ephésiens, chapitre 5 versets 21 à 33, où Paul parle de la soumission des femmes à leurs maris. Jean-Paul II affirme qu’il s’agit d’une soumission réciproque de l’homme et de la femme dans le couple et non la soumission de la femme seule.

La troisième rupture est la reconnaissance d’une image féminine de Dieu.

Pour bien mesurer la profondeur de ces ruptures, il faut se plonger dans les textes du passé. Ils affirmaient tout le contraire : la femme n’était pas image de Dieu, ou l’était moins que l’homme, et  la soumission de la femme à l’homme était dans le plan de Dieu. Quand à Dieu, il ne pouvait être représenté que sous des figures masculines.

Faisons une plongée dans ces textes qui ont façonné le discours catholique pendant des siècles. Ils sont peu connus et méritent de l’être pour mieux saisir qu’un certain discours égalitaire du magistère romain est récent.

 

La femme n’était pas image de Dieu

Textes législatifs anciens

Commençons par des documents du Droit Canon.[1] Celui qui est en vigueur actuellement date de 1983. Il a remplacé celui de 1917 qui lui-même avait remplacé le Corpus Iuris Canonici établi sous le pape Grégoire XIII en 1582. Ce corpus dans sa première partie reprend  le travail de Gratien (1140). C’est  une compilation de textes établis par un juriste romain au 4ème siècle[2]. Par une fausse attribution à Augustin et à Ambroise ces textes ont profité du prestige de ces deux Pères de l’Eglise.

Que trouvons-nous dans ces textes anciens ?

La femme ne serait pas image de Dieu dans l’ordre de la création. Adam est le premier homme exemplaire. Eve est secondaire parce que dérivée. Le couple originel est le prototype de tous ceux à venir, chaque « vir » (mot latin pour le masculin) héritant de la primauté d’Adam et chaque « mulier » (mot latin pour dire le féminin) héritant de la dépendance d’Eve.

La prééminence de l’homme sur la femme était justifiée par sa création en second de la côte d’Adam. Ils étaient considérés comme ayant  en commun une même substance mais hiérarchisée, le privilège de l’image de Dieu n’appartenant qu’à l’homme masculin.

qu’elle soit image de Dieu, ce qui est absurde. De quelle façon en effet peut-il être dit de la femme qu’elle est image de Dieu, elle qu’on constate soumise à la domination de l’homme et n’avoir nulle autorité ? En effet, elle ne peut ni enseigner, ni être témoin, ni dire la foi, ni juger et encore moins commander ! [3]  

L’homme en effet a été fait à l’image de Dieu, et non la femme. [4]

Le voile de la femme était considéré comme un  signe de sa subordination en tant que non-théomorphe.

C’est pourquoi la femme doit se voiler la tête parce qu’elle n’est pas image de Dieu et doit se montrer soumise [5]

Les auteurs de ces textes se posent toutefois la question de leur conciliation avec un texte du Nouveau testament, l’Epitre aux  Galates au chapitre 3 verset 28 :

Baptisés dans le Christ, vous avez revêtus le Christ : il n’y a ni juif, ni grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites plus qu’un dans le Christ. 

Comment concilier ce verset qui fait fonde sur le baptême la suppression des discriminations,  avec un discours qui ne reconnait pas aux femmes la pleine image de Dieu ? Le droit canon distinguait pour cela, l’ordre de la création et l’ordre du salut.

Dans l’ordre du salut évoqué par ce verset de la lettre aux Galates, il y avait équivalence de l’homme et de la femme mais pas dans l'ordre de la création.

Autre, cependant, est cette image que l’on dit être créée dans la connaissance du Sauveur et autre est l’image selon laquelle a été faite le premier humain. La première image est aussi dans la femme, puisqu’elle connaît celui qui l’a créé et, obéissant à sa volonté, elle s’abstient d’une vie honteuse et d’une activité mauvaise; mais la deuxième image, celle de la création, est dans l’homme seulement… ainsi, si la femme ne se voilait pas la tête, elle serait elle-même image de Dieu, mais il serait incongru que celle qui a été faite soumise à l’homme soit dite image de Dieu. [6]

Ce qui donne en conclusion dans le décret de Gratien :

Comme le dit Augustin : la ressemblance de l’homme à Dieu se trouve en ce qu’il fut créé comme le seul être dont tous les autres sont sortis, et qu’il possède, en quelque sorte, la domination de Dieu en tant que son représentant, puisqu’il porte en lui l’image du seul Dieu. Ainsi la femme n’est pas créée à l’image de Dieu. C’est pourquoi l’Ecriture dit : Dieu créa le mâle, à l’image de Dieu il le créa. C’est pourquoi l’apôtre dit aussi : l’homme ne doit pas se couvrir la tête car il est l’image et le reflet de Dieu, mais la femme doit se couvrir la tête car elle n’est ni le reflet ni l’image de Dieu. [7]

Dans le texte latin de la Genèse qui est cité ici, pour parler de l’humain (masculin et féminin), on emploie le mot : « homo ». Dans ce texte, ce mot est remplacé par « vir », l’homme masculin, ce qui permet à l’auteur de dénier à la femme d’être image de Dieu.

 

[1] I.RAMING, La situation inférieure de la femme dans le Droit canonique, Concilium 111, 1976, p 63 à 72.

[2] la 2ème partie est constituée par les décrétales de Grégoire IX (1234).

[3] Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum = CSEL 50, 83.

[4] CSEL 81, II, 121

[5]CSEL 81, II, 3

[6] CSEL 81, III, 197

[7] Même référence.

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