Voici des extraits de mon livre : Masculin-Féminin. Décryptage d’une encyclique.
J’ai analysé l’encyclique Mulieris dignitatem de Jean-Paul II en montant les quelques aspects positifs mais surtout en quoi cela reste un discours néfaste pour les femmes.
On peut se procurer mon livre en le commandant à la FNAC
https://www.fnac.com/a9912049/Michele-Jeunet-Masculin-Feminin-Ou-en-sommes-nous
Néfaste, une conception des femmes uniquement lié à la sexualité.
Le magistère romain a cru bon d’écrire une lettre encyclique sur la femme qui a pour titre Mulieris dignitatem. Mais il n’existe pas jusqu’à présent un document similaire qui aurait pour titre Viri dignitatem. Pourquoi ?
Parce que dans cette pensée, ce qui serait dit de l’homme masculin (viri), ne pourrait être que l’équivalent de l’humain (homo). Un texte sur la femme (mulier), devant l’absence d’un texte sur l’homme masculin, dit, de fait, que le masculin continue d’être pensé par le magistère romain comme générique de l’humain, sans particularité, et que seul le féminin en comporte, la particularisant, l’incluant tout en le mettant à part et réduisant les femmes à être épouse, mère et vierge.
Viri dignitatem définirait-il l’homme comme époux, père et vierge ? Non, car pour cette pensée, la sponsalité, la paternité, le célibat n’ont pas le même poids identitaire chez l’homme que chez la femme. Son identité n’est pas d’être époux d’une femme, père d’enfants, et encore moins époux du Christ dans le célibat consacré. Son identité ne se limite pas à cela alors que Mulieris dignitatem le fait pour la femme. Il y a donc asymétrie. Le principe de cette asymétrie est que le féminin continue d’être pensé comme spécialement lié au sexuel et toujours référé au masculin.
Il y a dans cette lettre encyclique une contradiction entre l’affirmation de la femme voulue pour elle-même et la réduction de sa vocation à une relation d’épouse pour un mari, de mère pour des enfants (du mari) ou d’épouse consacrée pour le Christ.
Si la raison du féminin et sa vocation essentielle sont pensées uniquement comme épouse pour un époux, en vue d’être mère, elle n’est pas voulue pour elle-même. Elle continue d’être pensée et voulue pour l’homme masculin.
Néfaste, une conception d’une femme éternelle
La lettre encyclique commençait en voulant tenir compte des signes de temps. Mais à la fin de la lettre, il est bien précisé que, face aux changements, il faut revenir aux fondements qui se trouvent dans le Christ, aux vérités et aux valeurs immuables dont le Christ est le témoin et qui est conforme au plan de Dieu qui a créé l’homme et la femme pour des vocations différentes. Ces vocations seraient inscrites dans le corps, et pour la femme, dans son corps fait pour la maternité.
Comme pour d’autres encycliques ayant pour thème la sexualité, le biologique est considéré comme une donnée normative, donc statique. Il y aurait un ordre de la nature qui est destin pour la femme.
Pourtant la situation des femmes en France, par exemple, ne se réduit pas à être épouse et mère. Même si de grands progrès restent encore à réaliser dans de nombreux pays du monde, le changement de mentalité, le progrès technique ont permis un plus équitable partage des tâches domestiques et d’éducation des enfants, l’investissement dans le travail professionnel, l’accession (en pratique, non sans difficultés et sinon en théorie) à tous les postes de responsabilités dans la société civile. La créativité des femmes n’est maintenant plus limitée à la seule maternité, elles peuvent (malgré d’énormes progrès encore à réaliser dans de nombreux pays) s’épanouir dans tous les domaines du politique, de l’économique, du social, du culturel …Tous ces domaines demandent autant de qualités d’initiative que de réceptivité, ils ne se vivent pas selon le schéma de la lettre encyclique fondée sur un don au masculin et l’accueil du don au féminin (initiative masculine et réceptivité féminine) mais selon une réciprocité où chacun donne et reçoit sans prééminence.
La soi-disante réceptivité féminine ne serait-elle alors signifiante que pour la symbolique ecclésiale ? Dans ce cas, pourquoi y aurait-il posture d’initiative dans ce qui est de l’ordre humain et seulement posture de réceptivité dans le domaine ecclésial ?
Cela reviendrait à penser une double anthropologie contradictoire.
D’autant plus, que même dans la réalité de la vie de l’Eglise, de plus en plus nombreuses sont des femmes en posture d’initiative, et même assumant des « munera » (fonctions) d’enseignement, de sanctification et de gouvernement.
Néfaste, une conception statique de la révélation
Il n’est pas légitime, à partir du donné de la foi d’un sauveur masculin né d’une femme, vierge et mère, d’en tirer une anthropologie du masculin et du féminin.
Il fut un temps où l’on tirait de la Bible une cosmologie, ce qui, à l’époque moderne, a introduit le conflit entre science et foi. C’est la même contestable démarche qui anime cette Lettre encyclique dangereuse pour les femmes mais également pour la crédibilité du magistère romain. Le magistère romain a renoncé à fonder bibliquement une cosmologie. Le temps n’est plus à la défense d’une création en sept jours. L’accueil du principe de l’évolution des espèces inauguré par Darwin commence à être reconnu.
De même, il n’est plus possible de chercher dans la Bible une anthropologie révélée du masculin et du féminin, qui dirait de toute éternité ce qu’est une femme, ce qu’elle doit être et rester. La lettre encyclique relève de ce mode de pensée. Elle ne peut être reçue par les femmes qui luttent pour ne pas être enfermées dans des stéréotypes qui les empêchent de développer toutes leurs potentialités humaines.
La Révélation se situe au niveau du sens de l’existence, d’une anthropologie fondamentale, d’un être humain à l’image de Dieu, aimé et capable d’aimer, digne de respect. Cette anthropologie dit le sens de l’existence humaine et son orientation vers Dieu mais elle n’offre pas une anthropologie particulière, une science anthropologique révélée de ce que serait le féminin et le masculin. Cette anthropologie particulière est à bâtir par l’expérience de tous et de toutes, chrétiens ou non.
Néfaste, une symbolique allégorique
Pour cette lettre encyclique, l’économie de la Rédemption, un sauveur masculin né d’une femme, relèverait donc de la Révélation du plan de Dieu sur le féminin et le masculin. C’est une sotériologie (conception du salut) qui informerait une anthropologie du féminin et du masculin par une manière particulière de traiter le symbolique qu’on appelle symbolique allégorisante.
Il est légitime pour parler de Dieu d’utiliser des images. Nous avons trace dans l’Evangile de leur utilisation. Pour parler de Dieu miséricordieux, Jésus emploie l’image d’un berger à la recherche de sa brebis, d’une femme à la recherche d’une pièce de monnaie, d’un père en attente de son fils. Dieu est décrit comme un berger, comme une femme, comme un père. Ici nous sommes dans l’ordre du symbole. Cela donne à penser une attitude de Dieu qui ne cesse de nous chercher et de nous attendre. Mais si nous remplaçons le terme « comme » par une identification : Dieu est un berger, Dieu est une femme, Dieu est un père, nous sommes alors dans une symbolique allégorique où il y a identification terme à terme. La lecture que fait Mulieris dignitatem du Christ époux relève de la symbolique allégorisante : identification terme à terme du Christ à l’époux, donc à l’homme masculin et de l’Eglise à l’épouse, donc à la femme. Alors que la relation Epoux/Epouse devrait seulement permettre de penser à une notion de fidélité amoureuse.
Cette symbolique allégorisante se décline ainsi :
- Christ = époux = principe masculin
= les hommes concrets ;
- Marie = épouse et mère = principe féminin
= les femmes concrètes.
Avec cette symbolique allégorisante, le féminin et donc toutes les femmes, ne peuvent qu’être dans une position seconde, réceptrice, uniquement du côté de l’humain, tandis que le principe masculin et donc tous les hommes se voient attribuer la position première, initiatrice, ayant part à la dimension divine du Christ.
Cette symbolique allégorisante est illégitime et néfaste pour les femmes.