Avec la mort du Christ, nous pouvons atteindre les sommets des fausses images de Dieu. Quel est ce Dieu, ce Père, qui aurait besoin de la mort de son Fils pour nous pardonner ? De cette mort pour réparer l’offense ?
« Un Dieu d’amour n’est pas compatible avec un être qui peut être offensé au point de devoir sacrifier son Fils pour rester en paix avec soi-même et se réconcilier avec l’offenseur » (Juan Louis Segundo, sj ).
Alors comment parler de la passion pour que ce soit la bonne nouvelle d’un amour qui va jusqu’au bout ?
En s’incarnant, Dieu est passé par la mort comme chacun de nous. Dieu est donc passible (susceptible de souffrir) et non pas impassible. Il se fait proche jusqu’au bout de ce qui fait nos vies, jusqu’à l’extrême de nos vies qu’est la mort. Rien de ce qui fait nos vies, la naissance et la mort ne lui sont étrangers. Il est le Dieu d’infinie proximité, sans tricher. Dieu avec nous, jusqu’au bout. Par la croix, Dieu souffre. S’il n’était pas ce Dieu là, Dieu resterait distant, froid, silencieux. « Si Dieu était incapable de souffrir, il serait aussi incapable d’aimer. Dieu souffre par son amour qui est la surabondance de son être » (Jurgen Moltmann).
Jésus, par sa vie et sa mort, donne accès à ce Dieu là. Cela permet de mettre en question la doctrine de la toute puissance de Dieu. Cette doctrine n’est plus crédible pour l’homme d’aujourd’hui. La toute puissance que Dieu possède et manifeste dans le Christ est la toute puissance de l’amour souffrant.
De plus la mort du Christ sur la croix est violente et injuste. Le Dieu crucifié est jugement contre toute injustice. Dieu victime de l’injustice, est dénonciation de toute injustice. La mort du Christ est communion avec celles et ceux qui sont dans la nuit.
Le Christ est là avec nous, non seulement un jour du temps quand il a hurlé de douleur sur la croix, mais aussi de tout temps. Il crie sa douleur pour tout ce qui dans ce monde pourtant si beau, est défiguré par l’injustice et par l’absurde. Il est là avec nous, sans mots, mais il est là. Il nous prend la main, il nous prend dans ses bras pour que, de la douleur, puisse naître peu à peu une détermination, une force pour combattre, une force pour vivre et faire vivre.
Arrêtons donc de dire que la mort du Christ sur la croix est la volonté de Dieu comme condition de pardon ! La miséricorde qui est Dieu n’a besoin d’aucune souffrance ni d’aucune croix pour être remuée aux entrailles devant nos égarements.
« Ayant aimé les siens, il les aima jusqu’à l’extrême ». Voilà la raison de la croix : un amour en excès. Une fidélité de Dieu qui va jusqu’au bout. Il va jusqu’au bout de la non-violence et ne répond pas à la violence par la violence. Il fait jusqu’au bout ce qu’il a toujours dit et fait. Reculer devant la croix, cela aurait décrédibilisé tout l’Evangile.
Au pire de la souffrance, une parole de pardon est dite « Père, pardonne-leur ». C’est le pardon absolu qui « rachète » toute faute si l’on veut bien le recevoir. Cela nous délivre de vouloir être à nous-mêmes notre sauveur, ce qui est impossible et nous plonge dans une quête de réparation sans fin. Seul le Christ est sauveur et son salut est total et gratuit.
A la croix, Dieu nous dit son avant dernière parole : « comment est-ce possible que vous ayez encore peur de moi ? Mes mains sont solidement clouées au bois. Les mains de mon amour et le bois de vos vies, liés de toute éternité. Rien, rien ne peut nous séparer ».
Un homme du nom de Bartimée, il mendiait, il était assis sur le bord du chemin, il était aveugle. Son histoire est racontée dans l’évangile selon Marc au chapitre 10, verset 46 à 52.
Dans ce récit de rencontre avec Jésus, il y a un détail qui passe inaperçu : à l’appel de Jésus, il rejette son manteau, bondit, et vint à Jésus. (Mc 10,50). Cet acte peut avoir une signification pour chacun, chacune de nous : pour aller vers Jésus, il y a un manteau à quitter. Un manteau et pas qu’un seul ! Ou encore, on peut dire qu’en allant vers Jésus on se débarrasse de manteaux qui nous empêchent de vivre à plein !
Alors quels sont ces manteaux qui nous empêchent de vivre à plein ? Ils sont nombreux dans les domaines du politique, du social, de l’économique, du psychologique…
Mais parlons ici uniquement des manteaux toxiques du religieux qui pourrissent la vie.
Voici quelques exemples de toxicité ; Le dieu tout puissant qui s’impose à moi ; Le dieu qui décide de ma vie ; Le dieu qui a une volonté particulière sur moi qu’il me faut chercher, trouver et accepter sinon je vais lui déplaire. ; Le dieu qui me commande ce que je dois faire ; Le dieu qui me donne mais sous obligation de lui rendre, comment si j’avais une dette à payer ; Le dieu qui donne si on le mérite ; Le dieu gendarme qui m’attend au tournant pour me verbaliser ; Le dieu qui me protégera si je le paie par des sacrifices Etc.
Dieu n’est pas celui-là, il est à l’image de ce que Jésus à donner à voir de lui.
Dieu…respectueux de l’autre, ne s’imposant pas, n’imposant pas sa volonté sur les décisions d’une vie, ne contraignant pas, ne décidant pas à sa place, donnant gratuitement sans exiger une contrepartie car c’est sa joie de donner, favorisant la vie, disant va vers toi-même, cherche ton chemin, et trouve- le au plus profond de ton cœur.
Alors pourquoi se fait-on une image de Dieu qui est tout le contraire ?
S’il y a Dieu, j'aime à croire qu'il ne peut être que le meilleur humain qui soit !
Et je peux le voir ! Je peux voir Dieu en tout homme, en toute femme qu’on aime fréquenter car on est en totale confiance avec elle, avec lui, on sait qu’il-elle nous fera du bien, nous apportera de la joie…
Oui, il y a beaucoup de manteaux à rejeter.
Faisons-le à l’exemple de Bartimée pour marcher les yeux ouverts, heureux, heureuses à la suite de Jésus.
Voici la 3ème video pour parler autrement du salut en perspective chrétienne. A la fin de la 2ème video je posais la question de savoir de quelle manière Jésus est sauveur. Voici 4 réponses possibles. A chacune et chacun d’en ajouter d’autres ! La première peut s’exprimer ainsi :
1-Jésus nous sauve en nous révélant que nous sommes aimés.
Être aimé-e et le savoir, c’est ce qui est le plus important. Cela nous est révélé à toutes les pages de l’Evangile. A toute personne rencontrée, Jésus ne dit que cela en acte et parole. Il le fait jusqu’au bout, et la mort ne le fait pas reculer, ne le fait pas renier les actes et les paroles de toute sa vie humaine. « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à l’extrême » Jn 13, 1.
Ces gens rencontrés à qui il a dit tu es aimé-e, c’est à nous aujourd’hui qu’il le dit.
Il nous sauve donc d’une vie qui ne saurait pas qu’elle est aimée.
La deuxième réponse :
2-Jésus nous sauve en nous révélant notre valeur infinie
Pourquoi Jésus a passé sa vie à rencontrer des gens, à s’intéresser à eux, à parler avec eux, à les écouter ? En faisant cela il révélait à chacune, à chacun sa valeur infinie qui changeait leur regard sur elles-mêmes, sur eux-mêmes.
Ces gens rencontrés à qui il révélait leur valeur infinie, c’est à nous aujourd’hui qu’il le dit qu’il le révèle.
Il nous sauve donc d’une vie qui ne saurait pas qu’elle a valeur infinie.
La troisième réponse peut se dire ainsi :
3-Jésus nous sauve en nous révélant l’amitié de Dieu.
« Vous êtes mes amis » dit Jésus. Jn 15,14 Il y a dans notre vie un allié, toujours de notre côté, jamais contre nous, toujours pour nous. Il est l’Ami et non pas le dieu gendarme qui punit qui manipule les vies et qui les pourrit.
Il nous sauve donc des fausses images de Dieu et nous établit dans la paix et la confiance d’une amitié partagée.
Une quatrième réponse :
4-Jésus nous sauve en nous révélant la beauté de notre humanité.
Parce que Jésus est l’humain dans sa beauté et qu’il a inscrit dans notre histoire une vie humaine de toute beauté qui guérit et libère. Il a inauguré une autre logique qui est un vrai chemin d’humanité faite de partage, de service, d’amour, de justice, de libération. En Jésus, nous pouvons mettre nos pas dans les siens pour réussir notre vie avec lui. Avec la force qu’il nous donne, c’est possible de vivre comme lui.
Il nous sauve donc en nous révélant un salut qui nous est confié, qui est entre nos mains, à faire réussir pour le bien de toutes et de tous.
Voici la suite de la réflexion sur le salut. Dans la première video nous avons vu que nous ne pouvions plus penser le salut comme une vie éternelle rendu possible par l’effacement d’une faute des origines et ceci obtenu par la croix du Christ. Il y a donc à penser le salut d’une autre manière.
C’est ce que nous allons voir dans cette 2ème video.
Le salut on peut d’abord le voir ainsi : Etre sauvé c’est ne pas passer à côté de sa vie, ne pas la manquer. Donc parler de salut ou de non salut, c’est parler en termes de bonheur ou de malheur, de réussite ou d’échec. L’étymologie du mot salut nous le dit déjà puisque cela vient du mot Salvus qui se traduit par sain, solide et Salvare qui veut dire rendre fort garder, conserver. On est donc dans un registre d’épanouissement, aller jusqu’au bout de soi-même, s’accomplir, trouver sa vie, le sens de sa vie. En parlant de salut de cette manière-là, on peut être en phase avec une aspiration humaine fondamentale et donc parler à nos contemporains.
On peut aussi dire qu’il y a salut parce que notre être même est un salut ! Dieu en créant le monde nous a sauvé du néant c'est-à-dire de ne pas exister ! L’acte créateur est un acte de salut : nous sauver de l’inexistence et de l’insignifiance. Exister, c’est déjà être sauver de l’inexistence. Et cette vie est ordonnée finalisée par une vie d’amitié avec Dieu pour l’éternité. C’est ce que les théologies chrétiennes orientales nous disent en parlant de divinisation : c’est-à-dire devenir de plus en plus ce que nous sommes déjà : image et ressemblance de Dieu.
Enfin pour parler de salut on peut dire qu’il y a des obstacles : des obstacles sur le chemin de l’accomplissement. Sauver en ce sens c’est être délivré de ce qui fait obstacle à l’accomplissement. Mais attention pas dans un schéma d’être condamné-e par une malédiction. Il ne s’agit pas d’être délivré-e de soi comme si on trainait en soi une nature mauvaise. On n’a pas à être délivré-e de soi mais de ce qui m’empêche d’être soi. Cela indique une haute idée de l’humain, car cela veut dire que sa vie a du prix et qu’elle ne doit pas se perdre, donc être délivrée de ce qui fait obstacle à sa réussite.
Mais alors, le Christ dans ces perspectives, en quoi est-il sauveur ? C’est ce que nous verrons dans la dernière video
Bonjour. Voici la première d’une série de 3 vidéos sur un élément central de la foi chrétienne qui est le salut. On dit que nous sauves sauvés, que le Christ est notre sauveur, à la messe on dit que le Christ est venu « Pour nous les hommes et pour notre salut ». Mais qu’est-ce que cela veut dire ? C’est quoi ce salut ?
Une des réponses possibles c’est de penser le salut comme l’équivalent de la vie éternelle : pour faire bref, être on non au Paradis. Cette manière de penser le salut a été centrale dans la réflexion chrétienne parce que la seule chose importante était le sort individuel après la mort. C’est ce qui explique la pratique des chrétiens des 1ers siècles qui attendaient l’imminence de la mort pour se faire baptiser ou encore l’instauration du baptême des enfants pour leur éviter l’enfer s’ils mourraient.
Ce qui est important de comprendre c’est que cette manière de voir le salut se fonde sur un schéma théologique : Il y aurait eu un monde paradisiaque à l’origine qui aurait été détruit par le péché dit originel introduisant la mort et la perdition. Nous en aurions été sauvé-es par la mort du Christ sur la croix. Si on prend une image, c’est comme quelqu’un perdu en mer, la seule chose désirée est d’être sauvé-e. La seule chose espérée est qu’un sauveteur arrive. Cela suppose donc qu’il soit arrivé une catastrophe comme par exemple que son bateau ait coulé. Le bateau est sur l’eau tranquille= c’est la création sortie des mains de Dieu, le paradis. Le bateau coule, le marin est perdu= c’est le péché originel. Il est repêché= c’est la rédemption.
Ce schéma n’est plus pensable depuis que l’on sait que notre existence sur terre est le fruit d’une longue évolution. Il n’est plus possible de penser une terre qui aurait un jour été un paradis, un homme et une femme qui auraient fait une faute telle que toute l’humanité à cause d’eux aurait été perdue et que leur salut aurait été rendu possible par la mort de Jésus sur la croix ! Il y a donc à penser le salut d’une autre manière. C’est ce que nous verrons dans la 2ème video
Ces pistes de réflexion s’inspire librement d’un livre de Adolphe Gesché : Dieu pour penser la destinée, chapitre 1 : Topiques de la question du salut page 27 à 69
Vendredi le tombeau de Jésus était scellé. La mort semblait triompher.
C’était à la fois la personne de Jésus mais aussi son message, le Royaume dont il témoignait qui étaient enterrés, celui qu’il avait commencé à instaurer par ses paroles et ses actes. Royaume fait de respect de toutes et de tous sans discrimination. Royaume de frères et sœurs dans l’égalité. Royaume de justice, de pardon, de partage, de joie.
C’est tout cela qui se trouvait enfermé dans la nuit du tombeau.
Et l’inouï se produit : la tombe est ouverte et vide. Où est-il ? La vie a triomphé de la mort. Dieu-e a ouvert ce qui était fermé et c’est pour nous le gage de la victoire sur tout ce qui nous enferme, de tout ce qui est mortifère.
Et c’est depuis toujours que Dieu-e ouvre. Ouvrir en créant, en recréant.
Ressusciter, c’est ouvrir.
Prendrons-nous le même parti ?
Pour cela, une conversion est nécessaire : la résurrection du Christ n’est pas quelque chose à croire comme on récite une formule, c’est quelque chose à vivre. Vivre ce que l’on croit, c’est répondre à un appel à vivre autrement.
La foi est un engagement, une prise de position, un combat pour faire gagner la vie, pour faire gagner le royaume inauguré par Jésus.
Un des drames de l’histoire de l’Eglise, c’est de n’avoir pas su assez tirer les conséquences politiques et sociales de la résurrection. La résurrection donne raison à Jésus, donne raison à ce qu’il a fait contre ceux qui l’ont crucifié au nom de fausses conceptions de Dieu, parce que Jésus remettait en cause l’utilisation religieuse du pouvoir et qu’il voulait un royaume de justice.
Au lieu d’en faire un formidable levier de résistance à l’injustice, elle a souvent servi à n’être qu’un article de foi qui renvoyait la justice à la vie après la mort, ne contestant aucun pouvoir, pire s'arrogeant un pouvoir, confortant la résignation. Rendant impossible une lecture sociale et politique de la résurrection.
Quel gâchis dans l’histoire de l’Eglise à chaque fois que l’orthodoxie d’un énoncé de foi a été inopérante pour changer les conditions de vie !
Quelle fécondité quand elle a pu le faire !
Pourtant la résurrection est bien l’espérance que Dieu-e ne se résigne pas à l’injustice la combattant à côté de celles et ceux qui la subissent et la combattent.
Soyons de celles-là, soyons de ceux-là.
Belle fête de Pâques
Bonjour, aujourd’hui par cette video je voudrais parler de ce qui empêche de croire !
Beaucoup de choses.
Une parmi bien d’autres c’est de s’imaginer un dieu dont je serais débiteur, débitrice, un dieu vis-à-vis duquel je serais en dette perpétuelle et dans l’incapacité de rembourser.
Par exemple Je suis créé par Dieu, je lui dois mon existence, donc on lui doit tout.
Il m’ a tout donné et on traine à cause de cela une dette insolvable. Cela génère un sentiment constant de culpabilité car on ne sera jamais à la hauteur.
Voici la parole libératrice : je ne dois rien à Dieu.
Cela demande de penser Dieu sous le mode de la gratuité absolue : quand Dieu donne c’est un don sans condition, inconditionnel, un don pour donner car c’est l’essence de Dieu de donner.
Comprenons cela avec une réalité de notre vie.
Le meilleur de nous fait des cadeaux non pour recevoir en retour, mais pour le plaisir de l’autre.
Le meilleur de nous n’est pas dans le donnant-donnant mais dans la gratuité.
Le meilleur de nous le fait par amour gratuit et pas par calcul de retour.
Le meilleur de nous…et c’est Dieu qui est le meilleur.
Qu’est-ce qui peut faire plaisir au donateur ?
La joie que nous avons à recevoir.
L’usage humanisant que nous faisons du don de la vie pour nous et pour d’autres.
En profiter pour soi et pour les autres.
Oui, la jouissance du don.
Il n’y a rien à « rendre » en se retournant en amont vers le donateur mais à vivre le don, à donner en aval vers les autres dans la mesure de ce qu’on peut et de ce qu’on veut.
Cela ne veut pas dire que la relation au donateur est superflue.
Superflue ? Non.
Nécessaire ? Non .
Précieuse ? oui ! Comme la relation d’amitié où l’on donne et reçoit par désir d’amour.
Je reproduis cet article, tout simplement lumineux avec lequel je suis en plein accord. Sr Michèle
Publié le 21 avril 2022 par Garrigues et Sentiers
Imaginer l’avenir de l’Église comme la transmission d’un héritage désiré – rapport au monde, doctrine, structures de gouvernement, rites – serait se tromper lourdement sur l’ampleur de la rupture de la modernité avec le catholicisme romain. Ceux qui pensent qu’il suffit de réparer le toit de la maison pour faire advenir une Église d’après se trompent. Cet héritage n’intéresse pas, même sous le régime du bénéfice d’inventaire.
Le sol sur lequel désespérément nous cherchons à rebâtir s’est dérobé. Le face à face entre la modernité et le catholicisme qui verrait la victoire de ce dernier dont rêvent identitaires et confessants est une illusion. Il interdit de voir le monde tel qu’il est, advient et de se demander courageusement quelle parole qui ouvre nos univers finis pourrait retenir. Il ferait à terme de l’Église une secte.
C’est de cette rupture donc qu’il nous faut parler avec lucidité et tenter de voir ce qu’elle nous dit, le défi qu’elle représente, le dépassement qu’elle demande, l’exigence qu’elle porte, le risque qu’elle ouvre.
Il sera alors opportun quand nous aurons fait le deuil de nos certitudes et vérités comme de nos entreprises de nouvelle évangélisation imaginées sous le mode du choc et de la reconquête, de voir comment ce catholicisme peut éventuellement s’inscrire dans la dynamique de cette modernité, de ses aspirations, mais aussi des tragédies qu’elle connaît.
Ceci déborde les offres miséricordieuses et écologiques que l’on voudrait voir comme planches de salut pour le catholicisme. Comme s’il suffisait de reverdir l’Église pour que son avenir s’inscrive de nouveau sur l’horizon. Comme s’il suffisait d’adopter une posture aimable pour faire oublier des positions doctrinales rejetées. Et regardées comme passéistes quand ce n’est pas réactionnaires.
Comment se projeter au-delà du présent, se donner les moyens de comprendre ce qu’est et ce que veut cette modernité, d’où elle vient et où il veut aller, y compris dans ses paradoxes, ses contradictions ?
Il faut d’abord pour la comprendre se départir d’une lecture forcément négative de cette modernité. Il faut accepter de nous positionner autrement que comme naturellement contempteur et censeur de cette modernité. Il faut renoncer à dire seul le vrai, le bon, le juste. Il faut accepter de ne plus vouloir seul définir l’homme, la vie bonne, nous comporter comme si nous étions propriétaire exclusif de l’humanisme, de ce qui nous fait plus humains, des chemins humanisant. Il faut accepter un dialogue interéthique, un dialogue interhumaniste. Les catholiques ne sont pas seuls « fils de la lumière », « fils du jour ».
Que dit la modernité démocratique avec ses libertés quand elle se déploie ici ou ailleurs ?
Apparemment qu’elle est fatiguée d’un Dieu métaphysique, d’un Dieu transcendant qui de son Olympe décide pour l’homme de ce qui est humain et de ce qui ne l’est pas et aurait confié à une institution religieuse de définir le cahier des charges à suivre pour ne pas sombrer dans la barbarie.
Quelle image de Dieu de fait donnons-nous de lui quand nous le définissons comme l’architecte d’un plan qu’il nous reviendrait de mettre en œuvre, quand nous le présentons comme le concepteur d’une loi et de normes auxquelles il nous faudrait nous soumettre ? Comment peut-on imaginer qu’une institution religieuse qui est une institution sociale et ne saurait se confondre avec le royaume de Dieu puisse prétendre connaître ce plan, en être le maître d’œuvre, le surveillant, le bras séculier ? Comment peut-on accepter qu’elle puisse vouloir se donner encore mission de contrôler les âmes et corps, ne pas vouloir renoncer à l’emprise qu’elle voudrait avoir sur l’intime, les mœurs ?
La modernité a tourné le dos à un Dieu envahissant, débordant, omniprésent dans notre histoire… insomnie et omnipotents… à un Dieu qui sait tout, voit tout, tout puissant et souverain, qui veut que chacun dépende de lui, lui soit soumis, engage une relation qui a quelque chose d’obligé, suggère que l’homme n’existe pas en lui-même, mais seulement à travers lui, à cause de lui et pour lui…
Ce Dieu-là non seulement ne lui manque pas, mais il est mis hors-jeu, rejeté.
La modernité veut l’homme libre, autonome, responsable de son destin, créateur, capable de construire son existence, de s’inventer lui-même, d’advenir.
Pour elle vivre sans ce Dieu est possible, désirable et libérateur.
Vivre sans ce Dieu n’aboutit pas à vivre inhumain, à déserter notre humanité, mais à vivre plus humain, libéré du poids d’une transcendance aliénante, et lourd fardeau.
Vivre hors de ce Dieu-là, sans référence à ce Dieu-là n’effraye pas, n’effraye plus. Mais hier l’Église agitait l’enfer et les flammes, et aujourd’hui croit pouvoir encore s’autoriser à annoncer un enfer du monde, un délitement, une décadence, une fin de civilisation sans vouloir voir que ce discours apocalyptique nourrit les populismes et prépare les affrontements.
L’homme veut voir son avenir sans ce Dieu et ne croit pas qu’il sera moins homme sans ce Dieu. Serait-ce vraiment une ambition déraisonnable ? Ce projet serait-il contraire au message libérateur de Jésus de Nazareth ?
Nous arrivons au bout d’un long chemin dont on pourrait faire l’histoire. Il nous faut avoir le courage et l’audace d’entrer en dialogue avec cette modernité.
Comment se départir de tout ce qui empêche Dieu de venir à l’homme, comment laisser parler la nouveauté de l’incarnation ? Quel bénéfice l’homme de la modernité peut-il attendre d’un dieu qui ne veut pas qu’on lui soit soumis, d’un dieu dont la transcendance s’incarne dans sa chair, son cheminement, son histoire, son désir, son vouloir vivre autonome, libre, créateur ?
Comment parler de ce Dieu qui a de commun avec l’homme qu’il s’est fait homme et veut se laisser étonner par l’homme ?
Comment l’homme moderne peut-il entrer debout, dans une histoire qui se poursuit et qui veut que l’homme soit pleinement homme parce que Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ?
Dieu n’est pleinement Dieu que dans son humanisation. L’homme n’est pleinement l’homme que dans sa déification.
Le monde moderne ne nous indiquerait–il pas qu’il nous faut vivre déjà déifiés dans notre chair, dans nos actes ? À être Dieu, à devenir Dieu avec nos histoires de vie, dans les contingences et l’histoire ?
Ne nous dit-il pas que l’Église n’a d’autre raison d’être que de réconcilier, pacifier, rendre confiance, ouvrir les destins au lieu d’accabler an nom d’un Dieu lointain, jaloux, prêt à tous les bras de force ?
Peut-on espérer que le catholicisme accepte un jour, bousculé par la modernité, de se vivre et présenter comme une incarnation d’un Jésus qui ne s’est pas abandonné au désespoir, au pouvoir de la mort, à la finitude, les a dépassés pour donner condition divine à l’homme, inscrire aussi l’homme de la modernité, de l’autonomie, de la liberté, de l’humanisme séculier dans l’éternité.
En deux mots comme en un : la modernité peut-elle transformer le catholicisme ? Le catholicisme peut-il habiter la modernité ? Peut-il quitter le Sinaï et les Tables de la loi pour devenir proche d’un homme qui soit vu non pas pas d’abord comme pêcheur, déchu, dévoyé, mais un être qui veut inventer sa vie déifiée, divinisée ? L’Église catholique romaine ne pourrait-elle enfin devenir bienveillante, hospitalière envers la modernité ? Son avenir dépend sans doute de cette révolution.
Patrice Dunois-Canette
http://www.garriguesetsentiers.org/2022/04/que-dit-la-modernite-au-catholicisme.html
Se situer là, c’est se situer au niveau de l’essentiel de la foi chrétienne. Il s’agit toujours de revenir à l’Evangile, c’est-à-dire de fixer notre regard sur cet homme qu’on appelle Jésus sur ce qu’il est, sur ses actes, sur ses décisions, sur son comportement, et fixer notre écoute sur ce qu’il dit. C’est cela être chrétien. Et cela peut suffire car nous sommes au cœur de la foi : Jésus visage de Dieu. Dieu qui nous propose son amitié. Dieu qui vient à notre rencontre.
La plus grande partie des textes évangéliques sont des récits de rencontre. Jésus a passé sa vie à rencontrer des gens. Il va à leur rencontre et des gens se déplacent pour le rencontrer. Que se passait-il lors de ces rencontres ?
D’abord un fait massif qui risque pourtant de ne pas être vu, c’est que Jésus ne pose aucune condition à la rencontre, aucun préalable, aucun « si ». L’accueil de Jésus est inconditionnel. Et pour nous aujourd’hui il en est de même. Je vais être directe : par exemple, Jésus se moque que nous soyons homo ou hétéro! S’en moquer, je veux dire par là que quelle que soit notre orientation sexuelle, nous somme aimés de la même manière. Et sur d’autres domaines de l’existence, cela n’intéressait pas Jésus que Zachée le publicain soit riche, il voulait seulement le rencontrer, et demeurer chez lui.
Par contre ce dont Jésus ne se moque pas c’est que des gens soient exclus. Dans la société qui était la sienne, nombreux étaient les exclus d’une manière ou d’une autre : les malades, certains métiers, les femmes, les pauvres, tous ceux et celles qui ne rentraient pas dans les cadres d’une religion qui séparait les gens entre purs et impurs. Alors Jésus s’est fait l’ami privilégié de celles et ceux qui étaient exclus car considérés comme impurs : la femme qui perdait son sang, le riche qui collaborait avec l’occupant, la prostituée…tous et toutes avaient pour Jésus une dignité indestructible. Ce qui intéressait Jésus, c’était leur personne et pas leur situation sociale, leur compte en banque, et donc sûrement pas leur orientation sexuelle !
C’est ce refus de l’exclusion dans le comportement de Jésus qui fonde notre refus aujourd’hui de l'intolérance, des discriminations de toutes sortes comme l'homophobie, le sexisme, le racisme…
Ce qui intéressait Jésus c’est que son amitié soit accueillie. C’est ce qui l’intéresse aussi aujourd’hui pour nous. Veux-tu accueillir mon amitié nous dit Jésus a chacun et chacune de nous ?
Le texte biblique qui le dit magnifiquement est dans Ap 3, 20
« Voici que je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi »
Ce verset nous dit Dieu comme un mendiant d’amitié, qui ne s’impose pas mais se propose, le « si » dont je parlais n’est pas de son côté mais du notre : il n’entrera que si on ouvre notre porte et sa volonté c’est seulement du bon temps avec nous, un repas entre amis.
Ah si nos Eglises pouvaient témoigner en parole et en acte de ce Dieu là et pas d’un Dieu repoussoir !
C’est cela que nous voyons dans l’Evangile, ce que Jésus a fait : les gens étaient regardés par le Christ et se laissaient regarder. Christ les regardait comme personne ne l’avait jamais fait avant lui et c’est cela qui changeait tout. Christ les écoutait, leur parlait comme personne ne l’avait jamais fait avant lui, et c’est cela qui change tout.
Les rencontres avec le Christ ont été transformantes pour eux, elles leur ont fait du bien : « et ils s’en trouvaient mieux ».
L’Evangile n’est pas un texte du passé qui dort dans une bibliothèque. En l’ouvrant, on devient contemporain de Jésus dans l’aujourd’hui de notre vie pour nous aussi le rencontrer, le regarder, le laisser nous regarder, être écouté par lui, et l’écouter pour s’en trouver mieux comme celles et ceux qui l’ont fait sur les routes de Galilée.
Qui que nous soyons, Il est là, il nous accueille, il espère notre amitié. Il nous aime et nous apprend à nous aimer nous-même tel que nous sommes. Laissons-le nous accueillir et pour cela soyons dans le même état d’esprit de celles et ceux qui l’ont accueilli. En nous identifiant à toutes celles et ceux qui ont fait le choix pour lui et non contre lui.
S’identifier à Zachée, à la samaritaine, à la femme hémorroïsse, à Lévi, à Siméon, à la prophétesse Anne, aux bergers et aux mages de Noël, au bon larron. Etc.
Leur point commun ? Avoir au cœur la conscience d’un manque que la relation avec Jésus va pouvoir toucher pour la transformer en espace pour la rencontre. Un manque à être, en attente d’une relation qui va leur révéler ce qu’ils sont vraiment : leur dignité, leur vie, pour être vivant et non vivoter, leur capacité de recevoir d’un autre et de donner. S’identifier à elles, à eux, parce que quelque chose d’eux, d’elles nous rejoint, rejoint quelque chose de notre histoire, pour nous donner d’exister vraiment, nous rendre davantage vivant.
Est-ce que nous le voulons vraiment ? Sinon ces récits ne seront pour nous que de belles histoires dont nous resterons étrangers. Et c’est bien ce qui s’est passé du temps même de Jésus. Certains ne se sont pas laissé toucher par la nouveauté de sa manière d’être, de faire, d’entrer en relation. Ceci par suffisance en croyant savoir, par fermeture à l’inattendu, par peur de perdre leur pouvoir…
Vouloir, désirer rencontrer Jésus en le contemplant, suppose d’être libéré d’une approche moralisante de l’Evangile. L’Evangile n’est pas un examen de conscience.
Une rencontre illustre bien cela, c’est celle de Jésus avec Zachée. (Luc 19/1-10). Avec ce récit, une question : Est-ce que Jésus lui fait un reproche ? Exige-t-il de lui un changement de comportement ? Non. Il le prie seulement de bien vouloir demeurer chez lui. Si à la fin de ce récit, il y a une décision, c’est celle de Zachée lui-même, sans la pression de quiconque et comme fruit d’une rencontre.
Ainsi l’Evangile est une invitation à une rencontre. La seule réponse attendue, c’est de nous ouvrir à celui qui vient vers nous, c’est de nous ouvrir à cette relation.
Donc la chose la plus importante, puisqu’il nous aime, c’est de se laisser aimer par lui. S’exposer consciemment à cet amour.