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14 décembre 2011 3 14 /12 /décembre /2011 17:10

CatViaLatinaSamaWomanWellCette article est une présentation d’un chapitre du livre de

Sandra M. Schneiders, Le texte de la rencontre paru aux Editions du Cerf dans la collection: “cogitatio fidei” n°161.

 

Dans ce chapitre, elle donne une interprétation de l’Evangile de la samaritaine ( Jean 4, 1 à 43)

 

Son  livre est  une recherche d’herméneutique biblique, c’est à dire portant sur l’interprétation de la Bible. Une Interprétation intégrative et transformante : quelle est la vérité intrinsèque au texte pour des lecteurs-trices croyant-es et disciples d'aujourd'hui?

Quel univers se dégage de ce texte pour inviter lecteur et lectrice à une transformation en y participant?

 

1-Approche historique: Ce n’est pas un événement de la vie de Jésus. Car c’est en contradiction avec Lc 9/52 où on nous dit que les samaritains ont refusé de recevoir Jésus et avec  Mt 10/5  où il interdit aux disciples d'aller en Samarie.  Ac 8 rapporte ce qui semble être une 1ère  mission. C'est donc un texte de légitimation de la communauté chrétienne samaritaine qui indique leur place importante dans la communauté johannique et leur volonté d'égalité entre juifs et samaritains. Le dialogue de Jésus avec cette femme fait écho aux controverses de ces deux groupes : oui, le salut vient des juifs mais il s'agit maintenant pour tous d'adorer en esprit et vérité.

2-Approche littéraire C’est un récit typique, sa narration se conforme à un modèle biblique reconnu, la rencontre d’une femme et d’un homme :

-Gn24/10-61 pour Rébecca et Isaac;

-Gn29/1-20 pour Rachel et Jacob;

-Ex2/16-22 pour Cippora et Moïse;

-la mention du puits de Jacob : Jésus déjà identifié à un époux à Cana qui procure le bon vin;  désigné comme époux par Jean-Baptiste Jn3/27. Dans ce contexte, on peut lire ce récit comme Jésus, nouvel époux qui vient réclamer la Samarie comme son épouse.

Thème d'un mariage et toute une symbolique de fécondité : puits, eau, vases, champs fertiles, semence, moisson. En contraste avec la rencontre avec Nicodème qui vient de nuit, ici nous sommes en plein midi et cela dit l’accueil de la révélation et la réussite de l’évangélisation par son témoignage.

3-La pointe théologique du récit : la mission

La conversation des disciples avec Jésus porte sur la mission (v31-38).  La faim de Jésus a été comblée par cette conversation et ce qui en est suivi : le départ de cette femme pour évangéliser. La Samarie est ce champ pour la moisson. Le résultat, c'est la venue à Jésus des gens de la ville, grâce au témoignage de la femme (v39) et qui le fait reconnaître comme sauveur. Donc la question importante est celle-ci: quelle est l'identité et quel est le rôle de la Samaritaine dans ce récit missionnaire ?

4-Identité et rôle de la samaritaine, une apôtre-disciple:

La plupart des commentaires sont des banalisations : image d’une femme qui est en faute dans sa vie sexuelle. Cette banalisation a pour effet de voir les hommes seuls ayant reçu charge par Jésus de porter l'évangélisation. Cette femme est un personnage symbolique, une « figure représentative». Comme le disciple bien-aimé, l’officier royal, le paralysé, l’aveugle-né qui n'ont pas de nom pour pouvoir représenter des collectivités sans perdre leur particularité. Ici elle symbolise

-les samaritains qui ont reçu la foi au Christ

-le nouvel Israël qui est donné à Jésus-Epoux.

 

D'un bout à l'autre du dialogue nous sommes dans le domaine de la foi et donc l'histoire des cinq maris doit être lue dans le même registre de foi.. Les questions sur la foi que pose la samaritaine ne sont pas là pour masquer son passé douteux. Elle l'interroge sur son infraction à la tradition juive (s'adresser publiquement à une femme et vouloir utiliser un ustensile samaritain) Elle l'interroge sur sa prétention à se faire plus grand que Jacob. Ensuite l'ayant reconnu comme prophète, elle l'interroge sur le lieu du culte. Elle mène une enquête sur l'identité de Jésus dont l'enjeu est de savoir s'il est le Messie. Cela permet à Jésus de révéler le vrai culte qui est en esprit et vérité. Cela la confirme dans son intuition qu'il est le Messie. Il la confirme mais en lui révélant qu'il est plus que le Messie attendu, qu'il est « Ego eimi », L'appellation que les samaritains préfère pour parler de Dieu, car issue de la tradition mosaïque Ex3/14 ( C'est le 1er emploi de la formule révélatoire « Je Suis » en Jn. ) Nous sommes donc en face d'un examen théologique rigoureux qu'une femme fait passer à Jésus. C'est dans ce contexte et non hors de lui qu'il faut interpréter la question des cinq maris. Cette question est partie prenante de cet échange hautement théologique. Nous sommes en plein cœur de la symbolique chère aux prophètes : l’idolâtrie conçue comme un adultère. Infidélité du peuple à son époux qui est Dieu. Le signe de cette infidélité pour la Samarie était l'acceptation du culte aux faux dieux de cinq tribus étrangères (cf : 2R17/24-41.) Son culte était souillé par ces faux cultes symbolisés ici par les cinq maris. Et donc le mari qu'elle a, c’est à dire le Dieu de l'Alliance, n'est pas vraiment son mari selon une plénitude d'Alliance. C'est pourquoi Jésus dit que les juifs connaissent Dieu alors que les samaritains, non. « Pas de mari ». C'est vrai, Samarie n'a pas un mari au sens où Dieu serait son unique. 

Seule cette interprétation symbolique peut expliquer ce texte d’autant plus que l'interprétation littérale ne tient pas car il est d'une haute improbabilité qu'un juif ou un samaritain veuille épouser une femme cinq fois déjà répudiée. Quand elle dit qu'elle voit qu'il est un prophète ce n'est pas la reconnaissance d'un savoir surnaturel sur sa vie privée mais parce que les cinq maris, c'est une dénonciation prophétique classique des faux cultes idolâtres. (Os 2/4).  Le vrai culte sera caractérisé par un culte en esprit et vérité.  Du coup cela lui permet de reconnaître en Jésus le Messie annoncé, celui qui annoncera toutes choses. C'est de cela qu'elle témoigne : « ce qu'il m'a dit » étant une auto-identification au peuple entier. Jésus est venu pour séduire ce peuple en vue d'une fidélité complète à l'Alliance. Cela n'a rien à voir avec la vie sexuelle d'une femme mais avec la vie d'alliance d'une communauté.

 

Dialogue d'une rare intensité théologique. Un vrai dialogue, unique dans l'Évangile, où cette femme est une authentique partenaire et pas seulement un faire- valoir. Une révélation progressive à mesure que sa confiance en lui progresse. L'étonnement des disciples en le voyant parler à une femme peut refléter le débat sur le rôle des femmes dans la communauté johannique et l'insertion de ce passage dans le texte peut être due à la volonté de montrer que Jésus voulait que les femmes aussi participent à l'évangélisation. C'est pourquoi il a ajouté un détail qui est parallèle à l'appel des apôtres dans les synoptiques, le fait de quitter leur bateau. Ici « abandonner » sa cruche pour se consacrer à l'évangélisation. L'abandon de la cruche est semblable à l'abandon des filets, du bureau de douane, pour suivre Jésus et devenir apôtre. Pourquoi cet abandon de la cruche n’a-t-il jamais été interprété au même titre que les autres abandons ?  

Jésus cherche quelque chose auprès de cette femme et cela semble étonnant. Cela traduit le trouble des hommes de la communauté johannique de ne pas être ainsi les seuls associés à la mission de Jésus. L'auteur insiste en montrant que Jésus s'est fort bien passé d'eux. Cette femme lui a apporté ce qui peut satisfaire sa faim de faire la volonté de Dieu. La mission de la Samarie est remise entre les mains de cette femme,  mission dont ils ne sont pas les initiateurs et ne seront que les moissonneurs.

 

On peut légitiment penser qu'il y avait des femmes théologiennes, apôtres mais que cela était tellement à contre courant de l'ethos ambiant que cela provoquait des tensions.

Ce texte permettait de légitimer la participation de femmes à des rôles que des hommes croyaient être seuls à pouvoir remplir. D'autant plus, et c'est un cas unique dans l'Evangile, elle est la première et la seule dont la parole a permis à un groupe tout entier de se convertir.

Elle réalise ce que Jésus dit en Jn 17/20 : « ceux qui croiront en moi grâce à leur parole » Son ministère de la parole a été efficace.

L'évangéliste a présenté sous forme narrative la mission auprès des samaritains attribuant à Jésus lui-même l'initiative de la mission en Samarie et à une femme le travail d'évangélisation. Certaines interprétations ont voulu minimiser le travail de cette femme et donc la volonté de Jésus d'en faire une apôtre en insistant sur le fait que ce n'est pas sur sa parole que les samaritains ont cru mais sur celle de Jésus.

Ce qui est curieux, c'est que le même raisonnement n'est pas fait quand il s'agit d'hommes. Il est évident que si des gens sont amenés à Jésus par un-e disciple,  la foi plénière ne vient que grâce à la parole de Jésus lui-même.

 

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