Toutes et tous, disciples-apôtres, selon l’évangile Variations à partir du livre Contre le cléricalisme, retour à l’Évangile
Cela fait déjà bien longtemps que résonne en moi l’injonction de Jésus : « N’appelez personne votre père sur la terre, car vous n’avez qu’un seul Père, celui du ciel, et tous vous êtes frères » (Mt 23,9). De là à trouver insupportable l’inflation des titres « Père » et, pis encore « Mon Père », adressés avec dévotion à tout prêtre diocésain, en toute occasion, quand ce n’est pas, tel un refrain incantatoire, au tournant de toutes les phrases, il n’y a qu’un pas, désormais franchi pour moi. Dès lors, vous comprendrez aisément que, sans prétendre ni pouvoir changer grand-chose à cette déviation récente (où est-il le temps où l’on parlait plus objectivement de Monsieur Vincent, du Curé d’Ars ou de l’Abbé Pierre ?), j’évite pour ma part le titre de « Père » accolé à mon nom, préférant l’apposition « prêtre » – éventuellement « du diocèse de Poitiers » – à seule fin de faire savoir ma fonction ecclésiale, par honnêteté à l’égard de mes interlocuteurs ou lecteurs. En outre, dans le contexte des paroisses rurales que je sers à présent, j’encourage l’emploi de mon prénom – nom de baptême – ou, à défaut, l’appellation « frère », déjà commune à certains ordres religieux et, en tout cas, moins ambiguë que la soi-disant paternité systématiquement attachée à tout prêtre catholique.
Fort de cette conviction, je me suis bien sûr tourné vers le texte évangélique sous-jacent à la prise de conscience ici évoquée. J’eus alors l’immense satisfaction de découvrir que :
- a) la parole en question n’est pas isolée ou dite en passant, mais soulignée par une stratégie rhétorique insistante ;
- b) elle ne concerne pas le seul titre de « Père », mais s’étend à d’autres expressions comme « rabbi » (maître-docteur) ou encore « dirigeant » (grec kathègètès : même radical que dans le mot « hégémonie »), susceptibles d’induire une hiérarchie, non seulement de fonctions mais quasiment de qualité ontologique affectant la personne ainsi désignée ;
- c) la justification théologique d’un tel interdit, non seulement en appelle à la paternité de Dieu, mais affirme du même coup la condition fraternelle des disciples ayant consenti à suivre Jésus sur le chemin du seul Dieu et Père de tous les humains. Or – et nous changeons de registre – je suis frappé aussi du fait qu’en grec, langue chrétienne des Écritures, le même mot désigne le frère ou la sœur, moyennant les variantes infimes de la déclinaison grammaticale permettant de distinguer les genres masculin et féminin. Ainsi, contrairement au latin et, me semble-t-il, le grand nombre des langues européennes où les deux mots sont totalement différents, le masculin pluriel du mot grec « frères » embrasse aussi bien le féminin pluriel de notre mot « sœurs » (adelphoi – adelphai). Dès lors, je me suis réjoui grandement du fait que la nouvelle traduction du missel ait spécifié « frères et sœurs », tant pour le Confiteor qu’au Memento des défunts, ce que je faisais moi-même depuis longtemps. Il se trouve, en effet, qu’en français moderne le mot « frères », de même d’ailleurs que le mot « hommes », n’est pas toujours compris comme impliquant aussi les femmes. Sur ce dernier point, il faut reconnaître qu’en français (contrairement au grec et au latin), nous souffrons de 2 n’avoir qu’un seul mot « homme », tant pour l’humanité en général que pour l’être masculin en particulier.
Nous devrons donc être particulièrement attentifs à cela lorsque nous traduisons les textes du Nouveau Testament. Prenons deux exemples concernant le quatrième évangile : s’il est parfaitement normal de dire, au sujet de Nicodème : « Il y avait un homme parmi les pharisiens » (Jn 3,1), en revanche, on ne saurait dire de la femme qui accouche (Jn 16,21) qu’elle se réjouit qu’un homme soit venu au monde. Il faut évidemment dire qu’elle est tout à la joie qu’« un être humain soit venu au monde », que le bébé soit garçon ou fille. Un minimum de tact pourrait en la matière aider à lever bien des incompréhensions, au regard de revendications féminines, parfaitement légitimes. De même encore, on devra éviter d’ajouter sans cesse le mot « homme », absent du texte grec, sous prétexte de rendre la phrase plus coulante. Ainsi de l’expression « tout homme qui », censée traduire les multiples constructions grammaticales exprimant en grec la généralisation, à l’instar de notre disgracieux mais indéfini pronom relatif « quiconque ». Si donc l’expression « frères et sœurs » (selon l’ordre alphabétique !) tend heureusement à se généraliser dans les monitions liturgiques, plutôt que la traditionnelle adresse « mes chers frères », prononcée à l’encontre de toute l’assemblée, je m’étonne que la lecture des épîtres continue de s’ouvrir sur l’entête « Frères ». Qu’attendons-nous pour dire « frères et sœurs » ? Rien, en effet, ne s’y oppose : d’une part, cette entête n’est pas dans le texte, mais constitue un ajout proprement liturgique ; d’autre part, à supposer que Paul ou l’un des apôtres en personne se fût adressé lui-même à notre assemblée, il est clair que dans leur langue grecque le mot « frères » eût désigné aussi bien les « sœurs », moyennant la convention d’un accord grammatical au masculin pluriel. Bref, ces suggestions pourront paraître mineures. En tout cas, elles seraient extrêmement faciles à mettre en œuvre et pourraient déjà contribuer à l’instauration d’un meilleur climat dans les relations hommes-femmes, aussi bien qu’entre ministres ordonnés et simples fidèles, qualifiés de « laïcs » (étymologiquement, référence au peuple de Dieu – grec laos). Ainsi, la réserve exprimée à l’égard de l’appellation « Père » ou « mon Père », convient au texte évangélique où Jésus lui-même nous renvoie à notre commune condition de frères-sœurs.
Dès lors, comment ne pas évoquer aussi le texte johannique signifiant l’institution de l’Église, à l’heure de la Croix, sur la seule base de relations familiales : « Voici ton fils – Voici ta mère » (Jn 19,26-27) ? Du fait de recevoir pour lui-même la Mère de Jésus, le Disciple bien-aimé se trouve qualifié comme frère, donc aussi héritier de Jésus, anticipant l’ecclésiologie de « l’Église famille de Dieu », chère aux épiscopats africains.
Paul lui-même, dans les ouvertures de ses nombreuses lettres, tant authentiques que posthumes, évitera pour lui-même et ses proches tout vocabulaire hiérarchique, préférant parler de frères, collaborateurs ou camarades, apôtres comme lui, face à des communautés elles-mêmes nées de la vocation apostolique, enracinée dans le mystère pascal de Jésus Christ, l’envoi des disciples et le don de l’Esprit. Malgré l’expression d’une tendresse quasi maternelle à l’égard de ses communautés, Paul ne fait pratiquement pas recours au vocabulaire paternel dans l’exercice de l’autorité apostolique. Seules les épîtres pastorales, beaucoup plus tardives et déjà marquées de pratiques quasi cléricales (ainsi le souci de classer les baptisés en différents ordres), valoriseront la paternité de l’apôtre à l’adresse des jeunes disciples Tite et Timothée, quasiment des « fils » attachés au père spirituel, d’ailleurs mort depuis longtemps. Encore faut-il ne pas généraliser, encore moins institutionnaliser, le rapport père-fils, ainsi vécu à titre posthume, en dehors donc du contrôle de Paul, très prudent en la matière, 3 comme l’attestent les épîtres authentiques, voire la première vague de lettres posthumes ou « pseudépigraphes ».
Surtout il apparaît que, dans l’énorme dossier paulinien (tant les Actes des Apôtres que les trois vagues d’épîtres « de » Paul), de nombreuses femmes se trouvent associées au ministère de l’Apôtre, nous rappelant du même coup que Jésus lui-même ne pratiquait aucune discrimination à l’égard des femmes. Transgressant au besoin les tabous de l’époque, Jésus leur manifeste la même bienveillance qu’à leurs collègues masculins et leur intime les mêmes exigences de l’ordre de la foi. Parfois même, particulièrement dans l’évangile selon Jean, des personnages féminins paraissent occuper des postes symboliquement très forts. Ainsi de Marie de Magdala, désignée par Jésus ressuscité comme l’apôtre par excellence, ou encore la Samaritaine, figure exemplaire de la mission, sans oublier Marie de Béthanie et sa sœur Marthe, l’une et l’autre modèles de foi, incarnant chacune à sa façon l’idéal du/de la disciple. Pour en revenir au temps de Paul, il est clair que les nombreuses femmes œuvrant à ses côtés ne sont pas de simples assistantes, mais exercent des fonctions d’autorité, notamment dans le cadre des Églises domestiques (Lydie, Chloé, Phoebé), voire sous un mode transversal, à la façon du couple omniprésent de Priscille et Aquila. L’une d’elles, Junie, se voit même reconnaître par Paul le titre d’apôtre, en compagnie de son époux Andronicus (Rm 16,7). Il faudra toute la malveillance, voire la bêtise, d’une longue lignée d’éditeurs et traducteurs masculins pour que l’apôtre Junie se retrouve travestie en un masculin Junias, jugé plus compatible avec le titre d’apôtre.
Bien d’autres exemples de traductions inconsciemment machistes méritent d’être dénoncées et corrigées. Là encore, c’est peu de chose, mais cela pourrait aider à « déminer » le terrain, pour peu que chacun s’y montre attentif. À dire vrai, la difficulté de fond provient de la confusion entretenue entre les Douze, au sens particulier, et les Apôtres en général, au premier rang desquels figure le grand saint Paul, lequel, n’étant évidemment pas du nombre des Douze, n’en est pas moins l’Apôtre par excellence. De même, Marie de Magdala, apostola apostolorum (f.sg/m.pl), apôtre envoyée auprès des « frères-sœurs » disciples, dont les Douze, eux-mêmes destinés à la mission apostolique, parce qu’envoyés par Jésus lui-même (avant et après sa résurrection).
Il se trouve, en effet, qu’à partir de la Pentecôte et le don effectué de l’Esprit Saint, les Douze tendent à disparaître et se fondre dans le groupe infiniment plus large des Apôtres, sans doute de composition mixte (hommes et femmes), sans penser à la parité, impensable à l’époque. Jésus lui-même n’avait-il pas, dès le temps de la vie publique, démultiplié le nombre des envoyés, autrement dit apôtres, selon la tradition lucanienne des soixante-douze (Lc 10,1-12) ? Ou bien encore, sollicité par les Douze désireux de se réserver une place de choix dans le Royaume, Jésus n’a-t-il pas répondu que leur fonction propre serait eschatologique, donc sans effet historique ? (Mt 19,28). Saint Pierre de son côté, au tout début du livre des Actes, plaidant pour qu’un successeur soit trouvé à Judas, reconnaissait aux Douze la mission d’être témoins de la totalité du parcours historique de Jésus, jusqu’à sa mort-résurrection et depuis le baptême conféré par Jean, d’où le fait que les Douze soient nécessairement tous galiléens (Ac 1,21-22). Mais, entre le temps de Jésus et l’horizon eschatologique, les Douze n’ont ni fonction propre, ni succession établie. Alors prime la mission confiée aux Apôtres, bien plus nombreux que les Douze, ainsi qu’à leurs successeurs, y compris les ministres de différents ordres, que l’Église saura se donner en fonction de ses besoins, à commencer par les Sept de Jérusalem, d’abord voués au service des 4 tables puis eux-mêmes directement engagés dans l’action missionnaire, avec les pionniers que seront Étienne et Philippe. Ainsi le ministère apostolique s’organise-t-il, dès les débuts à Jérusalem et bien au-delà, en fonction des besoins et exigences de la mission, y compris l’animation des communautés locales, avec le ministère collégial des anciens (presbytres), en charge tant de la vigilance que du service (épiscopes et diacres : Ph 1,1), avant que ces trois dimensions (collégialité, gouvernance, service) ne soient distinguées et réparties au sein de l’Église locale. Rappelons-nous aussi que les récits d’appel puis d’envoi des Douze conservent des traces de la distinction première entre les titres et qualités de disciples, Douze, et apôtres. En tout cas, il serait sans doute fécond et très prometteur que, cessant de référer le ministère apostolique au seul modèle des Douze, nous prenions mieux en compte les réalités plurielles et les formes diverses de la Mission chrétienne, en ses tout débuts, justement désignés comme les temps apostoliques.
Revenant donc au premier âge de l’Église (qui n’est plus et pas encore le temps des Douze) et relisant d’un œil neuf tant les Actes des Apôtres et les lettres de Paul que, de façon indirecte, les évangiles eux-mêmes, nous serons surpris de voir reconnaître aux femmes une place singulièrement importante dans la vie des communautés. Outre les quelques cas personnels, évoqués plus haut, arrêtons-nous un instant au tableau suggestif de l’assemblée à Corinthe, du temps même de Paul. Alors que l’apôtre reconnaît le bien fondé d’une différenciation vestimentaire entres hommes et femmes, conformément aux usages du temps, en revanche, il considère comme allant de soi la pratique communautaire qui place sur un strict plan d’égalité « tout homme qui prie ou prophétise » (1 Co 11,4) et, selon les mêmes mots, « toute femme qui prie ou prophétise » (1 Co 11,5), les deux fonctions consistant à énoncer à haute voix, tant la parole qui de l’assemblée monte vers Dieu (prière) qu’inversement la parole qui de Dieu descend sur l’assemblée (prophétie). Quant au vêtement lui-même, en l’occurrence le fait que la tête des femmes soit couverte (un léger voile, un pan du manteau, voire une coiffure plus ou moins savante, à l’instar des sculptures gréco-romaines de l’époque), il s’agit en tout cas pour Paul de signifier l’autorité (exousia) reconnue aux femmes dans l’assemblée chrétienne, au regard même des anges, ainsi sollicités à titre de témoins d’une réalité pour le moins sacrée (1 Co 11,10). Là encore, il faudra toute la bêtise du machisme triomphant pour que traducteurs et commentateurs parlent de l’autorité subie par les femmes, littéralement : leur soumission, comme s’il était impensable qu’elles puissent exercer quelque autorité que ce soit au sein de l’assemblée chrétienne.
Finalement la clé de lecture, sublime et décisive, ne se trouverait-elle pas dans le fameux passage de Ga 3,27-28, niant toute pertinence aux ségrégations socioculturelles (ni Juif ni grec, ni esclave ni personne libre), du fait même de la commune condition filiale inhérente à la réception de l’unique baptême chrétien ? Certes, on est encore loin d’une réelle pratique de l’égalité fondamentale ainsi affirmée. Il n’empêche qu’elle se trouve comme gravée dans le marbre de la Parole de Dieu et qu’à ce titre nul chrétien (ou chrétienne) ne saurait en contester la pertinence. Or, il est aussi proclamé dans la même phrase, quoiqu’un peu différemment, qu’« il n’y a pas masculin et féminin ». Certes la distinction entre hommes et femmes garde toute sa valeur, elle s’avère constitutive de l’idée même d’alliance. En revanche se trouve bannie de l’économie nouvelle révélée en Christ, toute forme de compétition binaire, rivalité ou concurrence relevant d’une stupide guerre des sexes, non pas tant les individus, hommes et femmes, que les principes identitaires, ici exprimés à l’aide des catégories grammaticales du masculin et féminin.
On pourrait dès lors tenir pour inacceptable, d’un point de vue évangélique, que le ministère de représentation de l’unique Seigneur, lui-même mort d’avoir combattu toute forme de discrimination sociale ou religieuse, soit grevé d’une ségrégation quasi ontologique, excluant a priori les membres féminins de l’unique Corps du Christ ressuscité. Certes, la référence exclusive au soi-disant modèle des Douze, auxquels nul ne reprochera d’avoir été des hommes masculins, puisque inspirés de la figure des douze fils de Jacob, éponymes des douze tribus d’Israël, aura eu longtemps pour effet d’occulter la question d’un accès féminin aux ministères de l’Église.
La recherche exégétique, tant sur le rôle propre aux Douze que sur les modes de fonctionnement des premières communautés chrétiennes, devrait aider l’Église catholique à se libérer de l’obligation morale qui semblait s’imposer à elle, à savoir n’ordonner aux trois degrés du ministère apostolique que des hommes masculins. En tout cas, la double référence biblique et théologique ici proposée pourrait s’avérer plus décisive que d’autres arguments, tant féministes que sociologiques, certes recevables en soi, mais dont on pourra toujours dire qu’ils ne s’appliquent pas spécifiquement à l’objet propre qu’est l’Église du Christ, distincte de toute autre forme de société humaine.
Dès lors, pour nous, il s’agira moins d’envisager des fonctions ou ministères proprement féminins, revenant à perpétuer la bipolarité remise en cause dans la lettre aux Galates, que tout simplement offrir aux femmes chrétiennes le plein accès aux ministères reçus de la Tradition ecclésiale, sans discrimination ni ségrégation a priori.
Certes, ce qui est dit là est infiniment plus difficile à entendre et à mettre en œuvre que nos modestes propositions relatives aux titulatures ecclésiastiques. Raison de plus pour agir sans tarder sur ce qui paraît simple : tout se tient, et nous ne progresserons pas dans notre refus du cléricalisme, si nous ne sommes même pas capables de bouger et faire bouger ce qui pourrait bien n’être que détails ou effets de mode, néanmoins lourds de sous-entendus et préjugés non clairement élucidés.
Bref, si la question de l’accès féminin aux ministères est une pièce essentielle du dispositif qui pourrait sortir l’Église catholique des ornières du cléricalisme, entretenu par, sinon fondé sur la séparation-sacralisation du clergé masculin, il ne faudrait pas non plus oublier que rien ne progressera sans l’application stricte des consignes du Seigneur relatives à l’exercice de toute autorité, notamment chez Matthieu. Tant la critique féroce opérée par Jésus à l’égard des pharisiens hypocrites, imbus de leur pouvoir et assoiffés de reconnaissance sociale, que la mise en valeur des pauvres et petits, à commencer par les enfants, jusqu’à oser proposer un parfait chamboulement des hiérarchies humaines, les premiers étant tenus pour derniers, et réciproquement, selon une logique révolutionnaire (au sens étymologique du terme), également célébrée dans le chant programmatique du Magnificat, dans l’évangile selon Luc.
Il se trouve en outre que l’évangile selon Matthieu, le plus explicite quant à l’assurance future de l’Église, sinon sa puissance au moins spirituelle, renferme aussi la charte indépassable des Béatitudes, liant la promesse de bonheur inhérente à l’Évangile, Bonne Nouvelle du don de Dieu, à l’esprit de pauvreté, sous-jacent aux attitudes, tenues pour exemplaires, de justice, douceur et paix, compassion et miséricorde, droiture d’intention et capacité d’endurer les persécutions, à commencer par les incompréhensions et malveillances internes à l’institution ecclésiale.
Là se trouvent sans doute les plus efficaces anticorps, opposables tant aux maladies affectant les âmes et les cœurs des disciples, qu’aux épidémies dévastatrices du corps entier de l’Église. L’idée même d’emprise, qu’elle soit purement spirituelle ou s’en prenne aux corps eux-mêmes, cristallise toutes les formes d’abus de pouvoir, autoritarisme ou démagogie, susceptibles d’atteindre les plus nobles institutions, voire les personnes les plus en vue, surtout lorsqu’elles se montrent avides d’une position dominante. Il ne devrait absolument pas en être ainsi en Église.
Aucune excuse n’est recevable, pas même l’ignorance ou l’oubli des Écritures, tellement explicites en la matière. Laissons donc retentir en nous la litanie des clés du Royaume voulu par Jésus : « Ne dites à personne Père, car vous n’avez qu’un seul Père, qui est aux cieux et que vous êtres tous frères… Quand vous priez, jeûnez, partagez, ne vous donnez pas en spectacle comme les hypocrites… Le plus grand parmi vous sera le plus petit, et celui qui commande tel celui qui sert… Heureux les pauvres, les doux, les humbles, les justes, les miséricordieux, les pacifiques… ».
N’oublions pas non plus le formidable manifeste de l’épître aux Galates 3,27-28 : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni [personne] libre, il n’y a pas masculin et féminin, car vous tous, vous êtes un dans le Christ Jésus ».
Apprenons aussi à mieux connaître l’Écriture, telle qu’éclairée par le travail des exégètes adonnés à en scruter les moindres détails, au plus près des langues d’origine, et nous comprendrons mieux que les Apôtres ne sont pas seulement les Douze et qu’en conséquence les femmes aussi jouent un rôle important dans les communautés chrétiennes des temps justement dits apostoliques.
Acceptons aussi de reconnaître les dégâts d’un modèle patriarcal, voire machiste, dès le stade des traductions et interprétations textuelles. Dès lors, faisons nôtre la belle image johannique de l’Église famille de Dieu, et vivons le bel et fort impératif d’une philadelphia qui soit l’affaire de tous, frères-sœurs, disciples-apôtres, dans un esprit de service qui prenne le dessus des ego surdimensionnés et s’attache ainsi à balayer toutes formes d’emprise, abus de pouvoir, autoritarisme et centralisation, opérées au détriment des plus petits, ces derniers pourtant appelés à être premiers.
Bref, osons faire nôtre le programme suggéré par cette sorte de quatrain proposé en final de notre petit livre :
1. Non plus des pères mais rien que des frères, non seulement des frères mais aussi bien des sœurs.
2. Non plus seulement les Douze mais des apôtres divers, hommes et femmes, hors compétition masculin-féminin.
3. Non plus des grands à la façon du monde, mais d’abord des petits, humbles et pauvres de cœur.
4. Non plus des dirigeants, aux ambitions de managers, mais de simples pasteurs, proches et dévoués à chacun.
Je m’arrêterai là, vous invitant bien sûr à travailler le petit livre que vous avez voulu récompenser – et je vous en remercie infiniment – mais bien davantage encore à lire et relire, étudier et méditer les textes bibliques sous-jacents à ce modeste essai. Oui, si nous voulons nous engager « contre le cléricalisme », il n’est sans doute meilleur chemin que le « retour à l’Évangile ».
Yves-Marie Blanchard Issy-les-Moulineaux, le 14 octobre 202