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10 décembre 2024 2 10 /12 /décembre /2024 16:40
A lire, toute affaire cessante: l’exclusion des femmes du sacré

Histoire d’un malentendu : l’exclusion des femmes du sacré - TOME 1

Patriarcat – Impureté – Infériorité

de Gilbert Clavel

Pourquoi l’Église romaine s’obstine-t-elle à exclure les femmes des ministères ordonnés et se crispe-t-elle sur l’obligation du célibat des prêtres ? L’histoire éclaire les processus qui ont conduit à ce positionnement. La recherche consiste donc à explorer les ancrages et les systèmes de représentations, d’interprétations et de justifications qui ont prévalu.
L’auteur s’engage dans une démarche archéologique de ces représentations, en mobilisant des données historiques, sociologiques, philosophiques, littéraires, théologiques, bibliques, exégétiques, événementielles. S’il ressort que la question de la sexualité est centrale, trois points fondamentaux interactifs traversent les discours conduisant à l’exclusion des femmes du sacré : patriarcat-impureté-infériorité. 

(4ème de couverture du livre aux Editions L'Harmattan)

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21 octobre 2023 6 21 /10 /octobre /2023 23:29
Prix des lecteurs de la CCBF 2023 « Contre le cléricalisme, retour à l’évangile »

Toutes et tous, disciples-apôtres, selon l’évangile Variations à partir du livre Contre le cléricalisme, retour à l’Évangile 

Cela fait déjà bien longtemps que résonne en moi l’injonction de Jésus : « N’appelez personne votre père sur la terre, car vous n’avez qu’un seul Père, celui du ciel, et tous vous êtes frères » (Mt 23,9). De là à trouver insupportable l’inflation des titres « Père » et, pis encore « Mon Père », adressés avec dévotion à tout prêtre diocésain, en toute occasion, quand ce n’est pas, tel un refrain incantatoire, au tournant de toutes les phrases, il n’y a qu’un pas, désormais franchi pour moi. Dès lors, vous comprendrez aisément que, sans prétendre ni pouvoir changer grand-chose à cette déviation récente (où est-il le temps où l’on parlait plus objectivement de Monsieur Vincent, du Curé d’Ars ou de l’Abbé Pierre ?), j’évite pour ma part le titre de « Père » accolé à mon nom, préférant l’apposition « prêtre » – éventuellement « du diocèse de Poitiers » – à seule fin de faire savoir ma fonction ecclésiale, par honnêteté à l’égard de mes interlocuteurs ou lecteurs. En outre, dans le contexte des paroisses rurales que je sers à présent, j’encourage l’emploi de mon prénom – nom de baptême – ou, à défaut, l’appellation « frère », déjà commune à certains ordres religieux et, en tout cas, moins ambiguë que la soi-disant paternité systématiquement attachée à tout prêtre catholique.

Fort de cette conviction, je me suis bien sûr tourné vers le texte évangélique sous-jacent à la prise de conscience ici évoquée. J’eus alors l’immense satisfaction de découvrir que :

- a) la parole en question n’est pas isolée ou dite en passant, mais soulignée par une stratégie rhétorique insistante ;

- b) elle ne concerne pas le seul titre de « Père », mais s’étend à d’autres expressions comme « rabbi » (maître-docteur) ou encore « dirigeant » (grec kathègètès : même radical que dans le mot « hégémonie »), susceptibles d’induire une hiérarchie, non seulement de fonctions mais quasiment de qualité ontologique affectant la personne ainsi désignée ;

- c) la justification théologique d’un tel interdit, non seulement en appelle à la paternité de Dieu, mais affirme du même coup la condition fraternelle des disciples ayant consenti à suivre Jésus sur le chemin du seul Dieu et Père de tous les humains. Or – et nous changeons de registre – je suis frappé aussi du fait qu’en grec, langue chrétienne des Écritures, le même mot désigne le frère ou la sœur, moyennant les variantes infimes de la déclinaison grammaticale permettant de distinguer les genres masculin et féminin. Ainsi, contrairement au latin et, me semble-t-il, le grand nombre des langues européennes où les deux mots sont totalement différents, le masculin pluriel du mot grec « frères » embrasse aussi bien le féminin pluriel de notre mot « sœurs » (adelphoi – adelphai). Dès lors, je me suis réjoui grandement du fait que la nouvelle traduction du missel ait spécifié « frères et sœurs », tant pour le Confiteor qu’au Memento des défunts, ce que je faisais moi-même depuis longtemps. Il se trouve, en effet, qu’en français moderne le mot « frères », de même d’ailleurs que le mot « hommes », n’est pas toujours compris comme impliquant aussi les femmes. Sur ce dernier point, il faut reconnaître qu’en français (contrairement au grec et au latin), nous souffrons de 2 n’avoir qu’un seul mot « homme », tant pour l’humanité en général que pour l’être masculin en particulier.

Nous devrons donc être particulièrement attentifs à cela lorsque nous traduisons les textes du Nouveau Testament. Prenons deux exemples concernant le quatrième évangile : s’il est parfaitement normal de dire, au sujet de Nicodème : « Il y avait un homme parmi les pharisiens » (Jn 3,1), en revanche, on ne saurait dire de la femme qui accouche (Jn 16,21) qu’elle se réjouit qu’un homme soit venu au monde. Il faut évidemment dire qu’elle est tout à la joie qu’« un être humain soit venu au monde », que le bébé soit garçon ou fille. Un minimum de tact pourrait en la matière aider à lever bien des incompréhensions, au regard de revendications féminines, parfaitement légitimes. De même encore, on devra éviter d’ajouter sans cesse le mot « homme », absent du texte grec, sous prétexte de rendre la phrase plus coulante. Ainsi de l’expression « tout homme qui », censée traduire les multiples constructions grammaticales exprimant en grec la généralisation, à l’instar de notre disgracieux mais indéfini pronom relatif « quiconque ». Si donc l’expression « frères et sœurs » (selon l’ordre alphabétique !) tend heureusement à se généraliser dans les monitions liturgiques, plutôt que la traditionnelle adresse « mes chers frères », prononcée à l’encontre de toute l’assemblée, je m’étonne que la lecture des épîtres continue de s’ouvrir sur l’entête « Frères ». Qu’attendons-nous pour dire « frères et sœurs » ? Rien, en effet, ne s’y oppose : d’une part, cette entête n’est pas dans le texte, mais constitue un ajout proprement liturgique ; d’autre part, à supposer que Paul ou l’un des apôtres en personne se fût adressé lui-même à notre assemblée, il est clair que dans leur langue grecque le mot « frères » eût désigné aussi bien les « sœurs », moyennant la convention d’un accord grammatical au masculin pluriel. Bref, ces suggestions pourront paraître mineures. En tout cas, elles seraient extrêmement faciles à mettre en œuvre et pourraient déjà contribuer à l’instauration d’un meilleur climat dans les relations hommes-femmes, aussi bien qu’entre ministres ordonnés et simples fidèles, qualifiés de « laïcs » (étymologiquement, référence au peuple de Dieu – grec laos). Ainsi, la réserve exprimée à l’égard de l’appellation « Père » ou « mon Père », convient au texte évangélique où Jésus lui-même nous renvoie à notre commune condition de frères-sœurs.

Dès lors, comment ne pas évoquer aussi le texte johannique signifiant l’institution de l’Église, à l’heure de la Croix, sur la seule base de relations familiales : « Voici ton fils – Voici ta mère » (Jn 19,26-27) ? Du fait de recevoir pour lui-même la Mère de Jésus, le Disciple bien-aimé se trouve qualifié comme frère, donc aussi héritier de Jésus, anticipant l’ecclésiologie de « l’Église famille de Dieu », chère aux épiscopats africains.

Paul lui-même, dans les ouvertures de ses nombreuses lettres, tant authentiques que posthumes, évitera pour lui-même et ses proches tout vocabulaire hiérarchique, préférant parler de frères, collaborateurs ou camarades, apôtres comme lui, face à des communautés elles-mêmes nées de la vocation apostolique, enracinée dans le mystère pascal de Jésus Christ, l’envoi des disciples et le don de l’Esprit. Malgré l’expression d’une tendresse quasi maternelle à l’égard de ses communautés, Paul ne fait pratiquement pas recours au vocabulaire paternel dans l’exercice de l’autorité apostolique. Seules les épîtres pastorales, beaucoup plus tardives et déjà marquées de pratiques quasi cléricales (ainsi le souci de classer les baptisés en différents ordres), valoriseront la paternité de l’apôtre à l’adresse des jeunes disciples Tite et Timothée, quasiment des « fils » attachés au père spirituel, d’ailleurs mort depuis longtemps. Encore faut-il ne pas généraliser, encore moins institutionnaliser, le rapport père-fils, ainsi vécu à titre posthume, en dehors donc du contrôle de Paul, très prudent en la matière, 3 comme l’attestent les épîtres authentiques, voire la première vague de lettres posthumes ou « pseudépigraphes ».

Surtout il apparaît que, dans l’énorme dossier paulinien (tant les Actes des Apôtres que les trois vagues d’épîtres « de » Paul), de nombreuses femmes se trouvent associées au ministère de l’Apôtre, nous rappelant du même coup que Jésus lui-même ne pratiquait aucune discrimination à l’égard des femmes. Transgressant au besoin les tabous de l’époque, Jésus leur manifeste la même bienveillance qu’à leurs collègues masculins et leur intime les mêmes exigences de l’ordre de la foi. Parfois même, particulièrement dans l’évangile selon Jean, des personnages féminins paraissent occuper des postes symboliquement très forts. Ainsi de Marie de Magdala, désignée par Jésus ressuscité comme l’apôtre par excellence, ou encore la Samaritaine, figure exemplaire de la mission, sans oublier Marie de Béthanie et sa sœur Marthe, l’une et l’autre modèles de foi, incarnant chacune à sa façon l’idéal du/de la disciple. Pour en revenir au temps de Paul, il est clair que les nombreuses femmes œuvrant à ses côtés ne sont pas de simples assistantes, mais exercent des fonctions d’autorité, notamment dans le cadre des Églises domestiques (Lydie, Chloé, Phoebé), voire sous un mode transversal, à la façon du couple omniprésent de Priscille et Aquila. L’une d’elles, Junie, se voit même reconnaître par Paul le titre d’apôtre, en compagnie de son époux Andronicus (Rm 16,7). Il faudra toute la malveillance, voire la bêtise, d’une longue lignée d’éditeurs et traducteurs masculins pour que l’apôtre Junie se retrouve travestie en un masculin Junias, jugé plus compatible avec le titre d’apôtre.

Bien d’autres exemples de traductions inconsciemment machistes méritent d’être dénoncées et corrigées. Là encore, c’est peu de chose, mais cela pourrait aider à « déminer » le terrain, pour peu que chacun s’y montre attentif. À dire vrai, la difficulté de fond provient de la confusion entretenue entre les Douze, au sens particulier, et les Apôtres en général, au premier rang desquels figure le grand saint Paul, lequel, n’étant évidemment pas du nombre des Douze, n’en est pas moins l’Apôtre par excellence. De même, Marie de Magdala, apostola apostolorum (f.sg/m.pl), apôtre envoyée auprès des « frères-sœurs » disciples, dont les Douze, eux-mêmes destinés à la mission apostolique, parce qu’envoyés par Jésus lui-même (avant et après sa résurrection).

Il se trouve, en effet, qu’à partir de la Pentecôte et le don effectué de l’Esprit Saint, les Douze tendent à disparaître et se fondre dans le groupe infiniment plus large des Apôtres, sans doute de composition mixte (hommes et femmes), sans penser à la parité, impensable à l’époque. Jésus lui-même n’avait-il pas, dès le temps de la vie publique, démultiplié le nombre des envoyés, autrement dit apôtres, selon la tradition lucanienne des soixante-douze (Lc 10,1-12) ? Ou bien encore, sollicité par les Douze désireux de se réserver une place de choix dans le Royaume, Jésus n’a-t-il pas répondu que leur fonction propre serait eschatologique, donc sans effet historique ? (Mt 19,28). Saint Pierre de son côté, au tout début du livre des Actes, plaidant pour qu’un successeur soit trouvé à Judas, reconnaissait aux Douze la mission d’être témoins de la totalité du parcours historique de Jésus, jusqu’à sa mort-résurrection et depuis le baptême conféré par Jean, d’où le fait que les Douze soient nécessairement tous galiléens (Ac 1,21-22). Mais, entre le temps de Jésus et l’horizon eschatologique, les Douze n’ont ni fonction propre, ni succession établie. Alors prime la mission confiée aux Apôtres, bien plus nombreux que les Douze, ainsi qu’à leurs successeurs, y compris les ministres de différents ordres, que l’Église saura se donner en fonction de ses besoins, à commencer par les Sept de Jérusalem, d’abord voués au service des 4 tables puis eux-mêmes directement engagés dans l’action missionnaire, avec les pionniers que seront Étienne et Philippe. Ainsi le ministère apostolique s’organise-t-il, dès les débuts à Jérusalem et bien au-delà, en fonction des besoins et exigences de la mission, y compris l’animation des communautés locales, avec le ministère collégial des anciens (presbytres), en charge tant de la vigilance que du service (épiscopes et diacres : Ph 1,1), avant que ces trois dimensions (collégialité, gouvernance, service) ne soient distinguées et réparties au sein de l’Église locale. Rappelons-nous aussi que les récits d’appel puis d’envoi des Douze conservent des traces de la distinction première entre les titres et qualités de disciples, Douze, et apôtres. En tout cas, il serait sans doute fécond et très prometteur que, cessant de référer le ministère apostolique au seul modèle des Douze, nous prenions mieux en compte les réalités plurielles et les formes diverses de la Mission chrétienne, en ses tout débuts, justement désignés comme les temps apostoliques.

Revenant donc au premier âge de l’Église (qui n’est plus et pas encore le temps des Douze) et relisant d’un œil neuf tant les Actes des Apôtres et les lettres de Paul que, de façon indirecte, les évangiles eux-mêmes, nous serons surpris de voir reconnaître aux femmes une place singulièrement importante dans la vie des communautés. Outre les quelques cas personnels, évoqués plus haut, arrêtons-nous un instant au tableau suggestif de l’assemblée à Corinthe, du temps même de Paul. Alors que l’apôtre reconnaît le bien fondé d’une différenciation vestimentaire entres hommes et femmes, conformément aux usages du temps, en revanche, il considère comme allant de soi la pratique communautaire qui place sur un strict plan d’égalité « tout homme qui prie ou prophétise » (1 Co 11,4) et, selon les mêmes mots, « toute femme qui prie ou prophétise » (1 Co 11,5), les deux fonctions consistant à énoncer à haute voix, tant la parole qui de l’assemblée monte vers Dieu (prière) qu’inversement la parole qui de Dieu descend sur l’assemblée (prophétie). Quant au vêtement lui-même, en l’occurrence le fait que la tête des femmes soit couverte (un léger voile, un pan du manteau, voire une coiffure plus ou moins savante, à l’instar des sculptures gréco-romaines de l’époque), il s’agit en tout cas pour Paul de signifier l’autorité (exousia) reconnue aux femmes dans l’assemblée chrétienne, au regard même des anges, ainsi sollicités à titre de témoins d’une réalité pour le moins sacrée (1 Co 11,10). Là encore, il faudra toute la bêtise du machisme triomphant pour que traducteurs et commentateurs parlent de l’autorité subie par les femmes, littéralement : leur soumission, comme s’il était impensable qu’elles puissent exercer quelque autorité que ce soit au sein de l’assemblée chrétienne.

Finalement la clé de lecture, sublime et décisive, ne se trouverait-elle pas dans le fameux passage de Ga 3,27-28, niant toute pertinence aux ségrégations socioculturelles (ni Juif ni grec, ni esclave ni personne libre), du fait même de la commune condition filiale inhérente à la réception de l’unique baptême chrétien ? Certes, on est encore loin d’une réelle pratique de l’égalité fondamentale ainsi affirmée. Il n’empêche qu’elle se trouve comme gravée dans le marbre de la Parole de Dieu et qu’à ce titre nul chrétien (ou chrétienne) ne saurait en contester la pertinence. Or, il est aussi proclamé dans la même phrase, quoiqu’un peu différemment, qu’« il n’y a pas masculin et féminin ». Certes la distinction entre hommes et femmes garde toute sa valeur, elle s’avère constitutive de l’idée même d’alliance. En revanche se trouve bannie de l’économie nouvelle révélée en Christ, toute forme de compétition binaire, rivalité ou concurrence relevant d’une stupide guerre des sexes, non pas tant les individus, hommes et femmes, que les principes identitaires, ici exprimés à l’aide des catégories grammaticales du masculin et féminin.

On  pourrait dès lors tenir pour inacceptable, d’un point de vue évangélique, que le ministère de représentation de l’unique Seigneur, lui-même mort d’avoir combattu toute forme de discrimination sociale ou religieuse, soit grevé d’une ségrégation quasi ontologique, excluant a priori les membres féminins de l’unique Corps du Christ ressuscité. Certes, la référence exclusive au soi-disant modèle des Douze, auxquels nul ne reprochera d’avoir été des hommes masculins, puisque inspirés de la figure des douze fils de Jacob, éponymes des douze tribus d’Israël, aura eu longtemps pour effet d’occulter la question d’un accès féminin aux ministères de l’Église.

La recherche exégétique, tant sur le rôle propre aux Douze que sur les modes de fonctionnement des premières communautés chrétiennes, devrait aider l’Église catholique à se libérer de l’obligation morale qui semblait s’imposer à elle, à savoir n’ordonner aux trois degrés du ministère apostolique que des hommes masculins. En tout cas, la double référence biblique et théologique ici proposée pourrait s’avérer plus décisive que d’autres arguments, tant féministes que sociologiques, certes recevables en soi, mais dont on pourra toujours dire qu’ils ne s’appliquent pas spécifiquement à l’objet propre qu’est l’Église du Christ, distincte de toute autre forme de société humaine.

Dès lors, pour nous, il s’agira moins d’envisager des fonctions ou ministères proprement féminins, revenant à perpétuer la bipolarité remise en cause dans la lettre aux Galates, que tout simplement offrir aux femmes chrétiennes le plein accès aux ministères reçus de la Tradition ecclésiale, sans discrimination ni ségrégation a priori.

Certes, ce qui est dit là est infiniment plus difficile à entendre et à mettre en œuvre que nos modestes propositions relatives aux titulatures ecclésiastiques. Raison de plus pour agir sans tarder sur ce qui paraît simple : tout se tient, et nous ne progresserons pas dans notre refus du cléricalisme, si nous ne sommes même pas capables de bouger et faire bouger ce qui pourrait bien n’être que détails ou effets de mode, néanmoins lourds de sous-entendus et préjugés non clairement élucidés.

Bref, si la question de l’accès féminin aux ministères est une pièce essentielle du dispositif qui pourrait sortir l’Église catholique des ornières du cléricalisme, entretenu par, sinon fondé sur la séparation-sacralisation du clergé masculin, il ne faudrait pas non plus oublier que rien ne progressera sans l’application stricte des consignes du Seigneur relatives à l’exercice de toute autorité, notamment chez Matthieu. Tant la critique féroce opérée par Jésus à l’égard des pharisiens hypocrites, imbus de leur pouvoir et assoiffés de reconnaissance sociale, que la mise en valeur des pauvres et petits, à commencer par les enfants, jusqu’à oser proposer un parfait chamboulement des hiérarchies humaines, les premiers étant tenus pour derniers, et réciproquement, selon une logique révolutionnaire (au sens étymologique du terme), également célébrée dans le chant programmatique du Magnificat, dans l’évangile selon Luc.

Il se trouve en outre que l’évangile selon Matthieu, le plus explicite quant à l’assurance future de l’Église, sinon sa puissance au moins spirituelle, renferme aussi la charte indépassable des Béatitudes, liant la promesse de bonheur inhérente à l’Évangile, Bonne Nouvelle du don de Dieu, à l’esprit de pauvreté, sous-jacent aux attitudes, tenues pour exemplaires, de justice, douceur et paix, compassion et miséricorde, droiture d’intention et capacité d’endurer les persécutions, à commencer par les incompréhensions et malveillances internes à l’institution ecclésiale.

Là se trouvent sans doute les plus efficaces anticorps, opposables tant aux maladies affectant les âmes et les cœurs des disciples, qu’aux épidémies dévastatrices du corps entier de l’Église. L’idée même d’emprise, qu’elle soit purement spirituelle ou s’en prenne aux corps eux-mêmes, cristallise toutes les formes d’abus de pouvoir, autoritarisme ou démagogie, susceptibles d’atteindre les plus  nobles institutions, voire les personnes les plus en vue, surtout lorsqu’elles se montrent avides d’une position dominante. Il ne devrait absolument pas en être ainsi en Église.

Aucune excuse n’est recevable, pas même l’ignorance ou l’oubli des Écritures, tellement explicites en la matière. Laissons donc retentir en nous la litanie des clés du Royaume voulu par Jésus : « Ne dites à personne Père, car vous n’avez qu’un seul Père, qui est aux cieux et que vous êtres tous frères… Quand vous priez, jeûnez, partagez, ne vous donnez pas en spectacle comme les hypocrites… Le plus grand parmi vous sera le plus petit, et celui qui commande tel celui qui sert… Heureux les pauvres, les doux, les humbles, les justes, les miséricordieux, les pacifiques… ».

N’oublions pas non plus le formidable manifeste de l’épître aux Galates 3,27-28 : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni [personne] libre, il n’y a pas masculin et féminin, car vous tous, vous êtes un dans le Christ Jésus ».

Apprenons aussi à mieux connaître l’Écriture, telle qu’éclairée par le travail des exégètes adonnés à en scruter les moindres détails, au plus près des langues d’origine, et nous comprendrons mieux que les Apôtres ne sont pas seulement les Douze et qu’en conséquence les femmes aussi jouent un rôle important dans les communautés chrétiennes des temps justement dits apostoliques.

Acceptons aussi de reconnaître les dégâts d’un modèle patriarcal, voire machiste, dès le stade des traductions et interprétations textuelles. Dès lors, faisons nôtre la belle image johannique de l’Église famille de Dieu, et vivons le bel et fort impératif d’une philadelphia qui soit l’affaire de tous, frères-sœurs, disciples-apôtres, dans un esprit de service qui prenne le dessus des ego surdimensionnés et s’attache ainsi à balayer toutes formes d’emprise, abus de pouvoir, autoritarisme et centralisation, opérées au détriment des plus petits, ces derniers pourtant appelés à être premiers.

Bref, osons faire nôtre le programme suggéré par cette sorte de quatrain proposé en final de notre petit livre :

1. Non plus des pères mais rien que des frères, non seulement des frères mais aussi bien des sœurs.

2. Non plus seulement les Douze mais des apôtres divers, hommes et femmes, hors compétition masculin-féminin.

3. Non plus des grands à la façon du monde, mais d’abord des petits, humbles et pauvres de cœur.

4. Non plus des dirigeants, aux ambitions de managers, mais de simples pasteurs, proches et dévoués à chacun.

Je m’arrêterai là, vous invitant bien sûr à travailler le petit livre que vous avez voulu récompenser – et je vous en remercie infiniment – mais bien davantage encore à lire et relire, étudier et méditer les textes bibliques sous-jacents à ce modeste essai. Oui, si nous voulons nous engager « contre le cléricalisme », il n’est sans doute meilleur chemin que le « retour à l’Évangile ».

 

Yves-Marie Blanchard Issy-les-Moulineaux, le 14 octobre 202

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26 août 2023 6 26 /08 /août /2023 18:37
S'émerveiller de Maurice Zundel

Voici un extrait du livre : S’émerveiller de Maurice Zundel, paroles choisies par Virgile Rochat et Marc Donzé. Editions Cabédita 2023 page 53. Un livre que je recommande: Une merveille…pour s’émerveiller.

« L’immense majorité des hommes ne le savent pas, l’immense majorité des croyants ne le savent pas car l’immense majorité des croyants sont encore tournés vers un faux Dieu, un Dieu extérieur, un Dieu dans l’espace atmosphérique, un Dieu qui contrait, un Dieu qui limite, un Dieu qui menace, un Dieu qui terrifie, un Dieu qui tue, alors qu’Augustin le rencontrait comme la Vie, la Vie de sa vie.

Il s’agit donc pour nous de nous défaire de cette idolâtrie qui est si fréquente chez nous et dans laquelle nous retombons, dès que nous cessons d’écouter , dès que nous cessons de nous émerveiller

Dieu, pourrait-on dire, c’est quand on s’émerveille.

Dieu, c’est quand tout d’un coup on découvre le visage de la beauté ;

Dieu, c’est quand on perçoit une valeur infinie ;

Dieu, c’est quand résonne la musique de l’éternité ;

Dieu, c’est quand l’homme ne se voit plus parce qu’il n’est qu’un regard vers cette Présence qui l’appelle, qui l’aimante, qui l’oriente, qui le délivre en le comblant.

Et tout est là : il s’agit pour nous de recréer toutes les occasions de nous émerveiller, qui ont suscité l’immense procession des œuvres d’art.

Car c’est dans la mesure où nous serons centrés sur cette beauté, toujours inconnue et toujours reconnue, que nous nous quittons sans y penser et que, de nouveau, nous accédons à nous-même en passant du dehors au-dedans et en retrouvant l’attente éternelle de Dieu qui était toujours déjà là, bien que nous fussions si longtemps distraits, absents et inattentifs. »

Maurice Zundel, homélie au Caire en 1961. Repris dans Vie, mort, résurrection p 113

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7 mai 2022 6 07 /05 /mai /2022 14:11
Pour un christianisme de liberté de Michel Barlow

Il est des livres qu’on aimerait avoir écrit ! Et on se réjouit que quelqu’un l’ait fait !

Michel Barlow en 2020 l’a écrit avec un titre qui donne envie de le lire :

Pour un christianisme de liberté.

La meilleure manière de le présenter est d’en donner la table des matières. Avec ce livre on a le chantier qui est devant nous pour que l’Evangile rejoigne nos contemporains en quête de sens et qui n’ont pas ou plus trouver dans le discours courant ce qui pouvait leur en donner le goût.

  1. Christ nous délivre du sacré
  2. Christ nous délivre du surnaturel
  3. Christ nous délivre de la « religion du Livre »
  4. Christ nous délivre de la mort…en faisant de nous des vivants de l’aujourd’hui
  5. Christ nous délivre du moralisme pseudo-chrétien
  6. Christ nous délivre de l’obsession du péché
  7. Christ nous ouvre un avenir, chaque fois qu’il faut réformer nos vies
  8. Christ nous fait amoureux de l’humanité et du monde
  9. Christ nous délivre d’une idée scandaleuse de son sacrifice et de la Rédemption
  10. Christ nous délivre de l’idée pseudo-chrétienne du péché originel
  11. Christ nous délivre de la honte de notre corps
  12. Christ nous délivre …du christianisme
  13. Christ nous délivre …de Dieu (du Dieu des philosophes et des savants)
  14. Christ nous délivre aussi …de lui-même (de l’dole culpabilisante imaginée par certains)

BONNE LECTURE !

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22 mars 2022 2 22 /03 /mars /2022 14:07
Un livre qui libère : La grâce originelle de Matthew Fox

Une grande partie des textes théologiques, liturgiques, spirituels du catholicisme est construite sur un modèle que le théologien Matthew Fox a bien mis en valeur et qu’il énonce ainsi :

Chute-rédemption. Une grande partie des textes…mais pas tous. Cependant c’est le modèle qui a été dominant et qui le reste.

Je vous invite à lire…toute affaires cessantes ! L’auteur propose un autre modèle qui commence lui par le positif !

Cela m’a inspiré les réflexions personnelles suivantes :

Pourquoi le modèle chute-rédemption est nocif et a des conséquences dramatiques ?

Parce que le cosmos et l’humain sont vus dans un état de perte dû à une faute à l’origine. Ça commence donc par un échec qui nous met devant les yeux, l’esprit et le cœur le négatif.

Cette chute est considérée comme une faute contre Dieu, ce qui rend la faute abyssale ! Faute conçue comme une désobéissance et donc Dieu conçu comme un maitre à qui on doit obéissance.

Parce que cette chute est conçue comme perte de la vie éternelle.

C’est cette vision qui a fait considérer indispensable le baptême le plus tôt possible après la naissance pour effacer cette faute d’origine qui couperait de Dieu, et condamnerait à l’enfer.

Parce que la rédemption est comprise comme ce qui permettrait l’accès au paradis et sauverait de l’enfer.

Rédemption transmise par le baptême mais payé au prix du sang par la croix du Christ avec l’image d’un Dieu qui ne pourrait pardonner que par la souffrance et le sacrifice.

Autant de nocivité pour le cosmos, l’humain et pour l’idée qu’on peut se faire de Dieu.

Théologie dépassée qu’on n’enseigne plus ? Je ne le pense pas.

Par exemple C’est sur ce modèle que la liturgie de la Messe est bâtie.

Soyez attentif au rituel de la messe et vous découvrirez qu’il est bâti sur ce modèle.

Du début jusqu’à la fin d’une messe, nous sommes des « losers » des « failers » des « fallers »

Je confesse…que j’ai péché

Seigneur prend pitié

Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde prends pitié de nous

Je ne suis pas digne…

Et tellement d’autres prières du missel.

Je rêve d’une liturgie qui commencerai par du positif, où on célébrerait le don de la vie, de ce qu’il y a de beau, de bon, de vrai dans ce monde et dans nos vies pour pouvoir seulement ensuite reconnaitre ce qui le contrarie.

Et aussi combien d’homélies, de prédications, de livres de spiritualité…qui véhicule le schéma Chute-Rédemption !

Pas tous heureusement mais encore trop qui ferment la porte à tant de femmes et d’hommes qui cherchent des chemins de vraie liberté spirituelle.

De ce point de vue la spiritualité ignatienne a de bonnes ressources pour lutter contre le modèle chute-rédemption.

*Le début de la prière d’alliance commence par le merci, c’est-à-dire la reconnaissance du positif de nos existences. (Voir une manière de la vivre : http://aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/2016/05/prier-avec-sa-vie-la-priere-d-alliance.html)

*La manière récente de donner les Exercices spirituels va aussi dans le bon sens comme première étape du chemin, l’accueil de la création, la vie comme un don. (Voir une présentation du texte d’Ignace : principe et fondement : http://aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/article-spiritualite-ignatienne-le-principe-et-fondement-dans-les-exercices-97568051.html )

*Également la spiritualité des Sœurs du Cénacle enracinée dans un texte fondateur de Thérèse Couderc, la Bonté qu’elle voit dans toutes les créatures. (Voir une présentation de ce texte : http://aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/2020/10/je-veux-voir-dieu-c-est-possible-et-c-est-simple.html )

Merci à Matthew Fox de m’avoir, par son livre, aidé à mettre des mots sur ce que je porte depuis longtemps.

Lire et travailler son livre va m’ouvrir encore d’autres pistes.

Comme pour chacun-e qui l’ouvrira !

Voici la table des matières pour donner le désir d’aller emprunter ces 4 sentiers

1-Apprivoiser la création : la via positiva-théologie de la création et de l’incarnation

2-Apprivoiser les ténébres : la via negativa-théologie de la croix

3-Apprivoisr la créativité : la via creativa-théologie de la résurrection

4-Apprivoiser la nouvelle création : la via transformativa-théologie de l’Esprit-Saint

Bonne lecture

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17 octobre 2020 6 17 /10 /octobre /2020 15:53
Vous avez dit "Accompagnement spirituel"?

Vite, sans tarder, aller acheter le livre d'une Soeur du Cénacle!

Il s'agit de Soeur Luisa Curreli qui vit et travaille dans le Centre spirituel de Versailles. C'est un livre clair, profond, et pratique sur l'accompagnement spirituel parce qu'elle en parle nourrie d'une véritable expérience d'accompagnatrice.

 

L’accompagnement spirituel, art très ancien dans la tradition chrétienne, est aujourd’hui souvent pratiqué par des personnes qui cherchent un lieu pour être écoutées.

Il a une vraie spécificité parmi de nombreux lieux de parole et d’écoute possibles.

Cet ouvrage vise à expliciter ce qui le caractérise face à ces autres pratiques (la conversation spirituelle, la confession, l’accompagnement psychologique, etc.) et le fruit que on peut en attendre.

Ainsi, le lecteur sera éclairé sur ce qui peut l’aider le mieux et orienter sa recherche vers le lieu de parole le plus adéquat pour lui.
 

Des indications pour les personnes qui font leurs premiers pas dans l’accompagnement spirituel les aideront à avoir quelques repères pour savoir comment s'y comporter, de quoi parler, comment préparer les rencontres, etc.

 L’accompagnateur y retrouvera, de son côté, les grandes règles qui font que l'accompagnement est un espace de croissance vers une plus grande liberté intérieure.

Il permettra aussi à ceux qui s’interrogent sur l’opportunité de devenir accompagnateurs de se poser les bonnes questions.

Par toutes ces indications pratiques, on verra ainsi comment le cadre de l’accompagnement est un garde-fou, quand il est bien mis en œuvre, contre de nombreuses dérives.

 

Si vous allez sur le site de l'éditeur, vous pourrez lire le Chapitre 1 et découvrir la table des matières

https://www.mameeditions.com/9782728928163-petit-guide-de-l-accompagnement-spirituel-pour-qui-pour-quoi.html

 

Sur le site de Radio notre-Dame, vous pouvez écouter en replay un podcast de Sr Luisa qui présente son livre:

https://radionotredame.net/emissions/rencontre/21-09-2020/

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1 juin 2020 1 01 /06 /juin /2020 19:24
A lire : un (provisoire) dernier article du Fr François Cassingera-Trévedy : De la mythologie chrétienne à la foi modeste ou l’aveu de la bienheureuse Nuit.

Le Frère François, moine à Ligugé, nous a fait du bien, tout au long du confinement avec ses articles.

Voici le dernier (provisoirement !) ; merci à lui pour la vérité, la profondeur, la liberté de sa recherche.

Ci-dessous, voici un extrait qui m’a particulièrement rejointe et le lien pour pouvoir lire la totalité de l’article

« Il s’est produit un événement bien plus considérable, bien plus tragique, quelque chose de si énorme et de si douloureux que l’on en parle à voix basse et que bien peu, à vrai dire, se risquent à l’avouer, craignant non seulement de passer pour des transfuges, mais de s’aliéner les relations, les amitiés que leur mutisme (sinon leur mensonge) leur assure. Sous l’effet d’une pression impossible à contenir, venue tout à la fois du dedans et du dehors, implacable comme une réaction chimique, des pans entiers de notre édifice intérieur, de nos représentations familières et de nos certitudes tranquilles se sont effondrés, et nous les voyons, navrés, s’éloigner de nous comme ces morceaux de banquise que mine l’irréversible réchauffement des eaux. Le ciel, « si bleu, si calme, par-dessus le toit », le toit, sur nos têtes, soudain s’effrite comme un stuc. Confronté à la maturation qui s’opère en nous, à la majesté toujours plus évidente de l’Univers et de l’Histoire, à la pluralité légitime et respectable des voies que l’humanité a empruntées pour approcher le mystère qui l’enveloppe et la dépasse, le système solaire, si harmonieux, si ingénu, si rassurant, de nos « célestes vérités » n’apparaît plus que comme la banlieue momentanée d’une incommensurable galaxie. Et nous voilà nus, démunis, grelottant de froid, sous un firmament dont nous ne voyons ni arcs-boutants, ni abside, ni clef de voûte, au beau milieu d’une marche forcée dont le Maximus Poeta (encore lui) a magnifiquement stylisé le paysage et l’allure : Ibant obscuri sola sub nocte per umbram[1] : nous « avançons, obscurs, sous la nuit solitaire. » Comment n’entendrais-je pas toujours, à plus de quarante ans de distance, et avec le même saisissement, la clameur léonine de Nietzche, telle que je l’entendis, adolescent, au Théâtre du Quai d’Orsay, lors d’une représentation de Ainsi parlait Zarathoustra mis en scène par Jean-Louis Barrault ? « Dieu est mort ! » Et comment ne retiendrais-je pas, dans le sens de la modestie qu’impose cet indiscutable décès, l’Humilité de Dieu du Père François Varillon (1975) et l’Effacement de Dieu de Gabriel Ringlet (2013)? Mais alors, je le demande, l’institution à laquelle j’entends toujours appartenir de tout cœur au titre de ma vocation baptismale et monastique, peut-elle entendre un tel désarroi, un tel désemparement partagé aujourd’hui par tant de chrétiens, par tant d’hommes et de femmes de bonne volonté, sans me rejeter de son sein, et peut-être m’écraser, au titre de cette possession intégrale, immuable et exclusive de la vérité, dont il n’est pas tout à fait sûr qu’elle ait perdu l’instinct, dont il n’est pas tout à fait sûr que, dans son sein, certains ne caressent pas encore le rêve ? Aujourd’hui, l’institution est-elle en mesure de comprendre, d’accompagner, davantage, de bénir le désarroi – non dépourvu d’un gai savoir – de tous ceux qui, en l’espace d’une vie, de quelques années parfois seulement, se découvrent sans rien où reposer leur tête ? Est-elle capable de se convertir en institution de la Nuit ? Comme ce titre inédit serait beau, pourtant, sur son portail ! Mais se peut-il qu’il existe jamais une institution de la Nuit ?...

Beaucoup de chrétiens (en fait, la proportion doit être énorme, terrifiante) se satisfont d’une mythologie chrétienne, non pas ignorance, mais par peur, par paresse, je n’ose dire par intérêt. Beaucoup de chrétiens en restent au stade mythologique, touchant aux origines du monde et de l’homme, touchant aux origines de Jésus, touchant à la résurrection, touchant à ce que l’on appelait jadis les « fins dernières »…

Beaucoup de chrétiens, prenant leurs imaginations pour la chair de Dieu, ont confondu et confondent encore le Dieu incarné avec un Dieu anthropomorphique, projection géante des puissants qu’ils ont portés ou désirent porter sur les trônes de ce monde. L’on a fait jadis un Dieu sur le patron de l’empereur romain qui garantissait au christianisme son statut de religion d’état, plus tard on a fait un Dieu sur le modèle du monarque absolu qui se nommait, non sans quelque aplomb, le « Très-Chrétien » : l’on fait aujourd’hui un Dieu qui n’est, somme toute, que le garant suprême d’une vaste sécurité sociale aux prolongements posthumes. Des voix très autorisées ont fait observer que le monde avait cessé d’être chrétien : je ne suis pas certain (et je ne suis pas le seul) qu’il ait seulement commencé de l’être…

Beaucoup vivent dans la somnolence des certitudes sommaires et confortablement soustraites à toute mise en question : nous, qui sommes entrés dans une agonie où passent notre noblesse d’homme et notre secrète joie, nous leur disons, sur le point de nous lever pour aller à notre destin : Désormais vous pouvez dormir et vous reposer : voici toute proche l’heure… (Mt 26, 45). Nous composons gentiment, poliment, cordialement, avec l’usage et le paysage officiels : comme Pierre et Jésus nous nous acquittons du didrachme (Mt 17, 24-27), comme Paul nous satisfaisons aux rituels de purification (Ac 21, 23-26), mais, en notre for interne, nous sommes rendus plus loin, de plus en plus loin, presque à l’étranger. Nos paroles, notre lucidité, notre énergie dérangent les forces d’inerties (les plus totalitaires qui soient au monde) : mais quoi ! faut-il nous excuser d’être des vivants ? Car il nous incombe à nous, les vivants, de préserver aujourd’hui la foi – la foi nocturne et nue – non des hérésies, mais d’une triple réduction : de sa réduction à un discours mythologique, si rassurant soit-il ; de sa réduction à un discours moralisateur, si édifiant soit-il ; de sa réduction à un discours humanitaire, si généreux soit-il. Les trois péchés-mignons, en somme, du discours ecclésiastique. À la phraséologie intempérante de « l’amour », ressassée partout ad nauseam sur les lèvres ecclésiastiques et servant de cache-misère à une lamentable jachère intellectuelle, nous préférerons des arêtes plus vives, des inquiétudes plus fécondes et des aridités plus ardentes. Attendu que la foi véritable met à vif et à vide, le service ecclésial de la parole devrait consister à désigner, à attiser notre béance existentielle plutôt qu’à la combler avec un décor, voire des bibelots, qui humilient son inaliénable grandeur. 

https://www.facebook.com/notes/fran%C3%A7ois-cassingena-tr%C3%A9vedy/de-la-mythologie-chr%C3%A9tienne-%C3%A0-la-foi-modeste-ou-laveu-de-la-bienheureuse-nuit/3205336463024171/?fref=mentions&__xts__[0]=68.ARCGlLYst4LXSRzqxPAjIAP8CCC18zr7gyXfV7BrszzjF1pg_GjI2QOgiLLgCHu2XNeyzRXv3p7EVklsio0R5sS0A82gTnUKYaCUtl_sLUb1Lb67VcmYVgX6F1na1zzGeXqoyJ744ombfr7mADJeLFfXIsFYj7T1TDvBjzphyfN0LoxL9dcpqklDC5tdSGIvZWkdumzu5eBQGNe7vfd9bQCkMAl_q5tdLUx_3Hw5WVWbTczAKNwAcaM-O-9q8hZkwQNbf3P9wakAq-5lKxV2k9GMT_U_1IAu5Xssrvo3OWTPOQl-OGxEKasPYxp2zF1B5V8Ty-u-l8pFWTDwpajcaqmtc3lkB9lwKSmE-ana5lZwsdFwSaxk5w&__tn__=K-R

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1 février 2020 6 01 /02 /février /2020 15:26
Masculin-Féminin 3

Il y a 3 ans, j’ai publié un livre aux Editions BOD.  C’est une version abrégée de mon mémoire de maitrise en théologie que j’ai soutenu au Centre Sèvres, facultés jésuites de Paris.

Dans ce livre j’ai voulu décrypter le discours sur les femmes d’une encyclique de Jean-Paul II et en quoi ce discours continue d’être discriminatoire pour les femmes.

Je vais le mettre sur mon blog en plusieurs partie. Une manière de vous le partager mais aussi de le faire connaitre et donner envie de l’acheter !

https://www.bod.fr/librairie/masculin-feminin-ou-en-sommes-nouso-michele-jeunet-9782322077274

Voici le troisième envoi : masculin-féminin 3

Le lourd passif d’un discours avant Vatican II

 

Allons voir maintenant du côté de Augustin, Thomas d’Aquin et Bonaventure

Saint Augustin 

Dans les textes authentiques d'Augustin, on constate une tentative d'inclure le féminin dans la l’image de Dieu. Selon Kari Borensen[1] Augustin est le premier à vouloir explicitement concilier des éléments scripturaires en apparence contradictoires.[2]

Augustin remarque bien une contradiction entre Genèse chapitre 1 verset 27 qui déclare l'humain masculin et féminin, image de Dieu et la première lettre aux Corinthiens chapitre 11 verset 7 à 10 :

L’homme est l’image et la gloire de Dieu ; quant à la femme  elle est la gloire de l’homme…voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion. 

Ce verset est interprété comme une négation explicite de l’image divine chez la femme.

La réponse à cette contradiction se trouve à plusieurs endroits dans son œuvre et peut se résumer en une distinction entre l’esprit qui est image de Dieu et le corps qui est sexué.

La femme en tant qu’elle était aussi créature humaine avait une âme, une âme raisonnable, selon laquelle elle était elle aussi à l’image de Dieu. [3]

Cependant, au niveau corporel, pour Augustin, le corps mâle seul symbolise, par sa supériorité, la partie théomorphe de l’âme humaine tandis que le corps féminin, inférieur, symbolise la partie qui n’est pas à l’image de Dieu. [4]

Mais c'est dans son livre  De Trinitate qu'il pose une affirmation forte de la femme image de Dieu avec, cependant, une différence discriminante :

D’après la Genèse, c’est la nature humaine en tant que telle qui été faite à l’image de Dieu, nature qui existe en l’un et l’autre sexe et qui ne permet pas de mettre la femme à part, quand il s’agit de comprendre ce qu’est l’image de Dieu…

Comment dès lors l’apôtre peut-il dire que l’homme est l’image de Dieu et qu’à ce titre il ne doit pas se voiler la tête, mais que la femme ne l’est pas et doit par conséquent voiler la sienne ? La raison, à mon sens, est celle que j’ai déjà apportée, lorsque j’ai traité de la nature humaine : la femme avec son mari est image de Dieu, de sorte que la totalité de cette substance humaine forme une seule image ; mais lorsqu’elle est considérée comme l’auxiliaire de l’homme - ce qui n’appartient qu’à elle seule - elle n’est pas image de Dieu ; par contre l’homme, en ce qu’il n’appartient qu’à lui, est image de Dieu…[5]

Dans la pensée d’Augustin, on voit donc que, associée à l'homme, la femme est image de Dieu. Mais l'homme n'a pas besoin de la femme pour l'être. Il l'est en lui-même, image parfaite, entière. Et la raison de la non-théomorphie de la femme sans l'homme, c'est son statut d'auxiliaire.

 

Saint Thomas d’Aquin

Thomas va suivre Augustin dans l'attribution de l'image de Dieu à la femme. Mais comme lui, en y apportant des corrections infériorisantes. Dans la Somme théologique, Thomas se pose la question de savoir si l'image de Dieu se trouve en l'humain seulement selon l’esprit, il répond positivement et cela lui permet de l’attribuer autant à la femme qu'à l'homme.

Aussi faut-il dire que si l'Écriture, après avoir dit : A l'image de Dieu il le créa, ajoute :  Homme et femme il les créa, ce n'est pas pour inviter à découvrir l'image de Dieu dans la distinction des sexes, mais parce que l'image de Dieu est commune à l'un et à l'autre sexe, puisqu'elle se réalise au niveau de l'âme spirituelle dans laquelle il n'y a pas de distinction des sexes.  C'est pourquoi St. Paul (Col 3,10) après avoir dit : A l'image de son Créateur, ajoute :  là il n'est plus question d'homme ou de femme[6]

Mais il y apporte une restriction :

…pour ce qui est de certains traits secondaires, l'image de Dieu se trouve dans l'homme d'une façon qui ne se vérifie pas dans la femme ; en effet, l'homme est principe et fin de la femme, comme Dieu est principe et fin de toute la création. Aussi, une fois que St. Paul eut dit :  L'homme est l'image et la gloire de Dieu tandis que la femme est la gloire de l'homme, il montra la raison pour laquelle il avait dit cela en ajoutant : Car ce n'est pas l'homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l'homme, et ce n'est pas l'homme qui a été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme.  [7]

Nous avons ici un exemple significatif du caractère discriminant d'une interprétation biblique. Eve tirée du côté d'Adam a pour conséquence que l'homme masculin est pensé principe et fin de la femme : elle vient de lui, créée à partir de lui. Il est principe, comme Dieu l'est, pour l'ensemble de la création, ce qui le place d'une certaine manière du côté de Dieu, et comme le médiateur entre la femme et Dieu. Il n'y a pas réciprocité de l'un pour l'autre mais un sens unique : la femme pour l'homme. C'est ce caractère de subordination propre à la femme qui fait que, pour Thomas, elle ne peut pas refléter l'image de Dieu.

 

Il est intéressant de voir jusqu’où va son questionnement pour saisir le sexisme d’une pensée.

A la question 92, article 1 de la Somme Théologique, Thomas se demande l'intérêt qu'il y avait à produire la femme.

Il était nécessaire que la femme fût faite, comme dit l'Écriture, pour aider l'homme. Non pas pour l'aider dans son travail, comme l'ont dit certains, puisque, pour n'importe quel autre travail, l'homme pouvait être assisté plus convenablement par un autre homme que par la femme, mais pour l'aider dans l'oeuvre de la génération. [8]

La production de la femme est donc conçue comme celle d'une auxiliaire et l'aide apportée est précisée : une aide pour la génération. Elle est produite pour l'homme, pour la maternité, et non pour elle-même.

 

Ensuite Thomas répond à une objection où il y a la fameuse citation d'Aristote sur la femme, mâle manqué. Il convient de la citer en entier. Car elle montre là où s’enracine la discrination du féminin : une conception erronée de procréation.

Par rapport à la nature particulière, la femme est quelque chose de défectueux et de manqué. Car la vertu active qui se trouve dans la semence du mâle vise à produire quelque chose qui lui soit semblable en perfection selon le sexe masculin. Mais si une femme est engendrée, cela résulte d'une faiblesse de la vertu active, ou de quelque mauvaise disposition de la matière, ou encore de quelque transmutation venue du dehors, par exemple des vents du sud qui sont humides, comme dit Aristote. Mais rattachée à la nature universelle, la femme n'est pas un être manqué : par l'intention de la nature, elle est ordonnée à l'oeuvre de la génération. Or, l'intention de la nature universelle dépend de Dieu, qui est l'auteur universel de la nature, et c'est pourquoi, en instituant la nature, il produisit non seulement l'homme, mais aussi la femme[9]

Thomas reprend ici les idées d'Aristote[10] sur la génération humaine qui affirmait que seule la semence virile était active, le corps féminin n'étant que réceptacle, sorte de couveuse naturelle. Puisque la semence venait de l'homme masculin, il ne devrait naître que des garçons ; s'il y a naissance de filles, c'est à cause d'une défectuosité.

Dans la même question, il répond à l'objection qu'il avait égalité de l'homme et de la femme avant le péché car la sujétion de la femme par l’homme est une conséquence du péché. Il le fait en distinguant deux sortes de sujetion dont l’une est légitime pour lui :

Il y a deux espèces de sujétion. L'une est servile, lorsque le chef dispose du sujet pour sa propre utilité, et ce genre de sujétion s'est introduit après le péché. Mais il y a une autre sujétion, domestique ou civique, dans laquelle le chef dispose des sujets pour leur utilité et leur bien. Ce genre de sujétion aurait existé même avant le péché. Car la multitude humaine aurait été privée de ce bien qu'est l'ordre, si certains n'avaient été gouvernés par d'autres plus sages. Et c'est ainsi, de ce genre de sujétion, que la femme est par nature soumise à l'homme, parce que l'homme par nature possède plus largement le discernement de la raison. D'ailleurs l'état d'innocence, comme on le dira plus loin, n'excluait pas l'inégalité entre les hommes .[11]

Pour Thomas donc, l'inégalité entre l'homme et la femme n'est pas une conséquence du péché mais un fait de nature. La femme doit être gouvernée par l'homme parce qu’il  possèderait davantage le discernement de la raison et cette sujétion serait en vue du bien de la femme.

 

Thomas s'interroge également sur la création de la femme à partir de l'homme. Il en donne deux raisons .

La première  :

Il convenait que la femme, dans la première institution des choses, fût formée à partir de l'homme et cela beaucoup plus que chez les autres animaux. Ainsi serait accordée au premier homme cette dignité d'être, à la ressemblance de Dieu, le principe de toute son espèce, comme Dieu est le principe de tout l'univers. Ce qui fait dire à St. Paul (Ac 17,26)  que Dieu " d'un être unique fit tout le genre humain . [12]

Cette première réponse est significative. Elle met le masculin du côté de Dieu, lui conférant une ressemblance avec lui du fait qu'il est principe de l'espèce humaine puisque de lui a été tirée la femme et tout le genre humain. Il est donc à la ressemblance de Dieu, principe de tout l'univers. Le masculin est « principe » à la ressemblance de Dieu qui est principe.

La deuxième :

Parce que, selon Aristote,  l'homme et la femme s'unissent chez les humains non seulement pour les besoins de la génération, comme chez les autres animaux, mais aussi pour la vie domestique, qui comporte certaines activités de l'homme et de la femme, et dans laquelle l'homme est le chef de la femme . Aussi convenait-il que la femme fût formée de l'homme comme de son principe[13]

Dans cette autre raison, il y a un dépassement du seul motif de génération pour justifier l'union de l'homme et de la femme. Ils sont unis pour la vie domestique. Mais cette vie domestique est présentée sous l'angle d'activité propre à l'homme et propre à la femme. Cette vie domestique est hiérarchique. Le texte de la Genèse, selon Thomas,  décrirait donc le type de relation entre l'homme et la femme telle  que Dieu la voudrait : s'il a créé la femme tirée de l'homme, c'est qu'il aurait voulu que l’homme soit chef de la femme.

 

En conclusion de ce rapide parcours législatif et théologique, nous avons donc, en ce qui concerne l'image, des textes de droit canonique qui refusaient à la femme la qualité d'image de Dieu. Augustin et Thomas la lui accorderont mais avec les restrictions que nous avons analysées et avec une lecture de Genèse, Eve tirée d’Adam, qui justifierait la place subordonnée de la femme. Donc une législation et des théologiens faisant autorité, qui justifient au nom de Dieu, au nom d’un plan de Dieu,  une inégalité de nature.

 

La citation suivante tirée de St Bonaventure, contemporain de St Thomas, nous signale que ce progrès, même limité chez eux, ne faisait pas l'unanimité.

Le sexe masculin est nécessaire pour la réception des Ordres… car nul ne peut recevoir les Ordres s’il n’est image de Dieu, parce que dans ce sacrement la personne humaine devient d’une certaine manière Dieu ou divine, puisqu’elle devient participante au pouvoir divin. Mais c’est l’homme qui est, en raison de son sexe, Imago Dei, comme il est dit dans le chapitre 11 de la 1ère lettre aux Corinthiens. Il est donc impossible à une femme d’être ordonnée. [14]

La question de l'image est ici décrite dans le cadre de la question du sacrement de l'ordre. C'est l'homme seul qui, pour Bonaventure, serait image de Dieu, la femme ne l'étant pas. Il est nécessaire d'avoir cette image pour devenir d'une certaine manière Dieu en participant à son pouvoir. La femme n'a pas cette image, elle ne peut donc pas recevoir ce sacrement.[15]

 

[1] K.BORENSEN, Imago Dei, privilège masculin ? Interprétation    augustinienne et pseudo-augustinienne de Gn1/27 et 1 Co11/7, Augustinianum 25 (1985) p 213 à 234.

[2] Clément d’Alexandrie avait lui aussi inclus le féminin dans la théomorphie en mettant l'image dans l'âme rationnelle. Pour lui, les femmes  sont images de Dieu dans leur âme malgré leur féminité inférieure. Le Pédagogue livre 1, Cerf, 1983, Sources Chrétiennes 70,10 .

[3] AUGUSTIN, De Genesi ad  litteram III, 22; CSEL 28, II, 88-90; Bibliothèque Augustinienne = BA 48,266-9.

[4] Déjà cité.

[5] De Trinitate XII, 7,10 ; BA 16,229-31.

[6] THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, 1a q 93 a 6 solution 2.

[7] Idem

[8] 1a  q 92 a 1

[9] Idem

[10] ARISTOTE, De la génération des animaux, I, 21. Par exemple : « La femelle est bien, en tant que femelle, un élément passif, et le mâle, en tant que mâle, un élément actif, et c’est de lui que part le principe du mouvement. »

[11] Idem

[12] 1a q 92 a 2

[13] idem

[14] Commentarium in IV Libros Sentatiarum Magistri Petri Lombardi, Div 25, Art.2 Qu.1

[15] Le supplément de la Somme Théologique de Thomas sur ce même sujet n'utilisera pas cet argument puisque pour lui, homme et femme sont image mais  utilisera un autre argument : du fait de son état de soumission, la femme ne peut signifier une éminence de degré. Somme Théologique, Supplément q 39 a1.

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21 janvier 2020 2 21 /01 /janvier /2020 10:05
masculin-Féminin 2

Il y a 3 ans, j’ai publié un livre aux Editions BOD.  C’est une version abrégée de mon mémoire de maitrise en théologie que j’ai soutenu au Centre Sèvres, facultés jésuites de Paris.

Dans ce livre j’ai voulu décrypter le discours sur les femmes d’une encyclique de Jean-Paul II et en quoi ce discours continue d’être discriminatoire pour les femmes.

Je le mets sur mon blog en plusieurs partie. Une manière de vous le partager mais aussi de le faire connaitre et donner envie de l’acheter !

https://www.bod.fr/librairie/masculin-feminin-ou-en-sommes-nouso-michele-jeunet-9782322077274

Voici le deuxième envoi : masculin-féminin 2

Chapitre 1

Le lourd passif d’un discours avant Vatican II

 

L’encyclique Mulieris dignitatem de Jean-Paul II est à bien des égards étonnante car elle se positionne, pour une part, en rupture avec le discours traditionnel sur les femmes.

La première rupture est l’affirmation que les femmes comme les hommes sont image de Dieu (ce qu’on appelle la théomorphie).

La deuxième rupture  porte sur l’interprétation d’un livre du Nouveau Testament,  la lettre aux Ephésiens, chapitre 5 versets 21 à 33, où Paul parle de la soumission des femmes à leurs maris. Jean-Paul II affirme qu’il s’agit d’une soumission réciproque de l’homme et de la femme dans le couple et non la soumission de la femme seule.

La troisième rupture est la reconnaissance d’une image féminine de Dieu.

Pour bien mesurer la profondeur de ces ruptures, il faut se plonger dans les textes du passé. Ils affirmaient tout le contraire : la femme n’était pas image de Dieu, ou l’était moins que l’homme, et  la soumission de la femme à l’homme était dans le plan de Dieu. Quand à Dieu, il ne pouvait être représenté que sous des figures masculines.

Faisons une plongée dans ces textes qui ont façonné le discours catholique pendant des siècles. Ils sont peu connus et méritent de l’être pour mieux saisir qu’un certain discours égalitaire du magistère romain est récent.

 

La femme n’était pas image de Dieu

Textes législatifs anciens

Commençons par des documents du Droit Canon.[1] Celui qui est en vigueur actuellement date de 1983. Il a remplacé celui de 1917 qui lui-même avait remplacé le Corpus Iuris Canonici établi sous le pape Grégoire XIII en 1582. Ce corpus dans sa première partie reprend  le travail de Gratien (1140). C’est  une compilation de textes établis par un juriste romain au 4ème siècle[2]. Par une fausse attribution à Augustin et à Ambroise ces textes ont profité du prestige de ces deux Pères de l’Eglise.

Que trouvons-nous dans ces textes anciens ?

La femme ne serait pas image de Dieu dans l’ordre de la création. Adam est le premier homme exemplaire. Eve est secondaire parce que dérivée. Le couple originel est le prototype de tous ceux à venir, chaque « vir » (mot latin pour le masculin) héritant de la primauté d’Adam et chaque « mulier » (mot latin pour dire le féminin) héritant de la dépendance d’Eve.

La prééminence de l’homme sur la femme était justifiée par sa création en second de la côte d’Adam. Ils étaient considérés comme ayant  en commun une même substance mais hiérarchisée, le privilège de l’image de Dieu n’appartenant qu’à l’homme masculin.

qu’elle soit image de Dieu, ce qui est absurde. De quelle façon en effet peut-il être dit de la femme qu’elle est image de Dieu, elle qu’on constate soumise à la domination de l’homme et n’avoir nulle autorité ? En effet, elle ne peut ni enseigner, ni être témoin, ni dire la foi, ni juger et encore moins commander ! [3]  

L’homme en effet a été fait à l’image de Dieu, et non la femme. [4]

Le voile de la femme était considéré comme un  signe de sa subordination en tant que non-théomorphe.

C’est pourquoi la femme doit se voiler la tête parce qu’elle n’est pas image de Dieu et doit se montrer soumise [5]

Les auteurs de ces textes se posent toutefois la question de leur conciliation avec un texte du Nouveau testament, l’Epitre aux  Galates au chapitre 3 verset 28 :

Baptisés dans le Christ, vous avez revêtus le Christ : il n’y a ni juif, ni grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites plus qu’un dans le Christ. 

Comment concilier ce verset qui fait fonde sur le baptême la suppression des discriminations,  avec un discours qui ne reconnait pas aux femmes la pleine image de Dieu ? Le droit canon distinguait pour cela, l’ordre de la création et l’ordre du salut.

Dans l’ordre du salut évoqué par ce verset de la lettre aux Galates, il y avait équivalence de l’homme et de la femme mais pas dans l'ordre de la création.

Autre, cependant, est cette image que l’on dit être créée dans la connaissance du Sauveur et autre est l’image selon laquelle a été faite le premier humain. La première image est aussi dans la femme, puisqu’elle connaît celui qui l’a créé et, obéissant à sa volonté, elle s’abstient d’une vie honteuse et d’une activité mauvaise; mais la deuxième image, celle de la création, est dans l’homme seulement… ainsi, si la femme ne se voilait pas la tête, elle serait elle-même image de Dieu, mais il serait incongru que celle qui a été faite soumise à l’homme soit dite image de Dieu. [6]

Ce qui donne en conclusion dans le décret de Gratien :

Comme le dit Augustin : la ressemblance de l’homme à Dieu se trouve en ce qu’il fut créé comme le seul être dont tous les autres sont sortis, et qu’il possède, en quelque sorte, la domination de Dieu en tant que son représentant, puisqu’il porte en lui l’image du seul Dieu. Ainsi la femme n’est pas créée à l’image de Dieu. C’est pourquoi l’Ecriture dit : Dieu créa le mâle, à l’image de Dieu il le créa. C’est pourquoi l’apôtre dit aussi : l’homme ne doit pas se couvrir la tête car il est l’image et le reflet de Dieu, mais la femme doit se couvrir la tête car elle n’est ni le reflet ni l’image de Dieu. [7]

Dans le texte latin de la Genèse qui est cité ici, pour parler de l’humain (masculin et féminin), on emploie le mot : « homo ». Dans ce texte, ce mot est remplacé par « vir », l’homme masculin, ce qui permet à l’auteur de dénier à la femme d’être image de Dieu.

 

[1] I.RAMING, La situation inférieure de la femme dans le Droit canonique, Concilium 111, 1976, p 63 à 72.

[2] la 2ème partie est constituée par les décrétales de Grégoire IX (1234).

[3] Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum = CSEL 50, 83.

[4] CSEL 81, II, 121

[5]CSEL 81, II, 3

[6] CSEL 81, III, 197

[7] Même référence.

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19 janvier 2020 7 19 /01 /janvier /2020 15:11
Masculin-Féminin 1

Il y a 3 ans, j’ai publié un livre aux Editions BOD.  C’est une version abrégée de mon mémoire de maitrise en théologie que j’ai soutenu au Centre Sèvres, facultés jésuites de Paris.

Dans ce livre j’ai voulu décrypter le discours sur les femmes d’une encyclique de Jean-Paul II et en quoi ce discours continue d’être discriminatoire pour les femmes.

Je vais le mettre sur mon blog en plusieurs partie. Une manière de vous le partager mais aussi de le faire connaitre et donner envie de l’acheter !

https://www.bod.fr/librairie/masculin-feminin-ou-en-sommes-nouso-michele-jeunet-9782322077274

Voici le premier envoi : masculin-féminin 1

Introduction

 

S'il est un bouleversement majeur intervenu depuis un siècle, en particulier en Occident, c'est bien celui des relations entre femmes et hommes. Ce bouleversement peut se décrire comme l'émancipation d'une tutelle, le domaine juridique en France en constitue une bonne illustration :

Il faut attendre 1938 pour que soit supprimée la puissance maritale et abrogée l'incapacité civile des femmes ; attendre 1965 pour qu’une femme mariée ne soit plus considérée comme mineure ; 1966 pour qu'elle puisse exercer un métier sans avoir besoin de l'autorisation de son mari ; attendre 1970 pour que la puissance paternelle soit remplacée par l'autorité parentale et que soit supprimée, dans le couple, la notion de chef de famille.[1]

Ces mesures ont contribué,  en partie seulement et peu à peu, en France, à sortir d’un système qui a prévalu pendant des siècles et qu’on a coutume de nommer patriarcal.

Cependant cette émancipation et cette sortie du patriarcat sont  loin d'être gagnées dans toutes les parties du monde où des femmes continuent de subir violences et injustices, d'abord comme tout être humain, mais de manière spécifique, en tant que femmes[2]. Et loin, encore, d'être acquises  dans tous les domaines, il suffit de citer parmi d'autres aspects, en France, la différence de rémunération, l’inégale répartition du travail domestique dans les familles, les violences conjugales dont les femmes sont majoritairement les victimes.

 

Une des questions débattues est d'évaluer la part positive du christianisme dans cette émancipation mais aussi sa part de responsabilité dans la légitimation et le maintien de ce patriarcat au cours de l'histoire.

Ces questions dépassent largement la sphère chrétienne et religieuse[3], mais  une certaine manière de traduire et d’interpréter les textes bibliques a  légitimé une situation de fait, ceci avec d’autant plus de force qu'elle se réclamait de l’autorité même de Dieu.

De ce point de vue, mon livre  se veut une contribution à un travail de mémoire, en vue  de continuer à se libérer de pratiques discriminantes. Ceci explique pourquoi on y trouvera des citations importantes de textes de la sphère chrétienne qui ont façonné des mentalités et ont justifié des fonctionnements.

Ils permettront de mieux saisir le regret que Jean-Paul II exprimait lui-même dans sa lettre aux femmes en juin 1995 :

« Il ne serait certes pas facile de déterminer des responsabilités précises, étant donné le poids des sédimentations culturelles, qui au cours des siècles ont formé les mentalités et les institutions. Mais si, dans ce domaine, on ne peut nier, surtout dans certains contextes historiques, la responsabilité objective de nombreux fils de l’Eglise, je le regrette sincèrement. »[4]

Sans méconnaître l’apport positif [5] du christianisme, la préoccupation qui est la mienne est de comprendre en quoi certaines traductions et interprétations de la Bible ont pu contribuer, légitimer et donc renforcer le maintien d'une situation inégalitaire. Et comment, aujourd’hui,  le discours du magistère romain peut-il aider à cette émancipation ou continuer à la freiner.

 

La pensée de la différence homme-femme peut être abordée sous des angles divers, par exemple psychologique, sociologique. J’ai choisi de me limiter à une lettre encyclique, à certains  textes bibliques et à leurs interprétations à  cause de l’impact qu’ils ont pu avoir et ont encore sur les mentalités et sur les décisions institutionnelles et à  cause de l’importance qu’il y a à les interpréter différemment pour ouvrir un avenir meilleur pour les femmes et pour les hommes. La lettre encyclique Mulieris dignitatem m’a paru, de ce point de vue, être un bon lieu pour y déceler à la fois ce qui va dans le sens de l’avenir mais aussi de ce qui reste  d’un passé qui fige dans un stéréotype.

 

[1] M. FERRAND, Féminin Masculin, Paris,  Ed. La  Découverte, 2004, collection repères n°389,  page 120-122.

[2] « L’égalité sociale, politique et économique des femmes fait partie intégrante de la réalisation de l’ensemble des objectifs du Millénaire pour le développement. Tant que les femmes et les filles ne sont pas libérées de la pauvreté et de l’injustice, tous nos objectifs – la paix, la sécurité, le développement durable – seront en péril ».

Déclaration du Secrétaire général Ban Ki-moon, le 28 juin 2010, qui introduit le rapport de l’ONU : La justice pour les femmes, la clé pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement. UNIFEM (Fonds de développement des Nations-Unies pour la femme) Sur internet : www.unifem.org/pdfs/MDGBrief-Fra.pdf

[3] F.HERITIER, Masculin Féminin, II, dissoudre la hiérarchie, Paris, Ed. Odile Jacob, 2002.

[4] JEAN-PAUL II, Lettre aux femmes, 29 juin 1995.

[5] A.M. PELLETIER, Le christianisme et les femmes, 20 siècles d’histoire, Paris, Cerf, 2001.

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