Voici la suite et la fin de la première partie de l’analyse de l’encyclique Mulieris Dignitatem ( abrégé en MD suivi du numéro quand je fais une citation)
La suite des articles montrera comment cette pensée par certains côtés est en heureuse rupture avec la pensée classique et en quoi, malheureusement, elle est en continuité.
5-Eve et Marie
Dans le chapitre IV qui a pour titre Eve et Marie, ce passage de la Première lettre à Timothée est curieusement cité à la fois pour dire qu’il y aurait une répartition des rôles dans la description du premier péché ( donc accréditant une part d’initiative malheureuse d’Eve) et pour dire que c’est le péché de l’être humain homme et femme. Ce faisant, il est passé sous silence que cette répartition des rôles décrite dans Gn 3/1-5 et reprise en Tm 2/12-13, a été utilisée pour justifier le silence des femmes et leur interdiction d’enseigner.
La lettre encyclique d’ailleurs semble accréditer cette part particulière de responsabilité d’Eve en la mettant dans le titre du chapitre IV qui aborde le mystère du péché et ses conséquences. Le texte cite Gn 3/16 où Dieu dit à la femme les souffrances de l’enfantement, la convoitise envers le mari et la domination de celui-ci sur elle. Dans le texte biblique, ces paroles sont attribuées à Dieu. Mais de quel ordre sont-elles ? Serait-ce un jugement qui prescrit la peine due au péché ? Dans ce cas, elles seraient légitimes et elles devraient peser sur les femmes jusqu’à la Parousie, justifiant la domination masculine comme conséquence d’un jugement de Dieu. Ou au contraire seraient-elles un constat de la situation de désordre produite par la convoitise et que Dieu ne peut que constater et déplorer ? (MD 9) Dans ce dernier cas , il est légitime de combattre ces souffrances comme une forme d’injustice.
Curieusement le texte dissocie ces trois éléments sans donner de raison : la souffrance de l’enfantement est qualifiée de « peine » due au péché(Faudrait-il comprendre alors , que l’accouchement doit rester une souffrance pour les femmes, comme marque de cette punition due au péché ?), tandis que la convoitise et la domination sont décrites comme conséquences de la rupture de l’harmonie initiale. Il y a perte « de stabilité de l’égalité fondamentale que possèdent l’homme et la femme dans l’unité des deux » (MD 10)
Mais cette perte de l’égalité se fait au détriment de la femme. Pouquoi ? Le texte ne le dit pas. Si l’on interprète Gn 3/16 comme la peine que Dieu inflige à Eve pour sa désobéissance, cela se comprend. Si on l’interprète comme une conséquence du désordre introduit par le péché, cela ne permet pas de comprendre pourquoi cela se fait « surtout au détriment de la femme »( MD 10).
Ce paragraphe 10 comporte pourtant des paroles fortes sur la discrimination dont souffrent les femmes, sur la nécesité de la conversion et sur la force de la révélation de la commune image de Dieu de l’homme et de la femme pour combattre ces injustices. Ce combat fait partie intégrante du « vaste contexte des droits de la personne humaine »( MD 10).
Cependant, dans la pensée de l’auteur de l’encyclique, cette opposition légitime ne doit pas conduire à nier les différences entre ce qui est masculin et féminin. Comment ces différences sont-elles exprimées ? Il s’agirait de caractéristiques, d’originalité, de richesses, de ressources qui sont propres à l’un et à l’autre. L’épanouissement, la dignité et la vocation de l’un et de l’autre devrait tenir compte de ces caractéristiques propres. Dans le cas de la femme, ne pas tenir compte de cela conduirait à une « masculinisation », à une appropriation des caractéristiques masculines.
Nous avons dans ce paragraphe un positionnement majeur de cette lettre encyclique. Elle pose la différence sexuelle comme un critère discriminant de vocation. Dans une commune humanité, l’homme et la femme auraient des vocations différentes. Mais quelles sont ces caractéristiques que la femme ne devrait pas « s’approprier » ? Pourquoi ce désir d’appropriation n’ a-t-il pas d’équivalent chez les hommes ? (et qui serait le désir de l’homme de s’approprier les caractéristiques féminines). Quelles vocations sont interdites aux femmes car préjudiciables à leur féminité ? Le texte à cet endroit ne le dit pas précisement .( En se limitant à la situation française, peut-on dire que l’accès de femmes à presque tous les postes autrefois réservés aux hommes est une appropriation de caractéristiques masculines ? Il faut se rappeler que l’argument récurrent des opposants à l’élargissement des droits des femmes a souvent été que cela les masculiniserait. Si elles avaient le droit de voter, cela leur ferait perdre leur féminité, si elles devenaient médecin, etc…) Plus haut, j’ai déjà repéré des éléments de réponse : la spécificité de la féminité se trouverait dans la maternité. Plus loin, nous trouverons un autre élément qui est l’impossibilité de la vocation presbytérale.
Toujours dans ce chapitre 4 la réflexion se tourne à nouveau vers Marie et amorce l’analogie qui va servir à distinguer ce qui relève du féminin et du masculin dans le mystère du salut, comme justication d’une différenciation.
La lettre encyclique cite le protévangile : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le tien. Il t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon ». Ce verset a été interprété par la tradition (Le texte donné en note par exemple : IRENEE de LYON, Adversus Haereses, III, 23, 7 ) comme l’annonce de la rédemption et compris cette fois-ci de manière positive pour Eve comme ancêtre du Christ et Marie comme mère du Christ. Elles deux, figures de femmes « se rejoignent sous le nom de la femme »( MD 11) Ainsi ces paroles du protévangile relues à la lumière du Nouveau Testament exprimeraient la mission de la femme. La lettre encyclique a conscience de la nouveauté de sa lecture concernant la comparaison Eve-Marie en ne mettant pas ici Eve du côté du péché. (Comme exemple de l’opposition Eve-Marie, voir le texte cite JUSTIN, Dialogue avec Tryphon, 100). Il valorise au contraire leur ressemblance. Eve, mère de tous les vivants (Gn3/20), témoin du commencement et Marie, témoin du nouveau commencement. Le protévangile, mettant en relief la femme au commencement, permet de comprendre qu’en Marie, il y a le nouveau commencement de l’alliance nouvelle et définitive de Dieu avec l’humanité. Ceci constitue la « nouveauté absolue de l’Evangile» ( MD 11). Dans l’Ancien Testament, seuls des hommes étaient témoins de l’alliance avec Dieu. Ici c’est une femme, Marie. C’est le signe qu’en Jésus-Christ, « il n’y a plus ni homme ni femme » citant Ga3/28.
Cependant cette comparaison entre Eve et Marie se comprend dans le sens où Marie « assume en elle-même et fait sien le mystère de la femme dont le commencement est Eve, la mère des vivants » (MD11) La signification de l’analogie Eve-Marie, serait de retrouver en Marie la femme telle que Dieu l’a voulue dans la création, « dans la pensée éternelle de Dieu » (MD 11). Marie est donc le nouveau commencement de la dignité et de la vocation de la femme, de toutes les femmes et de chacune d’entre elles.
Nous avons ici encore la thèse principale de cette lettre qui est la mariotypie : Marie comme modèle pour les femmes. Quand Marie dans son Magnificat dit que Dieu a fait de grandes choses en elle, cela ne concernerait pas uniquement la conception du Christ mais cela concernerait aussi la découverte de la richesse de la féminité, « de l’originalité éternelle de la femme telle que Dieu l’a voulue ».
6-Le comportement du Christ à l’égard des femmes de son temps
Ce chapitre V met bien en évidence le comportement de Jésus vis-à-vis des femmes de son temps, comportement différent de celui de ses contemporains. La lettre encyclique reconnaît que la société où Jésus vivait avait une tradition discriminatoire à l’égard des femmes, tradition où l’homme dominait. Cette discrimination est reconnue comme péché. Si Jésus s’y oppose, c’est qu’il est « Témoin du dessein éternel de Dieu sur l’être humain » (MD 12). Ce chapitre est un vaste panorama des rencontres de Jésus avec des femmes qui va toujours dans le sens de leur dignité. Mais à l’intérieur de cette description, il y a des prises de position à nouveau sur le spécifique féminin lié au mariage et à la maternité. Le texte parle de « sa disponibilité à l’accueil de la vie inscrite dans son éthos dès le commencement » (MD 14) La manière d’interpréter l’Evangile de la femme adultère est intéressante à ce niveau. En sauvant la vie de cette femme, le texte met le Christ en position d’Adam à qui la femme fut confiée « dans sa différence féminine et sa capacité d’être mère » (MD14) Ce qui permet à nouveau de parler de la femme en contexte conjugal. En évoquant la cananéenne, il est noté que les femmes comprennent le Christ « dans une réceptivité de l’esprit et du cœur » (MD15) et d’une manière générale la femme a montré vis-à-vis du Christ, « une sensibilité qui correspond à l’une des caractéristiques de sa féminité ».
En ce qui concerne la transmission par le Christ de la vérité divine aux femmes, il est bien signalé qu’elle s’est faite sur un pied d’égalité avec les hommes. Il est donc noté que l’attitude de Jésus confirme l’égalité de l’homme et de la femme, une parité fondée sur la création à l’image de Dieu. Tous les deux sont susceptibles de bénéficier de la vérité divine sans restriction du fait d’être homme ou femme. Mais on peut remarquer que la parité se situe au niveau de la réception du message de son accueil. L’est-il au niveau actif de son annonce ? Le texte y fait seulement mention de manière discrète.
7-La personnalité de la femme se réalise en étant épouse et mère
A nouveau Marie est présentée aux femmes comme modèle puisqu’en elles coexistent la maternité et la virginité qui seraient les deux voies de la vocation de la femme. Le rôle de la femme serait de s’ouvrir à l’enfant à naître. L’enfant est le fruit de l’union nuptiale dans lequel la femme réalise « un don de soi » (MD18) spécial. C’est dans la conception et l’enfantement que la femme « se trouve » (MD 18) . Pour l’encyclique, la capacité de la femme à la maternité n’est pas seulement un élément biophysiologique, « La maternité est liée à la structure personnelle de l’être féminin et à la disposition personnelle du don » (MD 18). Pour fonder cela, le texte utilise la parole de Marie à l’annonciation : « Qu’il m’advienne selon ta parole » (Lc 1/38). Ces paroles signifieraient la disponibilité de la femme au don de soi et à l’accueil de la vie nouvelle. Mais n’est-ce pas réduire le sens du texte à la maternité au détriment de l’attitude fondamentale de foi requise pour tous et toutes ? N’est-ce pas réduire à la maternité ce qui relève uniquement d’un acquiescement au mystère du salut ?
La maternité est présentée comme un rôle particulier et le plus exigeant parce qu’être parent concernerait plus particulièrement la femme. La maternité en créant un contact particulier avec l’enfant à naître créerait en elle une manière d’être particulière, elle développerait en elle une plus grande attention à la personne humaine concrète. Le rôle de la mère dans l’éducation serait donc plus décisif que celui du père, la mère ayant une priorité spécifique par rapport à l’homme. Vient ensuite une affirmation ambiguë : « La maternité, avant tout dans son sens biophysique dépend de l’homme ». A-t-on ici encore trace de la conception erronée d’Aristote qui ne voyait le principe actif que dans la semence virile ? La suite du texte semble le confirmer puisque la maternité est qualifiée d’apparente passivité.
Marie est aussi modèle de la virginité consacrée puisqu’elle était « fermement résolue à conserver sa virginité » (MD 20). La virginité est donc aussi vocation de la femme. Une voie où elle peut épanouir sa personnalité de femme, car elle exprime aussi un don désintéressé à Dieu. Comment le comprendre si ce qui fait le propre de sa vocation est d’être épouse et mère ? La lettre encyclique répond en mettant le Christ en position d’époux vis-à-vis de la femme consacrée. Le célibat consacré de la femme est don au Christ Epoux. « On ne peut comprendre correctement la virginité, la consécration de la femme dans la virginité, sans faire appel à l’amour sponsal » (MD 20)
La prédisposition innée de la personnalité féminine à la condition d’épouse trouverait ainsi une réponse dans la virginité» (MD 20) Le point commun de la vocation de la femme serait d’être épousée et d’être mère que ce soit dans le mariage ou la vie consacrée.
L’introduction au chapitre 1 semblait s’ouvrir à une dimension historique par la notion de signe des temps. Le dernier chapitre de cette lettre encyclique (MD 31 chapitre VIII) se termine en affirmant que face à des changements, il faudrait revenir aux fondements qui se trouveraient dans le Christ, aux vérités et aux valeurs immuables dont le Christ serait le témoin. Le Christ est l’époux, l’Eglise est l’épouse. Cette analogie est « la vérité sur la femme en tant qu’épouse. L’époux est celui qui aime. L’épouse est aimée : elle est celle qui reçoit l’amour pour aimer à son tour » (MD29) Ceci, pas seulement dans le mariage car il s’agirait d’un universel fondé sur le fait d’être femme. La femme aurait donc reçu mission d’être prophète de cette attitude de réceptivité de l‘amour, « être aimée », qui, dans la Vierge Marie trouverait son expression la plus haute.
Cette lecture attentive a déjà permis de pointer des éléments importants de cette lettre encyclique et sa manière particulière de penser la différence. Les bouleversements historiques ne pourraient remettre en cause ce qui est d’un ordre naturel voulu par Dieu. Cette différence est qualifiée et elle déterminerait des vocations différentes selon qu’on est une femme ou un homme. La femme serait du côté de l’accueil du don et non de son initiative. Elle serait fondamentalement épouse et mère que ce soit dans le mariage ou spirituellement dans le célibat consacré. Le paradigme de sa féminité serait la Vierge Marie.
La 2ème partie de ce travail va faire un pas de plus dans l’analyse de cette lettre encyclique en montrant de quelle manière elle comporte des éléments de rupture avec la pensée classique et en quoi elle reste en continuité avec elle.