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28 mars 2024 4 28 /03 /mars /2024 11:34
Homélie de Maurice Zundel pour le Jeudi Saint

LE LAVEMENT DES PIEDS, RÉVÉLATION DE L’AMOUR INFINI DE DIEU

Homélie de Maurice Zundel à Beyrouth, en Notre-Dame des Anges, le jeudi Saint 30 mars 1972.

Edité dans « Vie, Mort et Résurrection » 

Être disciples de Jésus, c’est donc cela : c’est admettre, c’est expérimenter que le Règne de Dieu est au-dedans de nous, que Dieu est justement, la suprême intériorité, car ce qui nous distingue de Dieu, c’est justement que nous, nous sommes d’abord dehors. Comme dit Augustin : « Tu étais dedans ». Il le dit à Dieu : « Tu étais dedans. C’est moi qui étais dehors. » C’est moi qui étais étranger à moi-même, c’est moi qui n’arrivais jamais à joindre mon âme, c’est moi qui étais extérieur à ma propre intimité ; et c’est en toi qui étais dedans, que je suis devenu moi-même.

La dernière consigne de notre Seigneur en nous révélant nous-même à nous-mêmes, en nous donnant la possibilité de nous joindre les uns les autres, nous révèle tout d’un coup qui est Jésus, qui est Dieu comme la respiration de notre cœur, comme l’espace infini où notre liberté s’accomplit, comme ce trésor infini qui peut seul donner à la vie humaine un sens, qui peut seul donner à l’aventure humaine une dimension digne de nous.

Jésus, donc, nous donne rendez-vous dans l’humanité. Jésus nous attend au cœur de l’histoire humaine et cette consigne qu’il nous donne, il va l’illustrer de deux manières infiniment émouvantes et la première, c’est cette leçon de choses qu’il donne à ses disciples au Lavement des pieds.

Comment prouver mieux que le Royaume de Dieu est intérieur à nous-même, que le Royaume de Dieu, c’est nous quand nous l’accueillons, c’est nous quand nous nous vidons de nous-mêmes pour le recevoir, c’est nous quand nous devenons transparents à sa présence et à sa lumière ? Comment le prouver mieux qu’en s’agenouillant lui-même devant ses disciples et en leur lavant les pieds, en faisant à leur égard le geste de l’esclave, ce geste scandaleux, en apparence, ce geste miraculeux, ce geste qui opère la transmutation de toutes les valeurs, ce geste que Pierre d’abord décline : « Mais comment, mais ce n’est pas possible, Seigneur, ce n’est pas possible que tu me laves les pieds ! »

En effet, pour admettre ce geste, il faut renoncer à voir Dieu comme une grandeur extérieure. Pour admettre ce geste, il faut comprendre que la suprême grandeur de Dieu, c’est son humilité, c’est sa charité, c’est son dépouillement dans le mystère de la Trinité divine, c’est son amour illimité. Celui qui aime le plus, c’est celui-là le plus grand. Celui qui peut se donner à l’infini, c’est celui, celui-là qui est Dieu.

Jésus, à genoux, renverse toutes nos grandeurs pyramidales, toutes nos grandeurs de chair et d’orgueil et il nous conduit doucement, tendrement, il nous conduit par cette leçon de choses à l’apprentissage de la vraie grandeur. Il donne au plus petit la possibilité de devenir quelqu’un. Il introduit chacun dans cette aventure infinie qui a Dieu pour centre, pour origine et pour terme. Il supprime entre les hommes ces compétitions mortelles qui aboutissent à la haine et à la guerre parce que, il offre une grandeur qui est possible à tous, une grandeur qui peut être réalisée par chacun au plus intime de son cœur.

Davantage, elle ne peut pas l’être autrement. C’est une grandeur qui nous transforme jusqu’à la racine. C’est une grandeur que l’on devient. C’est une grandeur qui coïncide avec la vie. C’est une grandeur qui rayonne à travers notre présence.

Ce geste du Lavement des pieds qui a été commémoré dans la liturgie d’aujourd’hui, ce geste du lavement des pieds, il nous introduit de la manière la plus profonde au mystère de la Croix. Il nous donne de la comprendre ou à deviner, tout au moins, que la carrière de Jésus puisse se terminer par un échec, que cet échec soit aussi la plus haute révélation de Dieu, parce que ce qui importe à Dieu, c’est justement qu’il apparaisse toujours comme l’amour infini, c’est qu’il persévère dans son amour, même si nous le trahissons, même si nous le renions, même si nous l’abandonnons, même si nous n’opposons que notre indifférence à ses avances.

Son triomphe, c’est d’aimer toujours, d’aimer jusqu’à la mort de la Croix. Nous qui avons tant besoin de grandeur, nous qui, dans ce siècle doté d’une telle puissance sur la matière, nous qui nous demandons comment nous pouvons inscrire notre nom dans l’histoire, ce que signifie notre vie, qui paraît si vaine et si mesquine, nous apprenons ce soir justement que chacun de nous est appelé à une grandeur proprement divine, que la grandeur de Dieu n’est pas autre que celle-ci qui s’exprime dans l’agenouillement du Lavement des pieds.

On imagine Nietzsche. S’il avait compris, si au lieu de s’épuiser à poursuivre une grandeur où, il s’est tendu, où vers laquelle il s’est tendu jusqu’à la folie, s’il avait pu comprendre que justement la grandeur, c’est cela : devenir un espace illimité pour accueillir un amour infini qui se répand sur toute l’humanité et sur tout l’univers.

Nous voulons d’abord nous reposer un instant en faisant une pose, nous reposer un instant dans la contemplation du lavement des pieds en demandant au Seigneur de nous donner soif de cette grandeur authentique, de nous unir tous à nos frères humains, par cette ultime racine qui est lui-même, afin que notre charité ne soit pas simplement une consigne sur le papier, mais qu’elle devienne l’expression authentique et spontanée de notre vie dans cette reconnaissance du Royaume de Dieu intérieur à chacun.

Car là, justement, est le geste qui permet à l’homme de reconnaître l’homme : cette lumière adorable qui nous fait percevoir en toute conscience humaine le sanctuaire de Jésus-Christ qui nous attend et qui nous rassemble ce soir dans son amour.

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