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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 16:16

  

Après l’introduction, voici maintenant le début de la première partie avec les 3 premiers chapitres  de mon travail sur l’encyclique Mulieris dignitatem

 

1ère partie :

Lecture attentive et questionnante de la réponse de Mulieris Dignitatem


Il y a donc émergence d’un nouveau rapport homme-femme,  de domaines nouveaux,  en particulier pour les femmes, où investir leurs capacités créatrices, mais aussi de résistances, tant ces bouleversements contestent des privilèges, des conservatismes sociaux et religieux. Ces bouleversements font bouger les manières de concevoir la différence du féminin et du masculin.  Face à ces bouleversements, quels sont les positionnements du Magistère romain ?   J’ai choisi pour cela d’analyser la lettre encyclique Mulieris dignitatem du pape Jean-Paul II du 15 août 1988.

Dans cette première partie je vais suivre le texte pour en rendre compte le plus fidèlement possible, et pour « dialoguer » avec lui, un dialogue qui ira jusqu’au questionnement, ceci pour le texte lui-même mais aussi pour le choix des citations. 

1-Un signe des temps

La lettre encyclique commence par situer sa réflexion, en phase avec ces bouleversements de la situation des femmes, par le terme de « Signe des temps ». Cette expression avait été utilisée par Jean XXIII dans son encyclique Pacem in terris . Elle fut reprise par le Concile Vatican II dans la Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, Gaudium et spes.  Mettre cette expression au début de la lettre permettait d’espérer un langage nouveau. En effet pour Jean XXIII, cela signifiait que l’Eglise devait tenir compte, pour annoncer l’Evangile, des changements qui se produisent dans l’histoire de l’humanité et discerner ce qui indique une action de Dieu. Le Concile présentera cette attitude comme un devoir : « L’Eglise a le devoir, à tout moment, de scruter les signes de temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile » (Gaudium et spes, n°4 § 1,) Cette expression permet d’introduire l’histoire dans la réflexion théologique et de recevoir d’elle un enseignement.

Il est intéressant pour notre recherche de remarquer les passages de la Constitution Gaudium et spes auxquels nous sommes renvoyés dans la lettre.  Il s’agit des numéros 8,9 et 60 de cette Constitution. Le numéro 8 évoque les déséquilibres du monde moderne (donc du côté critique des évolutions en cours), puis  les tensions au sein de la famille dues aux nouveaux rapports sociaux qui s’établissent entre homme et femme (donc encore du côté problématique de ces bouleversements).  Par contre le numéro 9 évoque comme légitime et universelle, l’aspiration des femmes à la parité de droit et de fait avec les hommes (paragraphe 2). Le chapitre 60 insiste sur le droit à la culture sans distinction « de race, de sexe, de nation, de religion ou de condition sociale » pour que chacun puisse atteindre son plein épanouissement. Il est reconnu que des conditions de vie et de travail de certains peuvent empêcher l’accès à la culture et que le fait d’être une femme est pour beaucoup un obstacle à cet accès. Le Concile, à l’encontre de cette situation, affirme le devoir de tous de reconnaître la participation des femmes à la vie culturelle et de la promouvoir. Ce passage, cependant, n’est pas sans ambiguïté. Cela veut-il dire que le fait que  « les femmes travaillent à présent dans presque tous les domaines d’activité » (Gaudium et spes n° 60 §3) puisse être un obstacle à leur participation à la culture ? Cela ne serait pas cohérent avec l’affirmation que c’est à l’accès aux études supérieures qui permet de travailler dans tous les domaines d’activité, qui permet de pouvoir occuper des fonctions,  jouer un rôle, et rendre des services dans la vie sociale (Gaudium et spes n° 60 §2)  Plus étonnant encore est l’absence du passage le plus fort de Gaudium et spes :

« Toutes formes de discriminations touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elles soient sociales ou culturelles, qu’elles soient fondées sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu. En vérité, il est affligeant de constater que ces droits fondamentaux de la personne ne sont pas partout garantis. Il en est ainsi lorsque la femme est frustrée de la faculté de choisir librement son mari ou d’élire son état de vie, ou d’accéder à une éducation et une culture semblable à celle que l’on reconnaît à l’homme ». (Gaudium et spes n° 29 §2 )

Par contre  le Concile est cité quand celui-ci parle d’une participation nécessaire des femmes à la vie culturelle mais devant se faire de manière spécifique. Cette idée de spécificité du féminin, nous allons le retrouver partout dans la lettre encyclique. Cela rejoint les débats sur la plus ou moins grande importance qu’on peut accorder à la différenciation des sexes. La lettre se veut une réponse à cette question de la différenciation et en particulier une réponse au synode des évêques demandant qu’en soient approfondis les fondements anthropologiques et théologiques.( SYNODE DES EVEQUES, la vocation et la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde, vingt ans après le Concile Vatican II, octobre 1987 )  Cette recherche de fondements anthropologiques a, nous le verrons, une visée ecclésiologique : justifier des vocations différentes selon le sexe.

2- L’être humain existe toujours et uniquement comme femme et comme homme

L’expression des signes des temps, nous avait introduits dans l’histoire, la fin du paragraphe 1, nous ramène à l’éternel.

« Il s’agit de comprendre la raison et les conséquences de la décision du Créateur selon laquelle l’être humain existe toujours et uniquement comme femme et comme homme. »( Mulieris dignitatem, chapitre 1 n°1 Dans le cours de ce travail, cette lettre sera désignée par MD) Faire appel à « la décision du Créateur » et au « toujours » de cette condition, nous place d’emblée dans une normativité absolue et éternelle qui ne prête à aucun débat et ne peut souffrir aucun changement. Cette position peut s’appuyer sur le texte de la Genèse qui décrit un acte de Dieu : « Faisons l’humain en notre image, comme notre ressemblance…Et Elohîm créa l’humain, mâle et femelle, il les créa » ( Livre de la Genèse, chapitre 1 versets 26 et 27. Traduction d’A. WENIN, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain, Paris, Cerf, 2007, p 19). De fait, cet exister comme femme ou homme est une réalité qui prête difficilement à contestation (sauf par quelques courants extrémistes Par exemple J.BUTLER, Trouble dans le genre, Pour un féminisme de la subversion,  La Découverte, Paris, 2005). Mais le débat commence quand on cherche les  raisons et conséquences, quand on commence à qualifier cette différence de l’humain, femme et homme et surtout quand on attribue, en raison de cette qualification, des fonctions, des vocations différentes. La lettre encyclique la considère comme vérité éternelle, héritage fondamental, expérience immuable pour chaque être humain. Mais est-ce cette différence ou la manière de la comprendre et de la qualifier qui est vérité éternelle et expérience immuable ?

3-Une différence dans le mystère du Christ et selon le modèle de Marie

Cette différence ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Christ. Le Christ manifeste l’homme (homo) à lui-même (Gaudium et spes n° 22)  et fait entrevoir une place particulière pour la « femme » que fut la Mère du Christ, sur sa dignité et sa vocation. Dès ce paragraphe, sont posés les principes qui vont régir, tout au long  cette lettre encyclique, la qualification de cette différence (tout au moins, explicitement,  du côté du féminin) et qui se poursuit au chapitre II avec ce titre significatif : Femme. Mère de Dieu (théotokos). Parler en premier de Marie c’est délibérément vouloir faire d’elle, un modèle pour la femme. Nous avons là un premier principe épistémologique. Puisque Marie est une femme, elle est modèle de la femme. C’est faire de la sexualité un principe d’identification. Mais est-ce légitime ? Adopter ce principe amène à une double privation. Les hommes (viri) ne pourraient pas s’identifier à Marie, car n’ayant pas son sexe. Les femmes ne pourraient pas s’identifier au Christ, car n’ayant pas son sexe. Le texte évite cet écueil en ce qui concerne les hommes (viri). En effet à de nombreux endroits, le texte fait état de la position mariale des hommes (viri) « L’union particulière de la ‘Theotokos’ avec Dieu…accordée à tout homme (homo) est grâce pure et, comme telle, un don de l’Esprit »( MD 3) . Aux hommes (viri) à la fois la position mariale de l’union à Dieu, en état de réceptivité de par leur être créé (donc identification sans tenir compte du sexe) et aussi l’identification au Christ par leur masculinité (en tenant compte du sexe). Aux femmes uniquement la position mariale :

« La plénitude de grâce accordée à la Vierge de Nazareth en vue de sa qualité de ‘Theotokos’ signifie en même temps la plénitude de la perfection de ‘ce qui caractéristique de la femme, de ‘ce qui est féminin’. Nous nous trouvons ici, en un sens, au point central à l’archétype de la dignité personnelle de la femme » (MD 5).

Le deuxième élément de l’identification concerne  la maternité. La maternité de Marie (Theotokos, Mère de Dieu) définit la femme essentiellement comme mère. La maternité est la manière spécifique de la femme d’habiter cette position mariale :

« La plénitude de grâce accordée à la Vierge de Nazareth en vue de sa qualité de ‘Théotokos’ signifie donc en même temps la plénitude de la perfection de ‘ce qui est caractéristique de la femme’ de ce qui est féminin. Nous nous trouvons ici, en un sens, au point central à l’archétype de la dignité de la femme…  La réalité femme-Mère de Dieu…détermine aussi la perspective essentielle sur la dignité et sur la vocation de la femme »( MD 5)

4- La femme est autant image de Dieu que l’homme

Vient ensuite le chapitre 3 qui a pour titre « Image et ressemblance de Dieu », comme base immuable de toute l’anthropologie chrétienne se fondant sur les premiers chapitres de la Genèse. Je développerai dans la deuxième partie de mon travail la nouveauté qu’apporte ce chapitre. Mais pour l’instant au niveau d’une lecture continue et questionnée de cette lettre, je pointerai seulement quelques éléments. Il y a  une affirmation sans ambiguïté de la commune humanité de l’homme et de la femme « à un degré égal, tous les deux, créés à l’image de Dieu » ( MD 6). Ils sont « personne et cela dans la même mesure pour l’homme et pour la femme ». De ce fait, ils sont, tous les deux, êtres de raison en capacité et vocation à « dominer » le monde. Cette justesse anthropologique peut cependant surprendre. Rationalité et domination (il faudrait plutôt parler aujourd’hui, de gestion respectueuse) ouvre des champs immenses de l’activité humaine : tous les domaines du politique, de l‘économique, du social etc.… où tout homme, toute femme peut s’épanouir au service de ce monde.( Il est intéressant de remarquer que la Tradition a peu ou pas remarqué que cette gestion du monde est vocation pour la femme comme pour l'homme.) Dans le sens des signes des temps du chapitre premier, il aurait été important de reconnaître le bien-fondé du progrès que représente l’accès de femmes à ces domaines de responsabilités. Pourquoi ce silence ? La thèse de la lettre encyclique est de définir la femme comme épouse, mère et vierge. Est-ce là le domaine unique où elle peut exercer la rationalité et la « domination » ?

Ensuite vient une prise de position exégétique que l’on peut interroger. D’abord en affirmant que Gn 2/18-25 aiderait à bien comprendre Gn1/27-28, à comprendre plus profondément la vérité sur l’homme créé à l‘image de Dieu. De plus ces deux récits sont dits non contradictoires. Cette position est problématique. Il serait plus vrai de dire que le premier récit doit corriger ce qui dans le second peut être, et a été, interprétation discriminatoire pour les femmes.  Et reconnaître qu’il a donné l’occasion d’interprétation défavorable aux femmes. Ne pas le dire fait croire que de tout temps l’Eglise a interprété ce 2ème récit comme fondant l’égale image de Dieu pour la femme comme pour l’homme. Nous savons qu’il n’en est rien.  Il n’en est rien d’abord dans le Nouveau Testament lui-même.

En 1Co11/7-8 :

« L'homme, lui, ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et le reflet de Dieu; quant à la femme, elle est le reflet de l'homme.Ce n'est pas l'homme en effet qui a été tiré de la femme, mais la femme de l'homme; et ce n'est pas l'homme, bien sûr, qui a été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme. »

En 1Tm 2/12-14 :

« Je ne permets pas à la femme d'enseigner ni de faire la loi à l'homme. Qu'elle garde le silence. C'est Adam en effet qui fut formé le premier, Eve ensuite. Et ce n'est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme qui, séduite, se rendit coupable de transgression. »

Il n’en est rien dans  toute la tradition ultérieure qui s’est régulièrement référée à ces citations néotestamentaires et à leurs interprétations comme nous le verrons dans la 2ème partie de ce travail.


 

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