« Ce qui correspond au Dieu trinitaire, ce n’est pas la monarchie d’un souverain mais la communauté des hommes sans privilèges ni servitudes ». [1]
Cette citation du théologien Moltmann montre qu’il y un lien fort entre théologie et rapports humains. La doctrine trinitaire de Moltmann, doctrine sociale de la Trinité, est pertinente pour penser l’anthropologie de l’humain, femme et homme: de même que la femme et l’homme sont un dans leur commune nature humaine au sein d’une différence, de même la Trinité est une dans leur commune nature divine et la différence des personnes.
Pour cela des conditions sont à remplir : penser d’une part la Trinité des personnes divines et d’autre part la relation homme-femme dans une parfaite égalité et ne pas penser Dieu comme un souverain masculin.
Car, si on pense ainsi, nous avons une monarchie divine au ciel qui fonde la souveraineté du pouvoir d’un seul sur terre. Nous avons l'idée aliénante d’un tout puissant souverain du monde qui exige une servitude, une dépendance et qui fonde une souveraineté terrestre, religieuse, morale, patriarcale.
L’enjeu est aussi une question de crédibilité de la foi. Les fausses images d’un Dieu qui aliène l’humain dans sa liberté, ne peuvent qu’être rejetées par nos contemporains.
Il y a un rapport entre les représentations religieuses d’une époque et les régimes politiques. Représentations religieuses et politiques se conditionnent mutuellement.
Si on met en avant un Dieu maitre, propriétaire du monde dont la volonté fait loi, qui dispose de tout, et de la volonté duquel tout dépend, il aura les traits d’un monarque conçu de manière absolutiste. Il sera imaginé parfait, impassible, gouvernant tout et tout dépend de lui.
Ce monothéisme a apporté son soutien au principe de souveraineté impériale. La politique qui correspond à la croyance à ce Dieu là, c’est l’empire de paix de l’empereur romain. Ce qui a conduit à Constantin et a fait passer le christianisme, de religion persécutée, à une religion autorisée, puis religion d’Etat, soutien de l’Etat. (Et à son tour persécutrice !)
Le soutien apporté par le monothéisme était plus absolu que le soutien d’une philosophie. L’unique empereur tout-puissant, devenait image visible du Dieu invisible car lui aussi est maître, propriétaire, et sa volonté fait loi.
« A l’unique roi sur la terre correspond le Dieu unique au ciel». [2]
Faire de la souveraineté divine l’archétype de la souveraineté étatique, ouvrait la voie à un absolutisme au plus haut degré dans l’absence de l’obligation de rendre des comptes, et mettait l’empereur en dehors du droit.
Aujourd’hui l’idée absolutiste ne subsiste que dans l’idéologie de la dictature. Mais celle-ci maintenant n’a plus besoin de la légitimité religieuse pour s’imposer, elle a, à sa disposition, la terreur de la force.
Pour surmonter la transposition du monothéisme religieux en monothéisme politique, il faut surmonter l’idée de la monarchie du Dieu unique sur un mode unique par le Dieu Trinité.
Le regret qu’exprime Moltmann, c’est qu’historiquement, le dogme trinitaire n’ait pas fait échouer cette idée de monarchie divine :
« Aussi longtemps que l’unité du Dieu trine n’est pas conçue trinitairement, mais comme celle d’une monade ou d’un sujet, elle demeure liée à la légitimation religieuse de la souveraineté politique. C’est seulement quand la doctrine de la Trinité surmontera la conception monothéiste du grand Monarque universel au ciel et du Grand patriarche divin du monde que les souverains dictateurs et tyrans de la terre, ne trouveront plus d’archétypes religieux pour se justifier ». [3]
Moltmann cite Whitehead : « l’Eglise a donné à Dieu des attributs qui appartiennent exclusivement à l’empereur. La naissance de la philosophie théistique qui s’est achevée avec l’apparition de l’Islam, a conduit à la représentation de dieu selon l’image du souverain impérial, selon l’image de l’énergie morale personnifiée et selon l’image du principe dernier de la philosophie. Il est permis d’ajouter que cette philosophie théistique représente une philosophie patriarcale à un très haut degré ». [4]
[1] J.M.MOLTMAN, Trinité et Royaume de Dieu , Cerf 1984, CollectionCogotatio fidei n°123, page 249
[2] E.PETERSON, Monotheismus als politisches Problem, in Theologische Traktate, München, 1951, p 91.
Cité dans Trinité et Royaume de Dieu p 241
[3] Trinité et Royaume de Dieu. p 247
[4] [3] A.N. Whitehead, Process and Reality. An essay in Cosmology, New- York 1960 p 520 cité dans Trinité et Royaume de Dieu p 247