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30 novembre 2013 6 30 /11 /novembre /2013 21:33

 

J'ai donné cette intervention lors d'une rencontre de Soeurs du Cénacle et de laïcs collaborateur-trices et ami-es. Il s'agissait d'entrer dans une dynamique de changement. Je le partage sur mon blog car cela peut rejoindre celles et ceux qui ne résignent pas à l'état des choses telles qu'elles sont et travaillent à un autre avenir.

 

Cela évoque en soi quelque chose de dynamique. Le contraire de « faire du sur place », le contraire du statique, de l’immobile. Cela évoque un déplacement, quitter un lieu pour un autre. Un aller qui est orienté, puisqu’il y a le vers. En fait ce « aller vers » et ce sortir évoque ce qui est vivant. Le sortir n’est-il pas le premier acte de nos vies : sortir du ventre maternel pour aller au chemin de nos vies ?

Chemin de nos vies qui est une suite de « sortir » pour « aller vers » : sortie de l’enfance, sortie de l’adolescence. Cela rejoint aussi toutes nos expériences de vraies rencontres qui sont des « aller vers », dans la mesure où elles sont sorties de soi faites d’écoute et de parole, et qui de soi nous transforment, nous font bouger. La vie commune entre deux personnes est aussi de cet ordre. D’autres ici, en parleraient mieux que moi mais on peut dire qu’à l’origine, il y a un aller vers, un quitter. Un aller vers qui transforme au contact de l’autre.

 

Il est nécessaire de tisser cet « aller vers » avec une autre expérience, celle du « demeurer ». Demeurer et aller vers ne sont pas contradictoires si on les conjugue. Pour l’enfant qui naît, demeurer c’est grandir, épanouir l’être qu’il est déjà. Pour un adulte, pour une famille spirituelle comme la nôtre, c’est « élargir l’espace de sa tente » pour être fidèle dans l’aujourd’hui de son histoire au caractère original de son être. Donc un demeurer qui n’est pas statique, qui est d’autant plus un demeurer qu’il peut l’incarner dans la nouveauté des temps de son histoire. Je vais me risquer à un exemple. A la naissance de notre famille spirituelle, il y a : ne pas être seulement une maison d’accueil pour des femmes en pèlerinages mais un lieu de ressourcement pour leur foi. Il y a sûrement dans cet acte de naissance un demeurer fort, quelque chose d’une identité. A ce moment-là, c’était déjà une grande nouveauté que des femmes enseignent la foi, dirigent spirituellement. Il y avait déjà là aussi  un sortir ! Sortir de préjugés, de conceptions figées du rôle des femmes dans la société et l’Eglise. Et puis, il fut un temps, où la société a permis un élargissement de ce « demeurer » : pas seulement accueillir des femmes mais aussi des hommes ! Et bien d’autres élargissements sont devenus possibles. Demeurer et aller vers sont donc solidaires car la vraie fidélité est créatrice. Les défis nouveaux de notre monde, faits de changements profonds, de conflits aigus, de superbes potentialités, nous provoquent à bouger. Et cet aller vers commence dans notre tête, dans nos yeux, dans nos cœurs.

 

Ainsi donc, ce « aller vers », ce « partir » sont au cœur de notre expérience humaine personnelle et également pour le corps, la famille spirituelle que nous formons.

 

Structurant notre expérience humaine, le « aller vers » structure notre expérience de foi en Dieu. Pour comprendre cela, allons du côté du récit de la nativité en Luc. Voici une manière de l’interpréter à la lumière de notre recherche. Des bergers sont aux champs et gardent leurs troupeaux. A l’annonce de l’ange, ils décident de se déplacer, d’aller vers le lieu indiqué, « Allons donc jusqu’à Bethléem » Lc 2/15. Cet « aller vers » physique est un fait signe d’un déplacement intérieur profond qui touche en fait tous les acteurs de ce récit. Ils sont bergers ( et le texte ne nous dit pas qu’ils ne le seront plus) mais l’expérience d’écoute de la parole de l’ange et leur décision d’aller à Bethléem les transforment en  annonceurs de bonne nouvelle quand ils arrivent : « Ils firent connaître ce qu’il leur avait été dit à propos de cet enfant » Lc2/17 et quand il repartent, ils sont devenus des messagers qui ne font que « remercier et chanter les louanges de Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, tel qu’on leur avait annoncé » Lc 2/20. Cet « aller vers » des bergers est source d’un profond déplacement intérieur, devenir disciples et apôtres d’une parole et d’une expérience.

Quand nous contemplons cette scène nous sommes introduits nous aussi à ce même « aller vers », à un déplacement intérieur : quitter nos images de Dieu pour accueillir cette image, cette icône de Dieu qu’est cet enfant.

Et comme elle est difficile cette sortie pour aller vers ce qui est tellement déroutant, cette sortie de nos vieilles idées pour aller vers la nouveauté de Dieu qui se dit dans un enfant et ensuite se dit dans la vie humaine de Jésus. L’expérience de la foi chrétienne est ouverture à une nouveauté inouïe :

Jésus fait tomber les barrières qui interdisent l’accès à Dieu, Il donne la parole à ceux à qui on la refuse,  Il libère les gens d’idées fausses qu’ils se font sur Dieu et les libère de la peur.  Il leur parle de Dieu comme d’un ami. La relation avec Lui est à vivre au cœur de notre vie et non dans des observances et des sacrifices. Son message est à la fois attirant et inquiétant, car cela rend libre mais cela fait perdre des points de repère rassurants. Oui c’est bien un langage nouveau (Mc 1/27) mais insupportable pour certains. Et il me semble qu’un des « aller vers » auquel nous sommes conviés en ce début du 21ème siècle relève de ce défi : retrouver la force provocatrice de liberté de l’Evangile de Jésus. Et c’est un déplacement qui est de taille ! Un « aller » vers Jésus pour irriguer nos vies et celles de nos contemporains du fleuve de liberté qu’Il veut et peut nous communiquer.

C’est sûrement lire l’Evangile autrement. Pour revenir à mes bergers, pourquoi sont-ils dans l’Evangile de Luc, les premiers témoins choisis ? Parce que, dans la société religieuse de leur temps, ils sont considérés comme impurs, mal croyants et mal pratiquants car incapables par leur métier d’accomplir la loi mosaïque. Dès sa naissance, Jésus redonne leur dignité à ces parias. Comme Il le fera pour tous les autres qui ont nom publicains, pécheurs, samaritains et samaritaine, lépreux, aveugles, adultère, prostitués…

N’est-ce pas pour eux qu’Il est venu ? Il le dira à la synagogue de Nazareth : « consacré pour donner aux pauvres, une bonne nouvelle…envoyé annoncer la libération aux captifs, la lumière aux aveugles…libérer ceux qui sont écrasés… » Lc 4/18

Ce faisant, Jésus va au devant d’un conflit avec les forces qui refusent le Royaume qu’Il inaugure. Oser aller vers le conflit par fidélité à l’Evangile, cela fait partie aussi du « aller vers «  de notre recherche.

 

Le nombre de fois où dans les Evangiles, il est question de Jésus qui sort est important, c’est la trace dans la rédaction de ce souvenir du côté mobile de Jésus, un homme en marche qui ne s’installe pas. Le sens le plus fort qui est donné de ce « aller vers de Jésus » est sans doute en Mc 1/38 : « Il leur dit alors : sortons d’ici, allons aux villages voisins pour que j’y prêche aussi ; c’est pour cela que je suis sorti ».

Cette sortie, cet  « aller vers », Jésus en fera une parabole. Sa vie est à l’image d’un employeur qui sort pour embaucher des ouvriers. Il sortira quatre fois de suite pour embaucher. Il le fait sans se lasser et jusqu’à la dernière heure du jour. Car l’essentiel, c’est que personne ne soit exclu de la joie du Royaume, et reçoive l’unique denier de son amour. Un amour que personne ne mérite, mais qu’on reçoit par la gratuité de son cœur.  Il le dira aussi avec l’image du paysan qui sort pour semer sans se soucier de la déperdition des grains sur les mauvais terrains de nos vies car l’essentiel est que certains rejoignent le meilleur de nous même.

Sortir pour semer, sortir pour embaucher.

Sortir aussi pour rejoindre des pays méprisés comme la Samarie oùIl se met à l’écoute d’une femme ayant soif d’un vrai dialogue sans domination

Sortir, descendre de la montagne, du lieu de son intimité avec le Père,  envoyé par Lui pour remettre debout celui que l’on ne voit plus.

 

Sortir comme un berger à la recherche de sa brebis, sortir à la rencontre d’hommes et de femmes à guérir, en fait, sortir pour la fête.

Sortir en territoire païen et rencontrer la syro- phénicienne qui Le provoque à sortir de son projet initial qui était de ne s’adresser qu’à Israël.

 

Mais c’est Jean qui nous fera entrevoir le sens profond de cette sortie ou plutôt d’où Il sort.

« Je suis sorti de Dieu pour venir ici. C’est Lui qui m’a envoyé et je ne suis pas venu de moi-même » Jn8/42

« Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde » Jn16/28

Il y a donc en Dieu un « aller vers » qui a pris visibilité humaine en cet homme Jésus. Cet « aller vers » qu’Ignace de Loyola fait contempler dans les Exercices spirituels ( n°101 à 109). Cette contemplation montre la Trinité tournée vers ce monde, le regardant avec l’attention de l’amour, se réjouissant de ses joies, se désolant de ses malheurs, et ne se résignant pas à ces dernières au point de décider l’Incarnation. Ici Ignace n’a pas pu se libérer d’une théologie qui ne voit l’Incarnation qu’en réponse au péché. D’autres théologies sont possibles pour répondre au « Cur Deus homo ? » (Pourquoi Dieu s’est-Il fait homme ?)  Mais retenons que la contemplation proposée par Ignace, montre bien que cet « aller vers » de l’Incarnation est un souci, un engagement de la Trinité. J’ai envie de dire : Dieu le paye de sa personne. Et il faut aller jusqu’à dire : cela change Dieu, puisque toute rencontre change les partenaires d’une relation et cela nous change puisque notre humanité est déifiée.

 

Mais cet « aller vers » notre humanité pour devenir l’un de nous s’il est sommet et visibilité en histoire, n’est pas le seul « aller vers » de Dieu. Il y a aussi le « aller vers » de la création. Dieu est Etre débordant, dont la richesse ne se vit pas en possession mais en débordement, qui va avec soi-même au-delà de soi, communication de soi, qui se donne en partage, en soi éternellement créateur. Dire cela c’est dire Dieu en mouvement. C’est Le penser radicalement différent de philosophies qui Le pensent immuable. En créant, Il se donne, Il se communique Lui-même et de ce fait tout homme, toute femme depuis l’émergence de l’humain jusqu’à la fin de l’histoire a eu accès à Dieu même, a accès, aura accès. Dieu est vers nous, Il est pour nous radicalement et gratuitement. La manière la plus simple de le dire c’est que l’Amour est Dieu. Aimer, c’est forcément aller vers, sortir de soi pour être lié à un autre. Il y a « l’aller vers » du Fils un jour du temps en Son Incarnation et il y a « l’aller vers » de l’Esprit en toute histoire humaine. Esprit qui ouvre à Dieu, porte d’entrée de Dieu en tout temps et en tout lieu où Dieu Se révèle et Se communique. Source intérieure qui fait accéder à la liberté, qui introduit à la vérité toute entière. C’est Lui qui fait sortir de toute étroitesse, qui suscite les décisions libératrices comme celle qu’a vécue la 1ère communauté chrétienne en accueillant les païens.

S’Il est pour nous communication gratuite de Lui-même, ouverture et don de soi, tourné vers nous, c’est qu’Il l’est en Lui-même. Ainsi nous  pouvons un peu approcher le mystère de Dieu même. Il est « aller vers » en Lui-même. Trinité de relations. Aller vers mutuel des Trois. Don mutuel et accueil mutuel. Car ce que Dieu est pour nous, il l’est en Lui-même.

 

Nous approcher de ce mystère pour en vivre. A notre tour, avancer au large, jeter les filets Lc5/4, avec la question : où veut-Il que nous allions, que veut-Il que nous fassions ? Le suivre, entraînés dans le même pas, le même regard, le même risque.

Nous laisser déplacer, quitter des certitudes et le rivage rassurant, nous laisser transformer selon sa vérité, tout quitter, partir vers l’inconnu

Apprendre de lui le décentrement, l’ouverture, la rencontre, la force pour vaincre nos résistances pour vivre l’inattendu comme les disciples d’Emmaüs. Se laisser toucher par l’attente des foules, regarder l’autre tel qu’il est.

Sortir à la rencontre, se faire proche des plus éloignés, quitter des repères, être disponible à ce qui vient

 

Annoncer la Bonne nouvelle avec les formidables techniques de communications que nous offre l’aujourd’hui de notre histoire. Un aller, aussi, vers  ces nouveaux outils.

 

Comme Lazare qui sort du tombeau à l’appel de Jésus, comme au Cénacle, sortir de tout ce qui n’est plus source de vie, d’une manière d’être qui ligote, se laisser délier afin de pouvoir délier à notre tour et collaborer ainsi à la libération de l’être tout entier.

 

Mais pour cela toujours davantage, sortir vers Lui, Le laisser nous prendre avec Lui.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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