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4 septembre 2012 2 04 /09 /septembre /2012 22:51

Conclusion

Ce travail est parti d’une triple interrogation. Tout d’abord, comment expliquer une valeur différentielle attribuée au masculin et au féminin , cause d’inégalités économique, politique, sociale , culturelle, religieuse qui discriminent les femmes et fait qu’on peut parler de « mal au féminin »( Y.GEBARA, le mal au féminin, Réflexions théologiques à partir du féminisme, L’harmattan, 1999). Une des réponses à cette question se trouve dans l’œuvre de l’anthropologue Françoise Héritier(F.HERITIER, Masculin Féminin, II, dissoudre la hiérarchie, Paris, Ed. Odile Jacob, 443p), qui, avec son concept de « valence  différentielle des sexes », permet de comprendre le rapport inégalitaire homme/femme, les raisons des changements en cours et leurs résistances. La deuxième interrogation avait pour origine une prise de conscience : nous parlons de Dieu au masculin. Tout au moins en français, anglais, et dans bien d’autres langues. Est-ce le cas de toutes les langues?( Non, puisque au moins une, à ma connaissance, fait exception. En malgache par exemple: Tsara izy s’emploie pour dire à la fois, Dieu est bon, elle est bonne, il est bon).) Y a-t-il  une pertinence théologique à une manière de parler de Dieu au masculin ? Pourquoi, ne pourrait-on pas en parler au féminin? Ma troisième interrogation mettait en rapport les deux premières : y a-t-il un lien entre cette valence différentielle et la nomination de Dieu au masculin ? Un lien de cause ? De conséquence ? Aucun lien ?

 

Devant les bouleversements du rapport hommes-femmes qui font sortir peu à peu de cette valence différentielle des sexes, cause de discriminations, le Magistère a produit un certain nombre de textes de Léon XIII à Jean-Paul II. Pour répondre à cette triple interrogation, j’ai choisi d’en analyser un, Mulieris dignitatem,  pour trois raisons. D’abord à cause de son autorité de lettre encyclique la plus récente sur le sujet.  Ensuite parce qu’il prend acte de ces bouleversements en les qualifiant de « signe des temps » (MD 1) Enfin, parce qu’il honore ma troisième interrogation en faisant le lien entre anthropologie et théologie.

 

En lisant cette lettre encyclique, j’ai pu constater une nouveauté à la fois anthropologique et théologique.

Nouveauté anthropologique  en rupture avec d’autres documents, théologique  (par exemple St Thomas) ou magistériel  (comme l’encyclique de Pie XI, Casti connubi de 1930) : la théomorphie des femmes et une lecture renouvelée du chapitre 5 de l’Epître aux Ephésiens, établissant une soumission réciproque de l’époux et de l’épouse dans le mariage.

Nouveauté théologique par la reconnaissance d’une légitime représentation de Dieu au féminin. Cela me semble confirmer le lien qui existe  entre anthropologie masculin-féminin et représentation de Dieu puisque cette lettre encyclique elle-même l’établit en parlant de Dieu de manière holistique à partir de la commune image de Dieu pour la femme comme pour l‘homme. Quand il y a non-théomorphie du féminin, il ne peut y avoir une pensée de Dieu qu’au masculin. Par contre la commune théomorphie légitime un langage anthropographique de Dieu ayant des traits féminins comme masculins.

 

Mais j’ai pu également constater la persistance dans ce  texte d’un discours ancien en  dissonance avec ces bouleversements. J’ai essayé d’en montrer la logique et les présupposés qui la soutiennent. Cela confirme également mais de manière contradictoire le lien entre anthropologie et théologie, puisque nous y trouvons une représentation typologique et symbolique de Dieu qui met le masculin du côté du divin et le féminin du côté de la créature humaine.

 

Au cours de ce travail, un aspect de la lettre encyclique m’a particulièrement intéressée. L’auteur reconnaît qu’il puisse y avoir de l’  « ancien » dans les textes du Nouveau Testament. C'est-à-dire persistance de conceptions qui n’ont pas encore été converties par la nouveauté évangélique. De l’ancien dans le Nouveau ! S’il en est ainsi dans le Nouveau Testament, a fortiori il peut en être ainsi dans une lettre encyclique. Traversées par la nouveauté évangélique sont l’affirmation de la théomorphie, la mutuelle soumission de l’époux et de l’épouse, la représentation holistique de Dieu. Persistances de conceptions anciennes non encore rejointes par la nouveauté évangélique est la typologie qui renvoie le féminin du côté de l’humanité réceptrice, lui déniant la capacité de représenter l’initiative de Dieu.

 

Cette constatation et cette contradiction, dans le texte même de la  lettre encyclique, m’a invitée à chercher à quelles conditions  le maintien de cette typologie et de cette symbolique peut être dépassée.

Elle peut être dépassée par d’autres interprétations de la figure d’Adam. La lecture de cette lettre encyclique ne remet pas en cause  la lecture classique d’Adam masculin. Cela lui permet de fonder une typologie  de continuité entre Adam, le Christ, l’homme masculin et le sacrement de l’ordre réservé à l’homme masculin, ceci face à une typologie Eve, Marie, la femme et une vocation pour celle-ci qui l’exclut de ce sacrement dans un projet de Dieu, fondant une vocation différenciée conçue de toute éternité car relevant d’une ontologie. Cette lecture classique, il y a peu de temps encore, était fondée sur une prééminence  du masculin sur le féminin. Cette prééminence est très bien montrée, en la cathédrale de Chartres, sur le vitrail du bon Samaritain qui interprète le récit de Luc 10/25-37 avec celui de Gn 2/4-3/24. On peut y voir la séquence suivante : à gauche Dieu insufflant son haleine de vie (Gn2/7) à un humain visiblement masculin, au centre cet Adam masculin seul, et à droite une femme tirée de lui. L’Adam masculin est présent dans les 3 médaillons : avec Dieu, seul, « donnant » naissance à une femme. La femme est seulement présente dans celui de droite et tirée de l’Adam. Nous avons bien là une lecture de Gn 2 et 3 où le masculin est pensé comme le sexe premier créé et le féminin, créé en second et tiré de lui. Une lecture d’image encore plus attentive fait découvrir que le médaillon du milieu, où l’humain masculin est seul, occupe la même place centrale que le médaillon du Christ en majesté qui est au sommet du vitrail. Celui-ci illustre de manière évidente, l’anthropologie qui a prévalu jusqu’ encore récemment et d’une centaine manière, encore maintenant : anthropologie qui est androcentrique, c’est à dire qui fait du sexe masculin, le sexe exemplaire, voulu pour lui-même et qui fait  de la femme, un dérivé du masculin, référé à lui, complément de lui.

Une autre lecture de l’Adam de la Genèse permet donc d’interpréter autrement la typologie Adam, Christ. Adam figure de l’humain, Christ homo novo, où pour l’un comme pour l’autre, le féminin est inclus. Ceci remet en cause l’utilisation de cette typologie par la lettre encyclique. L’autre lecture, celle de L.Basset, que nous avons trouvée la remet également en cause d’une autre manière, l’androcentrisme  dans le texte même des écrits bibliques est trace du mal déjà là. Donc la typologie Adam, Christ ne doit pas le légitimer.

Nous avons vu que la lettre encyclique renonce à un discours sur la prévalence du masculin sur le féminin mais le réintroduit par l’usage qu’elle fait cette de cette typologie.

         Elle peut être dépassée par une conception iconique de la vérité de la révélation qui fait droit à l’histoire, à une vérité qui se cherche et se trouve dans des crises surmontées et non dans une vérité donnée de toute éternité dans un texte figé, qui se cherche et se trouve dans sa capacité à être libératrice, à communiquer une bonne nouvelle et à être humanisante pour tous et toutes. La typologie élaborée par Mulieris dignitatem est figée dans un éternel féminin qui ne s’est pas laissé interroger par les mutations de l’histoire, qui continue d’enfermer les femmes dans un modèle stéréotypé. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour elle et apporte son soutien à des mentalités, des législations qui limitent les femmes dans le plein développement de leurs capacités.

         Elle peut être dépassée par une théologie trinitaire qui est modèle de communion non-hiérarchique, d’égalité dans la différence contre une conception unitaire de l’Un qui exclut l’autre. L’autre aux multiples visages mais plus particulièrement l’autre qui a été principalement la femme dans les discours et pratiques sociales et ecclésiales.

         Elle peut être dépassée par une anthropologie qui refuse d’enclore la différence dans un savoir. Homme et femme, image de Dieu sans image donc sans représentation, sans discours qui veut l’enclore (donc sans enclore dans des essences séparées, l’homme et la femme) . Mulieris dignitatem a une affirmation forte de l’égale théomorphie mais tout d’abord n’en tire pas toutes les conséquences et ensuite réintroduit une non-théomorphie dans son usage de la typologie Adam, Christ.

 

Pour tout cela, il faudrait entrer délibérément dans une pensée de théologie historique et une posture de dialogue avec la modernité.

Ghislain Lafont(G.LAFONT, Histoire théologique de l’Eglise catholique, Itinéraire et formes de la théologie, Cerf 1994, Cogitatio fidei 179, p 9 à 13) constate qu’entre 1274 et 1878, il n’y a plus de grand théologien. La Renaissance ne va trouver aucun théologien pour dialoguer avec ce courant profond qu’on peut nommer modernité. La pensée chrétienne va se durcir de plus en plus dans un refus de ce qui est train de naître : l’émergence d’un sujet autonome. Elle va se comporter de plus en plus comme « citadelle assiégée »,  va laisser la modernité à elle-même et se positionner contre elle. Le concile Vatican II et tout ce qui l’a préparé, est un heureux retour à une posture de dialogue. Mais c’est un chantier touchant tous les aspects de la foi et qui est très loin d’avoir donné tous ses fruits rencontrant même de nombreuses résistances et des retours en arrière depuis un certain temps. Un des éléments fondamentaux de ce chantier est la prise en compte de l’historicité. Cela s’est joué avec force tumulte mais réussite dans le domaine biblique (G.ROUTHIER, Un très grand siècle pour la théologie, dans les grandes révolutions de la théologie moderne, sous la direction de François BOUSQUET, paris, Bayard, 2002, p 153-154) pour sortir d’une lecture fondamentaliste. Cela a déjà permis à nouveau une créativité théologique d’écoles en débat entre elles, débat fructueux, qui peut penser la foi dans les diversités des cultures, prenant en compte la diversité des temps et des lieux.

Mais cela demande encore un grand travail dans d’autres domaines, en particulier celui de l’anthropologie théologique du féminin et du masculin.

L’enjeu est d’importance, c’est celui de favoriser un christianisme qui se positionne de manière claire contre toutes formes de discrimination, pour une libération de toutes et de tous. La manière de parler de la différence homme-femme et la manière de représenter Dieu, font partie de cette libération, soit pour la  favoriser, soit pour s’y opposer ou la freiner.

 

 

 

 

 

Bibliographie

Jean-Paul II, Lettre apostolique Mulieris Dignitatem, Documentation Catholique n°1972, 20 novembre 1988

 

Elizabeth A.Johnson, Dieu au-delà du masculin et du féminin, Cogitation fidei 214, Cerf  1999

 

Anne Carr, Les femmes dans l’Eglise, Cogitatio fidei 173, Cerf, 1993

 

Alice Dermience, La question féminine et l’Eglise catholique, PIE, Peter Lang, 2008

 

Elisabeth Parmentier, Les filles prodigues, Labor et fides, 1998

 

Françoise Héritier, Masculin, Féminin, la pensée de la différence, Ed Odile Jacob, 1995

 

Françoise Héritier, Masculin, Féminin, dissoudre la hiérarchie, Paris, Ed Odile Jacob

 

Virginia.R. Mollenkott, Dieu au féminin, Centurion, 1990

 

Juan Luis Segundo , Jésus devant la conscience moderne, Cerf, Cogitatio fidei 148,1988

 

Juan Luis Segundo, le christianisme de Paul, Cerf, Cogitatio fidei 151

 

Juan Luis Segundo, Qu’est-ce qu’un dogme ?, Cerf, Cogitatio fidei 169, 1992

 

J.Moltmann, Trinité et royaume de Dieu, Cerf, Cogitatio fidei 123,1984

 

 

 

 

 

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31 août 2012 5 31 /08 /août /2012 23:41

Une anthropologie différenciée mais non discriminante

Masculin-féminin : une différence non définissable comme Dieu est non-représentable.  C’est ainsi que Christian Duquoc définit le rapport masculin-féminin. Cette position permet à la fois de garder l’heureuse différence des sexes sans les figer dans des rôles qui relèvent de l’idéologie.

Un texte majeur de la Bible nous parle d’image de Dieu : « Dieu créa l’Homme à son image, à l’image de Dieu Il le créa »( Gn 1/27, traduction de la TOB). Christian Duquoc (Christian DUQUOC, « Homme/Image de Dieu », Nouveau dictionnaire de théologie, Cerf 1996, pp 418-423) interroge ce mot car pour lui, il devrait nous surprendre. Car, tout aussi majeur dans la tradition biblique est l’interdit de la représentation de Dieu  ( Ex20/4 et Dt 27/15). Il semble donc y avoir une contradiction : Dieu crée une image de Lui et interdit à l’homme de Le représenter. Il s’agit donc de bien comprendre le sens du mot image. Puisqu’il y a interdit de représentation, le mot image ne dit pas une représentation. De même quand Dieu révèle Son nom, c’est un nom qui écarte toute image, toute représentation car on ne peut enclore Dieu. Il ne peut que se dérober à toute définition (Ex 3/14).

Ce premier aspect du texte de Duquoc,  permet de faire une première remarque. L’homme est à l’image de celui qui n’a pas d’image, de celui qui ne peut être représenté, de celui qui ne peut être défini. Cela voudrait-il dire que, de même qu’on ne définit pas Dieu, car l’enclore dans une définition ne peut produire qu’une idole, de même, on ne peut définir l’homme car l’enclore dans une définition ne peut que le défigurer, en faire aussi une idole au sens d’une fausse image de lui. Dieu se dérobe à toute définition, l’homme également.

Alors quel sens donner à l’image ? Non pas une représentation mais une fonction. En effet pour Gn 2 l’idée d’image est suivie immédiatement d’une  mission : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la » (Gn 2/28). L’image est associée à une fonction de création et de gestion du monde, une responsabilité qui implique des actions. C’est en ce sens que l’homme est image de Dieu. Au sens d’une fonction, créateur à l’image du Créateur.

Ce thème de l’image a produit un nombre important de commentaires. Duquoc en privilégie un qui illustre bien l’image comme fonction. C’est l’interprétation de Grégoire de Nysse qui définit l’image comme capacité de l’homme d’être son propre créateur, condition pour  acquérir une autonomie similaire à celle de Dieu, accéder à une liberté qui constitue l’homme partenaire de Dieu(« la naissance spirituelle est le résultat d’un choix libre, et nous sommes ainsi, en un sens , nos propres parents, nous créant nous-mêmes tels que nous voulons être, et nous façonnant , par notre volonté, selon le modèle que nous choisissons » Grégoire de Nysse, Vie de Moïse, PG 44, 328 B. Cité par C.DUQUOC p 420). Image ici comme capacité d’agir en créateur, en autonomie et en liberté.

On peut se demander si, dans l’esprit de Grégoire de Nysse, cette magnifique conception dynamique de l’humain concerne également les femmes. En tout cas, note Duquoc, aucune des interprétions classiques n’a remarqué que cette image dans le texte biblique est une image différenciée : « …à l’image de Dieu, il le créa ; mâle et femelle, il les créa » (Gn 1/27). La différence entre l’homme et la femme est structure de l’image. L’essence de cette image est relation. Cette essence de l’image n’est ni le masculin seul, ni le féminin seul. Cette image est de soi habitée par l’altérité, il y a de soi, de l’autre dans l’image.

Ainsi donc si l’image n’est pas une représentation, ni de Dieu, ni de l’humain, si, comme le nom de Dieu, elle échappe à toute définition, elle ne va pas être non plus être représentation et définition de ce qu’est le féminin ou le masculin. Mais l’image dit une fonction, qui est celle du respect de l’altérité.

Elle est le paradigme du manque qui peut ouvrir à la communication. Il y a un manque à être de chaque pôle de l’image. L’une ne va pas sans l’autre, l’un ne va pas sans l’autre. Chacun-e n’existe que dans la communication. Cette relation différenciée est sans représentation. On ne peut l’enclore, mettre la main dessus, elle se dérobe à toute définition. Et comme elle est humaine, elle est dans l’histoire, une tâche à réaliser. Elle n’est pas reproduction d’une forme a priori, anhistorique, figée et constante :

« Pas plus que Dieu n’est le référent visible de l’image puisqu’                Il est un Nom sans représentation, pas davantage l’image différenciée n’impose-t-elle un modèle constant. Elle exprime la condition d’un avenir : assumer l’autre dans une différence indépassable et irréductible, comme la nécessité de sa propre réalisation…Patient labeur d’une histoire qui lutte contre un stéréotype de l’enfermement en des essences séparées, masculine et féminine » (Idem p 422)

Cette image différenciée a une fonction, une tâche de respect de toutes les différences. Elle est paradigmatique de la différence pour introduire une exigence éthique : une volonté de communication dans le respect de toutes les différences.

La pensée de Duquoc, avec cette réflexion sur l’image, se démarque de deux options. Elle se positionne contre le nivellement de la différence masculin/féminin mais également contre l’enfermement en essences séparées de cette différence. Il y a bien une différence mais la forme qu’elle peut prendre est à inventer dans la communication, une réalisation qui se fait dans l’histoire et qui ne découle pas d’un modèle statique.

 

 

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23 août 2012 4 23 /08 /août /2012 23:07

Comment penser la Trinité de manière non-hiérarchique ? La pensée de Moltmann peut nous y aider.

 

 La doctrine sociale de la Trinité chez Moltmann

« Ce qui correspond au Dieu trinitaire, ce n’est pas la monarchie d’un souverain mais la communauté des hommes sans privilèges ni servitudes »( J. MOLTMANN, Trinité et Royaume de Dieu, cerf, 1984, Collection Cogitatio fidei 123,  p 249. Ce livre dans la suite de mon travail sera abrégé en TRD) Il y a  un lien fort entre théologie et rapports humains. La doctrine trinitaire de Moltmann, doctrine sociale de la Trinité, est pertinente pour penser l’anthropologie de l’humain, femme et homme. De même que la femme et l’homme sont un dans leur commune nature humaine au sein d’une différence, de même la Trinité est une dans la commune nature divine et la différence des personnes.  Pour cela des conditions sont à remplir : penser d’une part la Trinité des personnes divines et d’autre part la relation homme-femme dans une parfaite égalité ; ne pas penser Dieu comme un souverain au trait masculin car si on le pense ainsi nous avons une monarchie divine au ciel qui fonde la souveraineté terrestre de tout pouvoir d’un seul sur l’autre. Nous avons l’idée d’un tout puissant souverain du monde qui exige une servitude, une dépendance et qui fonde la souveraineté terrestre, religieuse, morale, patriarcale.

L’enjeu est aussi une question de crédibilité de la foi. Les fausses images d’un Dieu qui aliène l’homme dans sa liberté, ne peuvent qu’être rejetées par nos contemporains.

 

1-Critique du  monothéisme politique

Il y a un  rapport entre les représentations religieuses d’une époque et les constitutions politiques des sociétés, des conditionnements réciproques des alliances entre représentations religieuses et politiques. 

Le Dieu un, créateur, maitre, propriétaire du monde dont la volonté fait loi, qui peut  disposer de tout, et de la volonté duquel tout dépend, a les traits d’un monarque conçu de manière absolutiste.  Il est un, indivisible, parfait car impassible, il  gouverne et tout dépend de lui.

Ce monothéisme a apporté son soutien au principe de souveraineté impériale. La politique qui correspond à la croyance au Dieu unique, c’est l’empire de paix de l’empereur romain. Ce qui a conduit à Constantin et fait passé le christianisme de religion persécutée à une religion autorisée, soutien de l’état. Le soutien apporté par le monothéisme était  plus absolu que le soutien d’une philosophie. L’Unique empereur tout-puissant, etait image visible du Dieu invisible car lui aussi est maitre, propriétaire et sa  volonté fait loi. « A l’unique roi sur la terre correspond le Dieu unique au ciel»( E.PETERSON, Monotheismus als politisches Problem, in Theologische Traktate, München, 1951, p 91.

Cité dans TRD p 241) Mais faire de la souveraineté divine l’archétype de la souveraineté étatique, cela ouvre la voie à un absolutisme au plus haut degré dans l’absence de l’obligation de rendre des comptes, et le met en dehors du droit. Aujourd’hui l’idée absolutiste ne subsiste que dans l’idéologie de la dictature. Mais celle-ci maintenant n’a plus besoin de la légitimité religieuse pour s’imposer, elle a à sa disposition la terreur de la force.

Pour surmonter la transposition du monothéisme religieux en monothéisme politique, il faut surmonter l’idée de la monarchie du Dieu unique sur un monde unique. Le regret  qu’exprime Moltmann, c’est qu’historiquement, le dogme trinitaire n’a pas fait échouer cette idée de monarchie divine :

« Aussi longtemps que l’unité du Dieu trine n’est pas conçue trinitairement, mais comme celle d’une monade ou d’un sujet, elle demeure liée à la légitimation religieuse de la souveraineté politique. C’est seulement quand la doctrine de la Trinité surmontera la conception monothéiste du grand Monarque universel au ciel et du Grand patriarche divin du monde que les souverains dictateurs et tyrans de la terre, ne trouveront plus d’archétypes religieux pour se justifier » (TRD  p 247)

Moltmann cite Whitehead : « l’Eglise a donné à Dieu des attributs qui appartiennent exclusivement à  l’empereur. La naissance de la philosophie théistique qui s’est achevé avec l’apparition de l’Islam,  a conduit à la représentation de dieu selon l’image du souverain impérial, selon l’image de l’énergie morale personnifiée et selon l’image du principe dernier de la philosophie. Il est permis d’ajouter que cette philotheistique représente une philosophie patriarcale à un très haut degré »( A.N. Whitehead,  Process and Reality. An essay in Cosmology, New- York 1960 p 520 cité dans TRD p 247)

 

2-Comment  sortir de cette représentation ?

Par la doctrine de la Trinité qui, à l’opposé,  est doctrine théologique de la liberté et renvoie à une communauté humaine « sans domination autoritaire et sans contrainte servile »( TRD p 240). La Trinité dit l’union du Père avec le Fils livré crucifié et l’Esprit vivifiant qui crée du neuf. De cette unité, on ne peut pas forger la figure d’un monarque omnipotent du monde dont les potentats terrestres sont les reflets. Car c’est en tant que père de Jésus crucifié et ressuscité qu’il est tout puissant et qu’il s’expose ainsi à l’expérience de la souffrance, de la douleur, de l’impuissance et de la mort .Il n’est pas toute-puissance. Il est amour. « C’est son amour passionné, passible, et rien d’autre qui est tout-puissant » (TRD p 248) Dans le Fils,  la gloire de Dieu trinitaire ne se reflète pas sur les couronnes des rois et dans les triomphes des vainqueurs mais sur le visage du crucifié et sur le visage des opprimés dont il est le frère. Jésus crucifié est l’unique image du Dieu invisible. Cette gloire se reflète dans la communauté des croyants et des pauvres. L’Esprit vivifiant procède du Père de Jésus crucifié et ressuscité. C’est dans l’ombre de la mort que l’on expérimente la résurrection par la force vivifiante de l’Esprit. Il nous procure avenir et espérance. Il ne procède pas de l’accumulation de puissance ni de l’usage absolutiste de la souveraineté

Une théologie politique qui se veut chrétienne doit donc critiquer le monothéisme politique en refusant une unité entre religion et politique mais aussi en recherchant des options politiques qui correspondent aux convictions de la foi chrétienne et qui ne la contredisent pas. Donc un non à la monarchie d’un souverain, non à  un  maitre du monde, non à un père tout puissant patriarcal qui se définit par le pouvoir de disposition sur ce qui lui appartient. Et un  oui à la communauté des hommes sans privilèges ni servitudes, communauté où les personnes sont définies par leur relation les unes avec les autres et leur importance les unes pour les autres, définies par la personnalité et par des relations personnelles. Ce faisant, cette communauté est à l’image de la Trinité qui est « une vie inépuisable que les trois personnes ont en commun et dans laquelle elles sont les unes avec les autres, les unes pour les autres, les unes dans les autres » (p 249)

Le monothéisme monarchique a aussi influencé l’organisation de l’Eglise par une déduction représentative de l’autorité divine : un Dieu, un Christ, un évêque, une communauté. Cette déduction se fonde sur le monothéisme monarchique.( Cf sur cette question G.LAFONT, Histoire théologique de l’Eglise catholique, Cerf 1994, Collection Cogitatio fidei 179. En particulier les pages 28 à 32. « Avec les grands courants intellectuels de la période prénicéenne…le christianisme est entré dans le cadre de la culture héllénistique…où prévalait la symbolique de l’Un. La pensée chrétienne a fait sienne l’orientation à la fois apophatique et intellectualiste de cette culture. Apophatique en ce sens que ce qui était visé, en dernière analyse, c’était bien l’union mystique avec l’Un au-dessus de tout, identifié au Dieu Père de l’Ecriture biblique » p 28) Elle va jouer aussi en défaveur des femmes. « Une déduction correspondante de la primauté de l’homme sur la femme apparait dans la théologie paulinienne de la Képhalé, 1Co11/13 : ‘le chef de tout homme, c’est le Christ, le chef de la femme, c’est l’homme, et le chef du Christ, c’est Dieu’ ; Ep5/22 : ‘le mari est chef de sa femme comme le Christ est chef de l’Eglise’(TRD p 251 note 24. Moltmann ajoute que K. Barth (Cf Barth, Dogmatique, III/4,54)a développé à partir de cela une théologie de la subordination pour la femme. Théologie qui a suscité à juste titre étonnement et contradiction (voir par exemple Cl. Green, Karl Barth on Women ans Men, in Union Theol.Quarterly rewiev, ¾, 1974). Cette déduction fonde une  hiérarchie ecclésiastique masculine correspondant à la monarchie divine et représentant celle-ci. Le Moyen-Age a consolidé cette conception par une cascade de primautés de l’Un : une Eglise, un pape, un Christ, un Dieu, dans une cascade de délégation graduée, ceci fondé sur le mode de pensée du monothéisme monarchique.

Il peut y avoir une autre ligne de pensée que la pensée de l’Un, c’est le  fondement trinitaire de l’unité de l’Eglise. Qu’il soit un au sens  de Jn 17/20 : une unité de la communauté qui soit unité trinitaire. Ce fondement trinitaire est plus profond mais surtout il détermine autrement l’unité. Non pas un monothéisme monarchique qui dit Dieu comme puissance représentée par  l’autorité universelle  et infaillible du seul mais monothéisme trinitaire qui dit Dieu comme communion d’amour.

« Dieu comme amour… est représenté dans la communauté et … est expérimenté dans l’acceptation de l’autre, comme tous ensemble sont acceptés par le Christ. Le monothéisme monarchique fonde l’Eglise comme hiérarchie, comme souveraineté sainte. La doctrine de la Trinité constitue l’Eglise comme communauté libre de toute domination »( TRD p 254. « Communauté libre de toute domination » est une citation tirée du livre de G.Hasenhüttl, Herrschaftsfree Kirche, Sozio-theologische grundlegung, Dusseldorf, 1974)

Moltmann s’appuie également sur des auteurs orthodoxes comme P.Evdokimov pour qui « le principe trinitaire remplace le principe de la puissance par le principe du consensus »(P.EVDOKIMOV, L’Orthodoxie, Paris, 1965 p 131)

Il résume cette pensée en écrivant :

« A la place de l’autorité et l’obéissance, nous trouvons le dialogue, le consensus, l’accord. Ce n’est pas la croyance en la révélation divine à cause de l’autorité de l’Eglise qui se trouve au premier plan, mais la foi en la raison d’une perception personnelle de la vérité de la révélation. A la place de la hiérarchie qui maintient et qui impose l’unité, nous trouvons la fraternité et la sororité de la communauté du Christ ».( TRD p 254)

D’autre part, pour remplacer le monothéisme politique et clérical, il faut une doctrine théologique positive de la liberté. Le fondement de l’athéisme moderne, c’est la conviction qu’un Dieu régnant par sa toute-puissance et son omniscience rend impossible la liberté humaine. En s’inspirant de Joachin de Flore, mais en le dépassant et  sans reprendre l’aspect modaliste et sa division chronologique,  Moltmann développe cette doctrine théologique positive de la liberté qui se fonde sur le principe trinitaire. Il s’agit de comprendre l’histoire du royaume de façon trinitaire : les règnes du Père, du Fils, de l’Esprit sont des strates et transitions constamment présentes dans l’histoire. 

Le règne du Père :

« Le règne du Père. C’est précisément quand nous comprenons la création du monde de façon trinitaire, comme une action qui se limite elle-même, du Père par le Fils dans la force de l’Esprit, qu’elle est la 1ère étape sur le chemin de la liberté. Là où règne non pas le grand Seigneur du monde mais le Père de Jésus-Christ, un espace est donné à la liberté des créatures. Là où ce n’est pas le grand Seigneur  du monde mais le Père de Jésus-Christ  qui conserve dans sa patience le monde, de l’espace et du temps sont laissés à la liberté des créatures, au sein même de l’esclavage dont elles sont elles-mêmes responsables ; le Père règne par la création de l’être et l’ouverture du temps » (TRD p 263)

 

Le règne du Fils

« Consiste  dans la souveraineté libératrice du crucifié et dans la communauté avec le 1er né d’une multitude de frères et sœurs… Il introduit les hommes dans la glorieuse liberté des enfants de Dieu en les configurant à lui-même dans sa propre communauté… Quand il se détourne du créateur …la délivrance de cette mort vers l’ouverture originelle ne peut avoir lieu par la domination et par la contrainte mais par une souffrance suppléante et par l’ appel à cette liberté qui est maintenue ouverte par la souffrance suppléante »

Le Règne du Fils est en forme de serviteur. Il règne par la libération pour la liberté.( TRD p 264)

 

Le règne de l’Esprit.

L’expérience de l’Esprit, c’est être saisi par la liberté pour laquelle le Fils nous a libérés. Il donne accès à l’immédiateté avec Dieu. Il est Dieu en nous. Par la foi  et l’écoute de sa conscience, l’homme devient ami de Dieu. Par l’Esprit, l’homme fait l’expérience des énergies de la nouvelle création. Il est à la naissance de la communauté nouvelle  sans privilège, sans subordination : communauté d’hommes et de femmes libres.

En cohérence aussi avec le principe eschatologique de Moltmann, il précise que ce règne de l’Esprit est orienté vers le règne de la gloire mais qu’il n’en est pas encore l’accomplissement. L’expérience de l’Esprit qui rend l’homme temple de Dieu (1co 6/13) est anticipation de la gloire où le monde sera temple du Dieu trinitaire (Ap 21/3) Ce règne de gloire sera accomplissement de la création du Père, application universelle de la rédemption du Fils, achèvement de l’inhabitation de l’Esprit.

 

 Cette doctrine trinitaire de la liberté est histoire progressive et croissante de la liberté. Le Père est liberté des créatures qui maintient l’espace vital nécessaire ; le Fils est libération des hommes de leur enfermement grâce à l’amour souffrant qui restaure la liberté. L’Esprit est force et énergie de la nouvelle création.

Confesser Dieu ainsi n’est donc pas négation de la liberté humaine mais au contraire elle l’oriente pour une espérance infinie. A condition de ne pas se tromper de liberté. Il y a la liberté comme domination, c’est celle qui gagne et domine et celle du maitre seul soumettant et exploitant ceux qui perdent, les   non-libres que sont les femmes, les enfants, les esclaves sur lesquels règne le maître. La liberté comme domination est une liberté qui est aux dépens des autres. Liberté pour l’un qui est oppression pour l’autre, richesse qui rend pauvres les autres. La liberté comme domination ne connait  que soi. « Cette manière d’entendre la liberté comme domination s’enracine dans une société typiquement masculine comme le signale en allemand le mot Herrschaft »( TRD 269). C’est celle du libéralisme bourgeois qui a remplacé l’absolutisme royal et la féodalité, liberté où tout homme est un concurrent dans la lutte pour le pouvoir et la propriété, où tout homme n’est pour l’autre homme que la limite de sa liberté.

Elle s’oppose à la liberté comme communauté « C’est seulement dans l’amour que la liberté humaine acquiert sa vérité : je suis libre et je me sens libre quand je suis respecté et reconnu par les autres et quand de mon côté je  respecte et reconnait les autres. Je deviens réellement libre quand j’ouvre ma vie aux autres et que je la partage avec eux et quand d’autres m’ouvrent leur vie et la partagent avec moi »( TRD p 270) Cette liberté comme communauté doit se compléter par la liberté des sujets à un projet : « Celui qui transcende le présent vers l’avenir, en pensées paroles, et œuvres, celui-là est libre. Du point de vue théologique, ceci est la dimension particulière de l’expérience de l’Esprit : dans l’Esprit nous transcendons le présent vers l’avenir de Dieu car l’Esprit est la caution de la gloire. La liberté dans la lumière de l’espérance est la passion créatrice pour le possible... l’avenir est le règne des possibilités non encore définies, alors que le passé représente le règne limité de la réalité »( TRD p271)

 

Cette dimension future de la liberté longtemps ignorée par la théologie « parce qu’on n’a pas compris la liberté de la foi chrétienne comme une participation à l’Esprit créateur de Dieu »( TRD p 272)

 

La pensée de Moltmann permet d’introduire la différence au cœur même de l’unité, de fonder le respect de la différence puisqu’elle est au cœur même de Dieu, une différence sans hiérarchie de l’un sur l’autre.  Elle dédouane la Trinité du patriarcat car celui-ci est le fait d’un monothéisme monarchique.

 

Cependant, reste entier, le caractère masculin de la nomination des trois :

« L’emploi exclusif d’images masculines est la première difficulté qui ressort d’une réflexion sur la Trinité dans une perspective féministe. La profession de foi en la Trinité présente au moins deux figures masculines, soit un père et le fils qu’il engendre, ainsi qu’une troisième figure exhalée par les deux autres,  celle-là plus informe, mais qui se voit néanmoins attribuer le genre masculin. La puissance évocatrice du symbole profondément masculinisé de la Trinité signifie implicitement une masculinité essentielle chez Dieu au détriment d’une reconnaissance de la qualité d’imago Dei chez les femmes dans leur féminitude même »( E.A. JOHNSON, Dieu au-delà du masculin et du féminin. Celui/Celle qui est, Paris, Editions du Cerf 1999, p 304).

La question est cruciale. Peut-on et doit-on dire « Elle est Dieu » comme nous disons « Il est Dieu » ? Peut-on dire autrement « Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » ?

 

 

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14 août 2012 2 14 /08 /août /2012 15:40

Il s’agit maintenant d’aborder la partie proprement théologique de mon étude. Comment penser Dieu, parler de lui de manière non-discriminante pour les femmes ?

 

Une théologie de Dieu Trinité au-delà du masculin et du féminin

Introduction à la question

Une partie de la lettre encyclique Mulieris dignitatem nous invite à penser Dieu « au-delà du masculin et du féminin »( C’est le titre du livre de E.A.JOHNSON, Dieu au delà du masculin et du féminin, Seuil, 1999, Collection Cogitatio fidei, n°214) selon le titre du livre de E.A . Johnson. Fort justement, « car Dieu est le Différent par excellence, le tout-Autre »( MD 8. Et de citer le Concile de Latran DZ 806 , « si la ressemblance avec Dieu est vraie, plus essentiellement vraie encore est la non-ressemblance »).  La lettre encyclique reconnait, cependant, que cela ne rend pas illégitime l’anthropomorphisme où Dieu peut être dit avec des images humaines. Cette ressemblance analogique du créateur avec sa créature permet à la Bible d’utiliser des images masculines mais aussi féminines. La lettre encyclique cite le prophète Isaïe où Dieu dit son amour comme celui d’une mère qui n’oublie pas son enfant, qui le console (Is 49/14-15 ; 66/13). Dieu porte l’humanité et son peuple en son sein, l’enfante dans la douleur, le nourrit, le console. Le psaume 131 compare le croyant à un enfant blotti contre sa mère.

Que ces images  soient masculines ou féminines, cette façon anthropomorphique de parler de Dieu, montre que « le mystère de la génération éternelle…fait partie de la vie intime de Dieu. » (MD 8). Mais cette génération est de nature entièrerement divine, spirituelle et elle n’a aucune caractéristique du corps ni féminin, ni masculin.

La lettre encyclique, également, dédouane la « paternité » de Dieu de toute utilisation discriminante pour les femmes. La paternité est en ce sens «  supra-corporel, surhumain, totalement divin …la paternité divine ne possède pas de caractère masculin au sens physique du terme ». ( MD 8)

Dans ce passage de la lettre encyclique, il y a donc deux acquis importants. La reconnaissance d’images analogiques féminines  pour parler de Dieu et l’affirmation  que Dieu, comme Père, ne signifie aucunement une attribution masculine à Dieu.

Mais cela questionne encore d’autant plus l’autre courant qui traverse la lettre, celle de l’attribution masculine à Dieu du titre d’Epoux. Nous avons vu que cette analogie allégorique renvoyait le féminin uniquement du côté de l’humain et le privait de pouvoir représenter le divin. Et ceci, non en raison d’abord de l’incarnation dans un humain de sexe masculin, mais en raison surtout d’une structure ontologique du masculin comme donateur et du féminin comme récepteur. Il y a donc dans la lettre encyclique elle-même, deux options contradictoires.

*Pour les images anthropomorphiques de Dieu, la lettre encyclique opte pour que la corporéité ne soit pas déterminante, et ceci en en des termes forts : « La génération qui ne possède en elle-même aucune qualité masculine ou féminine…elle n’a aucune propriété caractéristique du corps ni féminin, ni masculin…paternité en ce sens supra-corporel…pas de caractères masculins au sens physique du terme »( MD 8)

*Mais elle n’applique pas cette même réserve pour l’image de Dieu comme Epoux. Ici, la corporéité joue un rôle déterminant.

Devant cette contradiction, il est permis de proposer l’hypothèse suivante : Dieu au féminin est possible à condition que cela ne remette pas en cause la structure institutionnelle de la hiérarchie masculine de l’Eglise catholique romaine. En choisissant cette image de l’Epoux, l’encyclique induit la masculinité du Christ comme une convenance anthropologique déterminante et non contingente. La masculinité représenterait le don, l’initiative, et le féminin la réceptivité du don, il serait donc cohérent de parler de Dieu au masculin, cohérent aussi que l’incarnation de la Parole se soit faite  dans l’humain masculin.( Pour K. Rahner, au contraire, de la masculinité du Christ , on ne peut pas déduire des vocations différentes. « Un de sexe masculin a été hypostatiquement uni à Dieu, mais c’est le seul, de sorte qu’hors de lui, le sexe masculin est au même plan que le sexe féminin. Par là-même on n’a pas le droit de tirer de la masculinité de Jésus-Christ, des conséquences définitives concernant la dignité, l’ordre, les missions des hommes et des femmes » Pro mundi vita n°106)

Cohérent, enfin, que les ministères qui disent cette initiative et se déclinent dans le service de gouvernement, d’enseignement, de sanctification, soient assuré par des humains de sexe masculin.  Ici nous avons une certaine théologie qui se justifie par une certaine anthropologie et une anthropologie qui induit une théologie. Mais  s’il s’agit d’une détermination ontologique de la différence homme/femme, cela devrait également être un critère de différenciation dans la société. Si cela ne peut pas être la mission de la femme dans l’Eglise d’assurer la symbolique de l’initiative de Dieu qui gouverne, enseigne, sanctifie, si cela ne correspond pas à la nature de son être, la logique voudrait, pour respecter sa « nature », qu’on la « préserve » aussi de toute fonction familiale et civile qui requiert autorité et gouvernement. La théologie classique était cohérente sur ce point quand de la nature de chef reconnu à l’humain masculin, elle assignait à la femme l’obéissance à son mari.

Un adage ancien disait : « Dis-moi quel est ton Dieu, je te dirai quel homme tu es. » On peut dire aussi : Dis-moi quel est ton Dieu, je te dirai comment tu penses la relation homme-femme. Si nous pensons Dieu au masculin, la relation homme-femme sera vécue de manière inégalitaire au détriment de la femme.

Le problème redouble dans la manière traditionnelle de parler de Dieu-Trinité. Dieu est désigné par des images masculines pour le Père et le Fils et par un troisième « a-sexué » l’Esprit Saint, mais qui dans beaucoup de langue est parlé au masculin. C’est pourquoi, Dieu comme Père, a été rejeté par les courants extrémistes  des théologies féministes(Sur les théologies féministes, voir E.PARMENTIER, les filles prodigues, défis des théologies féministes, Labor et fides, 1998, en particulier les pages 109 à 146), avec la formule sans appel de Mary Daly : «  Si Dieu est mâle, alors le mâle est Dieu »( “If God is male, the male is God” M. DALY, Beyond God the Father ( Au delà de Dieu le Père) Boston, 1973, p 19 Cité par Catherina HALKES, Pourquoi la théologie féministe proteste-t-elle contre Dieu le Père ?, Concilium, 163, 1981, P 153 à 164) . Il est légitime au moins de se demander si et en quoi cette image masculine de Dieu comme Père et comme Fils, peut justifier et conforter une situation infériorisée, une valeur moindre du féminin, une dépendance au masculin, un rejet du féminin de l’espace public et des responsabilités politiques et pour l’Eglise catholique romaine, le refus d’ordonner des femmes au presbytérat et à l’épiscopat.

Il est donc important de penser autrement la Trinité pour que cela ne conforte pas une hiérarchie du masculin par rapport au féminin. Il m’a semblé que la théologie trinitaire de Moltmann pouvait nous y aider puisqu’il pense la Trinité comme communion non-hiérarchique.

 

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14 juillet 2012 6 14 /07 /juillet /2012 08:06

Suite de mon étude de la lettre encyclique Mulieris dignitatem.

Voici trois critères de discernement pour interpréter la Bible et tout ce que nous disons sur Dieu, sur l'humain.


Reprenons ce que fait l’encyclique au n°24 pour interpréter Ep 5. Il est dit d’abord que l’auteur de la lettre aux Ephésiens sait que la soumission de la femme à son mari est dépendante d’une attitude enracinée dans les mœurs et la tradition religieuse du temps, qu’elle relève de l’  « ancien », et donc doit être comprise et vécue de manière nouvelle, s’inspirant de la nouveauté évangélique. Ce qui amène à la conclusion suivante : « Tandis que dans la relation Christ-Eglise, la seule soumission est celle de l’Eglise, dans la relation mari-femme, la soumission n’est pas unilatérale mais bien réciproque ! ». La lettre encyclique poursuit en reconnaissant que des traits de l’  « ancien » subsistent à l’intérieur même des Ecrits néotestamentaires. (Cités à la note 49 de Mulieris dignitatem)Cependant, qu’est-ce qui nous permet de le faire ? Pourquoi déclarer certains textes comme relevant de la nouveauté et d’autres de l’  « ancien » ?

(Certaines Eglises chrétiennes ayant une lecture fondamentaliste, refusent cette position. Women in the Church : scriptural Principles and Ecclesial Practice. A report of the Commission on Theology and Churches Relations of the Lutheran Church, Missouri Synod, September 1985, III.B p 40-42.  Elisabeth  PARMENTIER cite ce document dans son livre, les filles prodigues, Labor et fides 1998, p 256.  En commentant ainsi: “l’Eglise du Synode de Missouri a publié en 1985 un texte interdisant catégoriquement aux femmes tout exercice d’autorité dans l’Eglise, position justifiée à partir de l’affirmation…que Dieu a établi un ordre de la création définitive qui implique la soumission de la femme à l’homme; cet ordre de la création…n’est pas aboli mais sanctifié par la rédemption en Christ…parce que le ministère pastoral représente l’autorité de Dieu sur son peuple, celui-ci ne peut être rempli que par l’homme qui a autorité sur la femme ») 

La question est d’autant plus importante que  la typologie allégorique, elle, n’est pas dite touchée par la nouveauté évangélique et n’est pas dite relevant de l’  « ancien » .

Donc selon quel critère faire ce discernement ?

Pour Segundo, il s’agit de le faire selon les manières mêmes dont la Bible s’est peu à peu constituée et qui permet de comprendre pourquoi tels ou tels textes ont été retenus et sont rentrés dans ce qui forme notre Bible actuelle.  Il y a, nous l’avons, vu les traces de débats qu’on a laissés tels quels et qui montrent un cheminement de pensée par le passage par une crise. Mais il y a aussi des choix qui font du tri et qui sélectionnent. Selon quel critère ? Comment ?

 

1-Le critère de la libération

« Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »

(Lc7/20) Cette question est une demande de discernement. Sur quel critère, reconnaître celui qui vient de Dieu ? La réponse de Jésus se situe au niveau de la libération : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu, les aveugles voient, les boîteux marchent, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (Lc 7/21-23)

La libération d’un homme est le signe digne de foi et suffisant pour discerner  la présence de Dieu. C’est un discernement qui est confié à la responsabilité humaine. Mais qui va pouvoir faire ce discernement selon ce critère de libération ? Ceux qui ont condamné Jésus n’ont pas été sensibles à ce critère. Seul l’homme  qui est déjà accordé aux priorités du cœur de Dieu saisira cette communication de Dieu. Le discernement de ce qui est présence ou révélation de Dieu dans l’histoire d’Israël ou de Jésus n’est donc pas le fait de Dieu, c’est aux hommes qu’est donnée  la responsabilité d’opérer un tel discernement en découvrant les priorités de Dieu.

Le peuple d’Israël a, quant à lui, expérimenté la présence salvifique de Dieu quand il le libérait de l’oppression. Moïse découvre la présence de Dieu dans le désir des hommes de se libérer de l’oppression. Il découvre l’écart entre cette oppression et la volonté de libération qui est en Dieu. L’auteur biblique a trouvé important de raconter cela, car dans les faits de ce  passé, il voyait une présence révélatrice de Dieu. Retenir cela et pas autre chose présuppose une foi anthropologique car s’il ne l’avait pas, ces faits seraient tombés dans l’oubli : Dieu ne peut accepter cette situation d’oppression, il veut la modifier. Qu’est-ce qu’une foi anthropologique pour Segundo ? C’est une foi en des valeurs qui déjà structurent la vie d’un homme. Pour  fonder une foi religieuse en  discernant, entre plusieurs voix, celle qui procède de l‘absolu, l’auteur biblique n’a d’autres valeurs que celles qui structurent sa vie. Pour faire cela, pour faire ce choix, c'est-à-dire,  ce discernement de raconter cela et pas autre chose, il n’a pas d’autres repères.  Il est sans Bible, sans parole de Dieu, sans signe, sans dépôt. Il choisit un absolu qui doit vouloir la libération du peuple. L’auteur biblique doit avoir la même foi anthropologique que Moïse et ses contemporains, la contagion d’un même enthousiasme, d’un engagement pour qu’il  tienne  pour inspiré tel récit et qu’il choisisse de l’écrire. Pour cela des choix ont été toujours été faits, que ce soit au niveau  de la tradition orale, des rédacteurs, du rédacteur final. Il y a cette même foi anthropologique chez le lecteur quand il tient pour inspiré l’auteur de l’Exode.

Ces choix se sont faits avant que la Bible existe et pour qu’elle existe. C’est ce discernement qui a formé la Bible.

 

Comment ce critère de discernement peut-il s’appliquer à ce que nous dit la Bible du rapport homme-femme ?

Privilégier la soumission réciproque et déclarer anciens les textes néotestamentaires défavorables aux femmes est discernement suivant ce critère de libération. Le Dieu de l’Exode, le Dieu libérateur de son peuple ne peut vouloir que la moitié de sa création, la moitié de son peuple reste dans la soumission. De ce point de vue, la lettre encyclique est conforme (sans le dire) à ce critère de discernement.

Par contre, fonder une anthropologie sur une typologie allégorique de l’épouse qui met le féminin uniquement du côté de la réponse humaine, ne pouvant pas, de ce fait, représenter l’initiative divine, n’est pas un discernement selon ce critère de libération car cela maintient le féminin en situation subalterne. De ce point de vue, la lettre encyclique n’applique pas ce critère de libération.

 

2-Le critère de la bonté de la nouvelle : Est-ce une bonne nouvelle ?

Le discernement doit se poursuivre dans l’interprétation. L’interprétation est-elle vraiment un Evangile, une bonne nouvelle ? Pour  expliciter cela, Segundo donne l’exemple de la mort du Christ. Jésus est mort sur la croix par amour pour obtenir le pardon. Cette donnée de la foi est une bonne nouvelle si on l’interprète comme l’amour que Dieu a pour l’homme, comme l’importance que l’homme  a aux yeux de Dieu. Mais cela a donné lieu au cours de l’histoire du christianisme  à d’autres conclusions : le péché de l’homme était tellement monstrueux qu’il ne pouvait être pardonné que par la mort du Fils. Ici il s’agit d’une double mauvaise nouvelle. Non seulement cela montre une liberté humaine qui conduit au désastre mais aussi un Dieu qui ne peut pardonner qu’au prix du sang de son Fils. « Un Dieu d’amour n’est pas compatible avec un être qui peut être offensé au point de devoir sacrifier son Fils pour rester en paix avec soi-même et se réconcilier avec l’offenseur sans manquer à la justice »

( Qu’est-ce qu’un dogme ? p 507)

Si nous appliquons ce critère de bonne nouvelle concernant notre question, il y a bonne nouvelle à privilégier Ga 3/27-29 et déclarer « ancien » par exemple 1Tm2/11-15 car le texte de Ga est un vrai « défi de l’éthos de la Révélation »( MD 25) , capable de libérer de tout sexisme. Mais c’est une mauvaise nouvelle de dire dans ce même numéro 25 que « le symbole de l’Epoux est de genre masculin », de ne rien dire de la configuration au Christ des femmes par le baptême»( «… par le baptême, en effet, nous sommes rendus semblables au Christ : ‘car nous avons tous été baptisés en un seul Esprit pour n’être qu’un seul corps’ ( 1 Co 12/13)…Tous les membres doivent se conformer à lui jusqu’à ce que le Christ soit formé en eux (cf Ga 3/19). C’est pourquoi nous sommes assumés dans les mystères de sa vie, configurés à lui, associés à sa mort et à sa résurrection, en attendant de l’être à son règne »  Lumen gentium 7), ce qui a pour conséquence un empêchement pour les  femmes, en tant que telles,  d’exercer des charges de gouvernement, de sanctification, d’enseignement dans l’Eglise( Et dans la société , car cela justifie, par sa prétention ontologique, des législations qui privent les femmes ou leur rendent difficile  l’accès aux responsabilités politique, économiques, sociales.). Mauvaise nouvelle pour elles et pour tous car privant l’Eglise de la richesse de ce service.

 

3-Discernement par l’engagement existentiel du lecteur : est-ce un engagement humanisant ?

Le discernement qui a fait la Bible et le discernement pour la lire, concerne aussi toutes les expressions de la foi, par exemple les textes liturgiques. Segundo donne l’exemple d’une oraison du Missel romain : « Dieu éternel et tout puissant, qui régis l’univers du ciel et de la terre : exauce, en ta bonté, les prières de ton peuple et fais à notre temps la grâce de la paix »( Prière d’ouverture du missel romain au 2ème dimanche ordinaire) Cette oraison contient une affirmation : Dieu règne sur le ciel et sur la terre alors que dans le texte du Notre Père, il s’agit, non d’une affirmation mais de la demande que sa volonté se fasse enfin sur la terre comme elle se fait déjà dans le ciel. L’affirmation de cette oraison est d’abord erronée : la terre telle qu’elle est actuellement ne reflète pas ce que Dieu veut mais plutôt ce qu’Il déteste. Segundo s’étonne qu’une  telle oraison existe mais surtout qu’elle ne choque pas. Cela ne choque pas celui pour qui la foi n’est pas la joie, la raison, le sens de sa vie. Elle choque celui que l’Evangile a rejoint, qui a fait de lui, les critères de ses choix et qui est conscient de l’écart entre la réalité vécue et ce que Dieu veut. Cela choque celui qui vit sérieusement l’aventure de Jésus. Car il peut percevoir la contradiction que comporte cette oraison, donc en faire l’occasion d’une crise qui aboutit à une compréhension plus profonde, plus riche du message chrétien. Il  entre en crise quand il se rend compte du caractère pré-chrétien de cette oraison selon laquelle Dieu gouverne la terre. Mais pour cela, il faut être convaincu que Dieu est loin de régner sur la terre, que bien des aspects de ce qui s’y passe est bien plutôt objet de sa colère que de son approbation. Pour cela encore, il est nécessaire d’être en accord avec cette critique de situations déshumanisantes qui règnent sur notre terre, sensible à leur caractère intolérable. Si l’on pense, pour ne prendre qu’un exemple, que l’avortement sélectif des filles en certains pays d’Asie est normal (B.MANIER, Quand les femmes auront disparu. L’élimination des filles en Inde et en Asie, Ed La découverte, Paris, 2006), on ne sera pas choqué par cette oraison.

Le discernement est donc partie prenante d’une conversion. Convertir en réflexion expérimentale sa recherche de la substance du message chrétien car la révélation continue de nous découvrir les secrets de notre expérience existentielle. La révélation a pris fin avec le Christ mais le Christ n’a pas pris fin. Il complète le Royaume en s’appuyant sur nous.

« La bonne nouvelle humanisante de la Résurrection de Jésus consiste en ce que, si Lui a été constitué Fils de Dieu avec pouvoir, nous autres, ses frères, nous sommes également constitués fils en Lui. Et en tant que fils, héritiers de l’univers, d’un univers incomplet que nous devons arracher à son inutilité grâce à la liberté créatrice qui nous a été donnée gratuitement » ( Qu’est-ce qu’un dogme ? p 509)

 

Pour cela il faut comprendre la bonne nouvelle de l’Evangile  comme vitale, liée à l’expérience et inscrire dans notre monde des projets au service de l’amour et de l’humanisation. De ce point de vue la lettre encyclique pose de vrais fondements pour un engagement au service de l’amour et de l’humanisation. Affirmer avec force l’égale dignité de l’homme et de la femme, image de Dieu, créés pour eux-mêmes, est en soi, une protestation contre toute forme de discrimination et donc, par exemple, une protestation contre les avortements sélectifs de filles.

Par contre, la typologie allégorique de l’encyclique, mettant les femmes dans l’impossibilité de représenter l’Epoux, conforte (sans le vouloir et le dire expressément) des mentalités, des pratiques, des institutions, des cultures qui empêchent les femmes d’accéder à tous les postes de responsabilité dans la société et dans l’Eglise, dans tout ce qui demande autorité, initiative.

 

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2 juillet 2012 1 02 /07 /juillet /2012 17:48

Une autre conception de la Révélation

 

La lettre encyclique Mulieris dignitatem est traversée par deux manières d’interpréter la Bible. La première est herméneutique. On la voit à l’œuvre dans son commentaire d’Ep5 au numéro 24. D’abord elle rompt avec un commentaire littéral de la soumission féminine au mari pour y substituer une soumission réciproque et  prend acte que cette soumission féminine

« si profondément enracinée dans les mœurs et la tradition religieuse du temps, doit être comprise et vécue de manière nouvelle, comme une soumission mutuelle dans la crainte du Christ »( MD 24)

Ensuite, elle reconnait que ce qui relève de l’ordre de la révélation, est la soumission de l’Eglise au Christ, mais que la soumission unilatérale de la femme à son  mari n’est pas de l’ordre de la révélation.

Il y a aussi, plus étonnant, dans ce numéro 24, la reconnaissance que dans les écrits apostoliques, il y a à la fois du nouveau et de la persistance de l’ancien.

« Par rapport à l’  ‘ancien’, c’est là évidemment une  ‘nouveauté’ ; c’est la nouveauté évangélique. Nous rencontrons plusieurs textes où les écrits apostoliques expriment cette nouveauté, même si l’on y entend aussi ce qui est  ‘ancien’, ce qui s’enracine dans la tradition religieuse d’Israël, dans sa façon de comprendre et d’expliquer les textes sacrés comme par exemple le chapitre 2 de la Genèse »( MD 24)

Parmi ces textes du Nouveau testament marqués par l’ ‘ancien’ et donc qui n’ont pas été rejoints par la nouveauté évangélique, l’encyclique donne dans sa note 49, les références de textes défavorables aux femmes comme 1Tm2/11-15 qui prône leur silence en toute soumission pendant l’instruction, leur incapacité à enseigner, fondée sur la primauté d’Adam créé en premier, sur la faute qui revient à Eve seule, et leur salut acquis par sa maternité. Egalement 1Co11 /3 qui affirme que le chef de la femme, c’est l’homme ; en 1Co11/7 où il est dit que seul l’homme est image de Dieu, la femme étant seulement le reflet de l’homme , toujours avec la même raison d’une création d’Adam en premier, Eve tirée de lui. La femme créée pour l’homme et non « bien sûr » l’homme pour la femme.

On ne peut que se réjouir que ces textes néo-testamentaires qui ont fait tant de mal aux femmes, soit considérés comme « anciens et non rejoints par la nouveauté évangéliques » dans cette note 49. Cela s’explique par la difficile émergence de la nouveauté évangélique, son long travail dans les consciences et cela situe bien l’accueil de la révélation dans une histoire.

La Constitution dogmatique sur la révélation divine, Dei Verbum, du Concile Vatican II avait déjà admis que dans les textes de l’Ancien testament, il y avait des choses provisoires et imparfaites(« Ces livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine » CONCILE VATICAN II, Constitution dogmatique sur la révélation divine  n°15, Cerf, 1967) Ici, dans cette Lettre encyclique, l’auteur admet que dans le Nouveau Testament aussi peuvent subsister des traces de ce qui est « ancien », non encore transformé par la nouveauté évangélique.

 

 C’est une interprétation de l’Ecriture, qui, comme le montre J.L Segundo, dont je vais présenter la pensée(J.L. SEGUNDO, Qu’est-ce qu’un dogme ?, Cerf, 1992, Collection Cogitatio fidei 169), est un apprentissage à penser à partir de textes qui ne sont pas homogènes, différents ou même contradictoires.( Par exemple Ga 3/26-29 contradictoire avec 1Co11/13) Apprentissage à penser à partir de crises qui remettent en cause des convictions et des pratiques et font advenir une autre manière de comprendre et d’agir. Il est significatif que l’auteur de ce n°24 cite Ga3/26-2. Il n’y a plus dans le Christ, ni homme, ni femme. De même il n’y a plus ni esclave, ni homme libre reconnaissant que ce dernier principe a mis du temps avant d’être admis et que son application est loin encore d’être réalisé.( Il faut attendre 1839 pour qu’un pape condamne officiellement l’esclavage Grégoire XVI, In suprémo Pour l’ensemble de la question de Droits de l’homme, voir J.M. AUBERT, Les Droits de l’homme interpellent les Eglise, Le Supplément, 1982, n°141 p 149 à 177) Cette perspective reconnait l’histoire comme lieu de progrès, lieu d’une pensée qui surmonte les immobilismes.

 

Mais il y a dans l‘encyclique une autre manière de lire la Bible, sa symbolique allégorique qui privilégie une image à l’exclusion d’autres ( Dieu époux et l’Eglise épouse, alors qu’elle peut être dite aussi peuple de Dieu, temple de l‘Esprit, corps du Christ, donc ici au-delà d’une posture conjugale et féminine). Ces deux manières coexistent dans la lettre encyclique mais la seconde est privilégiée. Elle seule surtout est déterminante du rôle différencié des femmes et des hommes au niveau institutionnel. La première tient compte de l’histoire et de son ouverture au changement, la seconde fonde un statu-quo dans l’éternel dessein de Dieu.

Cependant cette première manière ouvre une brèche dans cette pensée statique. La réflexion théologique de J.L. Segundo va nous permettre d’aller plus loin dans une manière de considérer la révélation non comme un bloc monolithique valable en tout temps et en tout lieu mais comme apprentissage à penser.

 

Pour cela, dans son livre Qu’est-ce qu’un dogme Segundo  distingue deux modèles différents pour penser la Révélation. D’abord le modèle iconique qui exposant en récits, en image, renvoyant à des questions existentielles, donnant à penser, est processus de recherche. Le second est digital. Digital au sens d’une vérité que l’on peut désigner du doigt, de l’ordre d’un dépôt. Il suppose que Dieu a déposé dans un contenant qui serait la Bible des vérités à croire et des normes à pratiquer. Vérités et normes qu’il suffirait d’extraire de cette « carrière » biblique. Ce travail d’extraction étant le fait de la Tradition qui au long de 20 siècles aurait peu à peu mis à découvert ce qui y était contenu, c'est-à-dire une information correcte une fois pour toutes, et pour toutes les questions, dans tous les contextes.

Il me semble que, dans la lettre encyclique,  la nouvelle manière de comprendre la soumission réciproque de Ep 5 relève du modèle iconique, tandis que la manière d’absolutiser la symbolique Epoux/épouse comme paradigmatique du masculin et du féminin, relève du digital.

Ce dernier modèle se heurte à une difficulté majeure : la divergence dans la Bible, de théologies, leurs variétés qui n’est pas toujours conciliables, leurs diversités qui évitent d’enclore dans une seule perspective, dans le domaine de la foi comme dans celui de la morale. Pour le premier Testament. Il suffit de rappeler la foi ou la non-foi en la vie éternelle. Deux théologies qui s’affrontent encore au temps de Jésus et dont on a trace dans l’opposition entre pharisien et sadducéens(Par exemple en Mt 22/23…34). Egalement le conflit doctrinal sur la question de la rétribution. La richesse, la longue vie, la santé, le bonheur sont-ils des marques de bénédiction de Dieu en récompense d’une vie vertueuse ? Oui pour certains textes. Non pour d’autres(Par exemple Si1/13 s’oppose à la proclamation d’innocence de Job, Jb13/18). Le non le plus violent étant la révolte de Job qui proclame son innocence au cœur même de sa souffrance morale et physique. Egalement le problème à la fois politique et religieux de la royauté. Est-ce une institution voulue par Dieu ou au contraire une offense à Dieu qui est le seul roi d’Israël ? Sur ce point les textes bibliques s’opposent entre monarchistes et antimonarchistes.( Par exemple 1S 8 et 2S 7)  Dans un registre moins conflictuel, les deux textes de la création en Genèse comportent, nous l’avons vu, deux anthropologies qui sont loin d’être conciliables.

Devant ce constat de divergences, de théologies différentes, une question se pose. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est parole de Dieu, inspiré par lui ? Mais surtout pourquoi dans cette Bible, y-a-t-il cette juxtaposition de position inconciliables. Pourquoi,  in fine, les rédacteurs n’ont-ils pas pris position en ne gardant qu’une des positions ? On peut répondre par le respect de  récits plus anciens mais un respect qui n’empêche pas d’en ajouter d’autres qui les corrigent ou même les contestent. Mais surtout, nous avons là le signe d’une conception particulière de la vérité. Non pas une vérité éternelle, anhistorique, monolithe, absolutisée,  mais une vérité qui se cherche dans les méandres de l’histoire humaine, qui s’approfondit  grâce à des crises, quand les réponses anciennes ne sont plus audibles, quand l’expérience vient les contredire de telle sorte  qu’elles ne sont plus satisfaisantes. Une vérité qui se cherche et qui ne s’arrête pas à un moment donné. Les  réponses anciennes et nouvelles sont gardées comme mémoire d’un cheminement de pensée, comme anamnèse d’une résolution d’une crise. Elles sont là toutes deux pour « apprendre à penser ». Apprendre à penser est un des concepts- clé de la théologie de la révélation que développe Segundo.

 

Le concile Vatican II s’approche de ce modèle en parlant de pédagogie divine, d’aspect provisoire et incomplet de la première alliance : « Ces livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine ». (DV 15)De ce fait, on ne peut plus parler de Dieu comme « unique auteur »( Contrairement à la position du Concile de Trente DZ 783) de la Bible car comment Dieu pourrait-il parler de manière imparfaite et caduque ? (Dèjà Divino afflante Spiritu de Pie XII en 1943 avait rompu avec cette conception en demandant de tenir compte de l’auteur humain (DZ 2294) qui n’est plus un secrétaire qui écrit sous la dictée mais qui est libre, créateur et limité par les connaissances et les instruments de son époque , limité et conditionné.)La constitution Dei verbum prend acte qu’il faut parler d’auteurs bibliques comme de « vrais auteurs » (DV 11) qui ont écrit selon des genres littéraires différents, «  en des circonstances déterminées, dans les conditions de son temps, et l’état de sa culture » et selon «  soit des manières natives de sentir, de parler…soit de celles que l’on utilisait ça et là à cette époque dans les rapports humains »( DV 12)

Mais Segundo va plus loin dans la compréhension de cette pédagogie divine. Mettre  la pédagogie divine à la place de Dieu comme auteur, c’est comprendre Dieu comme auteur d’un processus éducatif à travers les méandres humaines. Les Livres bibliques relatent ce processus éducatif. L’existence dans les textes de « choses provisoires et imparfaites » et contradictoires ne fait plus d’eux la dictée d’une vérité absolue. Ces faiblesses portent sur des capacités intellectuelles, des conditionnements des ignorances venant de leur société de leur culture et touchant à des facteurs décisifs de l’existence, sources d’attitudes et d’actions.

Mais ce côté provisoire et imparfait est considéré par Segundo comme positif. C’est la part d’erreurs de ce provisoire et de cet imparfait qui peut faire entrer en crise la connaissance antérieure. Parce que l’erreur et sa rectification font partie intégrante  de tout processus de connaissance  profonde et mûre de la vérité. De ce fait, il est possible de créer des hypothèses qui permettent de trouver des réponses plus adaptées. Le plan divin ne consiste pas à distribuer une information correcte une fois pour toutes, mais à faire avancer un processus éducatif où l’on apprend à apprendre à partir d’affirmation provisoire.

Segundo nous montre ainsi une profonde conception de la vérité et de l’erreur. L’erreur fait partie de la manière humaine d’accéder à la vérité,  vérité capable d’affronter des crises. Les crises permettant d’élaborer de nouvelle hypothèse, posant un problème nouveau qui remet en chemin de recherche. Les crises sont génératrices de découvertes nouvelles.  Chercher la vérité passe par la découverte du non-vrai , du non totalement vrai, de l’insuffisamment vrai, du partiellement erroné face à une réalité qui pousse vers une vérité plus grande. La recherche de la vérité passe par l’essai et l’erreur. Une erreur expérimentée, reconnue, rectifiée. Ce passage est le composant d’un processus d’intériorisation de la vérité. Sur le chemin, donc,  jalonné de choses imparfaites et provisoires ( comme pour tout processus éducatif), nous pouvons avoir accès à une vérité toujours plus grande et une richesse de sens toujours plus profonde pour notre existence.

Pour Dei Verbum, ces choses provisoires et imparfaites de la Bible ne concernent que l’Ancien Testament. Cela veut-il dire que le Nouveau en est exempt ? Si nous répondons par l’affirmative, cela veut dire que Dieu aurait changé de méthode nous dit Segundo. Nous n’aurions plus avec le Nouveau Testament une pédagogie mais des informations  parfaites, invariables mettant fin au processus de recherche pourtant inhérent à l’expérience humaine. (DZ 2021)Parce qu’avec Jésus nous aurions un accès à la révélation immédiat et personnel de la vérité, que pourrait-il y avoir de nouveau, après lui,  qui justifierais encore une recherche ?( L’interprétation du choix par le Christ de 12 hommes  (viri)  comme apôtres à l’exclusion de femmes , relève de cette conception d’une une vérité éternelle, anhistorique, monolithe, absolutisée.  Sur la question du choix des 12, voir J.MOINGT, Sur un débat clos, Revue de Sciences Religieuses, 83/3, 1994,    ) Face à cette question, deux conceptions s’opposent. La première dit oui, il n’y a plus rien à chercher, il y a seulement à  conserver et à propager la vérité possédée, seulement à mieux l’expliquer, à en donner des définitions plus précises. L’incarnation, dans cette conception est conçue comme fin effective de l’histoire.( « L’histoire…a une fin…le christianisme est cette fin : le Christ s’est présenté comme venant à la fin des temps et comme introduisant le monde définitif…L’histoire n’est plus qu’en sursis » dans Jean DANIELOU, Essai sur le mystère de l’histoire, Cerf, 1982, p 14 et 23. Cité et critiqué par J.L. SEGUNDO , Qu’est-ce qu’un dogme, Cerf, 1992, collection Cogitation fidéi n°169, p 237, pour donner un exemple d’une théologie qui clôt l’histoire avec la venue du Christ.) La deuxième dit non, et c’est l’option de Segundo, pour deux raisons. D’abord l’incarnation ne fait pas interrompre le processus qui pousse l’homme à chercher. Ensuite comment la plus haute autocommunication de Dieu qu’est le Christ nous ferait cesser de penser, nous ferait abandonner notre aventure créatrice en quête de vérité ? Cette recherche de la vérité fait partie de la maturité dont nous parle Paul. Les hommes de la maturité sont des héritiers capables de construire du neuf, d’avoir des projets de liberté. Pour cela  la réalité histoire ne doit pas être  parvenue à son terme. Il y a donc dans la manière de recevoir le Nouveau Testament une façon d’avancer aussi,  à travers et grâce à des crises,  vers des données encore inconnues.

Ce processus vers la vérité qui continue après Jésus peut s’appuyer sur Jn16/7 : « Il vaut mieux pour vous que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous » et sur Jn 16/12-13 : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, l’esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité toute entière ; car il ne parlera pas de lui-même ; mais tout ce qu’il entendra, il le dira, et il vous annoncera les choses à venir. »

La Vérité incarnée qu’est le Christ continue de se dire après sa manifestation historique. Elle ne s’arrête pas à cette manifestation historique. Segundo cite pour cela St Augustin qui commente ces versets de Jean en écrivant : « Même le Seigneur en personne, en tant qu’il a daigné être notre chemin, n’a pas voulu nous retenir mais passer »( St AUGUSTIN,  De doctrina christiana I,1 ch 34; Œuvres, DDB,  vol XI p 226 ; cité par J.L. SEGUNDO p241 et 308 dans Qu’est-ce qu’un dogme ?). La vérité qu’est le Christ nous met en chemin vers la vérité. La pédagogie divine continue donc tout au long de l’histoire humaine avec l’Esprit Saint pour guide dans sa fonction éducatrice.

Le Christ n’a pas voulu nous retenir mais passer. Il est donc passé dans cette culture qui aujourd’hui n’est plus la nôtre. La manière dont le Nouveau Testament en rend témoignage relève comme pour l’Ancien Testament de la faiblesse humaine qui produit de l’imparfait et du provisoire (Dei Verbum 15 ). Mais loin de s’en désoler, il nous faut l’accueillir comme une marque du sérieux de l’incarnation de la vérité dans le temps.

Cette fonction éducatrice et créatrice de l’Esprit Saint, se découvre déjà à l’intérieur même du Nouveau Testament par la variété des langages de la foi. La reconnaissance de cette pluralité a d’importantes conséquences. Si cette pluralité existe dans le Nouveau Testament, cela légitime la pluralité des théologies dans l’histoire et pour aujourd’hui. On peut donc sortir légitimement d’une conception de la vérité monolithe et intemporelle.

Paul, par exemple, ne fait référence à aucun acte de Jésus, à aucune de ses paroles, il en parle de manière complètement nouvelle. Il n’invente pas mais il crée une théologie qui le fait découvrir d’une tout autre manière. Il en a lui-même conscience quand il écrit :   « Même si nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi à présent»( 2 Co 5/16). Ce faisant il applique ici son  principe de la suprématie de l’esprit sur la lettre. De même l’auteur de l’Epître aux Hébreux , prendra lui aussi la liberté d’en parler avec un vocabulaire encore différent en disant par exemple que le Christ est l’unique grand-prêtre, un titre que les Evangiles ignorent complètement. Les communautés primitives, auteures des Evangiles sont aussi des créatrices, puisqu’elles vont écrire les Evangiles à la lumière de la résurrection. Enfin l’annonce de la foi, telle que relatée dans les Actes, va opérer un déplacement significatif, qu’on peut résumer ainsi : déplacement du royaume à la personne de Jésus, de la thématique du royaume à la thématique de Jésus-sauveur, de l’histoire à l’eschatologie imminente.

L’Evangile de Jean est aussi un bon exemple de créativité. Il raconte Jésus avec les mots, les concepts, les problématiques de ceux à qui il s’adresse. Il nous faut à notre tour faire preuve de la même créativité en répondant à d’autres problématiques. Continuer le processus avec lequel il a pensé, c'est-à-dire à partir de lui, apprendre à apprendre. Ce dialogue de Jean avec la culture de son temps a beaucoup  à nous apprendre. Mais il faut l’interpréter à l’intérieur  de ses limites, les dépasser et aller vers l’aujourd’hui de notre histoire et de nos cultures.

Qu’est-ce qui peut nous permettre de  faire cela ? Selon quel critère de discernement ?

 

Ceci au détriment du noyau historique central du message des béatitudes comme  priorité du cœur de Dieu, ce qu’il veut, les valeurs qu’il apprécie : que la pauvreté cesse, que ceux qui pleurent puissent rire, que ceux qui ont faim puissent être rassasiés. Tache confiée aux hommes, tâche à assumer en comprenant l’intention de Dieu et en  se faisant collaborateur de son désir.  

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30 juin 2012 6 30 /06 /juin /2012 23:21

Adam dans un monde déjà marqué par le mal: analyse de L.Basset


1-Adam, l’humain masculin dans un texte qui décrit le mal déjà là

Litta Basset introduit un autre élément d’herméneutique qui me semble encore plus vigoureux : aucun texte biblique n’est écrit avant le péché ! Même un texte qui parlerait d’un temps avant le péché ! Elle écrit : « L’auteur du texte parle à partir du monde où il vit, un monde indissociable du mal, un monde où le mal va tellement de soi qu’on ne le mentionne pas, pas plus qu’on ne mentionne le non respect dont la femme est l’objet. En effet, le non-respect de la femme dans le texte suffit à attester que le mal est là dès les origines, indépendamment du drame du jardin. » (L.BASSET, Guérir du malheur, Albin Michel, 1999, p 267) Beaucoup de femmes, aujourd’hui dans le monde, peuvent voir dans Gn 2-3, une situation qui malheureusement est la leur. Ce principe herméneutique rejoint celui de Paul Ricoeur dans sa si belle interprétation du péché originel :

« Le mythe adamique révèle en même temps cet aspect mystérieux du mal, à savoir que si chacun de nous le commence, l’inaugure…chacun de nous aussi le trouve, le trouve déjà là, en lui, hors de lui, avant lui. Pour toute conscience  qui s’éveille à la prise de responsabilité, le mal est déjà là ; en reportant sur un ancêtre lointain, l’origine du mal, le mythe découvre la situation de tout homme : cela a déjà eu lieu. »( P.RICOEUR , Le conflit des interprétations, Paris, Seuil, 1969, p 280)

Pour lui, ce texte n’explique rien mais exprime l’expérience humaine. Il est parole de Dieu en tant que :

«Pouvoir révélant concernant la condition humaine dans son ensemble …Quelque chose est découvert, descellé, qui sans le mythe serait resté couvert, scellé. »( P.RICOEUR, idem p279)

Cette fonction du mythe qui découvre et descelle peut se comprendre de manière vivante. Ce n’est pas une fois pour toutes qu’il permet de découvrir et de desceller. Sa fonction de découverte peut être aujourd’hui neuve et nous ouvrir à une compréhension encore jamais mise à nue.

C’est à cela que se livre Litta Basset en disant que le mal est à l’intérieur du texte même. Ceci, non pas pour justifier la hiérarchie des sexes mais pour la dénoncer et permettre au texte d’être un révélateur du mal au féminin. En ce sens il peut révéler du neuf, dévoiler du caché, desceller ce qui était encore scellé.

 

2-Descriptif du mal déjà là

Ce mal, Litta Basset le décline en plusieurs points (L.BASSET, Guérir du malheur, Albin Michel, 1999, p 268 à 272) : Dans ce texte, l’Adam masculin est conçu comme le seul interlocuteur de Dieu (dans le texte, Dieu ne s’adresse à la femme que pour lui signifier sa faute). La femme est décrite comme faite pour l’homme: tirée de lui, faite pour lui, référée à lui, son être ne se conçoit qu’en fonction de l’humain masculin. Etre la femme d’un homme semble être sa vocation et sa raison d’être.  L’Adam masculin est associé au pouvoir créateur de Dieu pour qui nommer, c’est faire exister. Les animaux sont nommés selon lui et pas selon elle. Sa vision et sa nomination masculines sont posées comme universelles sans avoir besoin de celles de la femme. L’Adam masculin proclame le nom de la femme comme il l’a fait pour les animaux, donc induisant un droit de souveraineté sur elle. Quand, dans le texte, la femme apparaît seule (non référée, on pourrait dire « déliée » du masculin,) cela est décrit comme une catastrophe. En quelques versets est décrit un sexisme de tous les temps : femme sensuelle, jalouse, déficiente. L’Adam est celui qui se croit seul : les quatre « je » de Gn3/10. Ainsi dans ce jardin règne déjà le mal sous la forme de la  non-considération de la femme comme personne à part entière. Ce monde du texte est de tous les temps. Cette exclusion du féminin, cette dévalorisation, cette instrumentalisation sont exemplaires de toutes les formes d’exclusion de l’autre.

Alors comment ce texte peut-il être Parole de Dieu ? Il l’est comme descriptif du mal dont les femmes sont victimes. C’est un texte de révélation de ce mal. Il révèle un mal occulté. Cependant si bien occulté qu’il faut attendre vingt siècles pour qu’une théologienne comme L.Basset et d’une autre manière comme A. Wenin,  puissent l’exposer.

Pourquoi aujourd’hui peut-on faire ces lectures tellement différentes de celles qui ont eu cours jusqu’à maintenant ?

 

3- Elément d’herméneutique : la chance d'un écart

Une des réponses possibles consiste à dire que le monde du lecteur de ce  texte aujourd’hui n’est plus le même que celui de son auteur et des commentateurs anciens. Expliquons-nous en citant Daniel Marguerat et Yvan Bourquin. En amont d’un texte, il y a le monde expérimenté par l’auteur et en aval, le monde où vit le lecteur.

« Pour que la lecture soit une authentique expérience, il faut que le texte ne coïncide pas en tous points avec le monde du lecteur. Si monde du récit et monde du lecteur sont superposables, alors la lecture ne dégage qu’un effet de miroir. Le lecteur se retrouve lui-même. En revanche, plus la distance est forte entre récit et lecteur, plus le retour au monde du lecteur sera fécond d’interrogations…Contre toute appropriation immédiate du texte, il faut insister avec Ricoeur, sur l’altérité comme dimension fondamentale du rapport au texte…Cette remarque est de grande importance pour la lecture biblique. Elle fait prendre conscience que l’éloignement (historique, culturel) des textes bibliques, s’il est un handicap pour une actualisation immédiate, fonctionne en réalité comme condition de possibilité d’une authentique quête de signification. Il faut postuler une étrangeté du texte face au monde du lecteur qui fait de la lecture une opération de dé-contextualisation et de re-contextualisation »( D.MARGUERAT et Y .BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques, la Bible se raconte, initiation à l’analyse narrative Cerf-Labor et Fides-Novalis, 2002, p. 180 et 181)

Jusqu’à récemment, ce texte, en ce qui concerne le rapport du masculin et du féminin,  a fonctionné comme miroir : le monde patriarcal du lecteur était le monde patriarcal de l’auteur : aucune distance, l’un approuve l’autre et réciproquement ! C’est seulement la situation de l’écart qui peut être  la nôtre maintenant,  qui peut faire surgir un questionnement nouveau, une compréhension nouvelle.

Ce miroir a fonctionné pendant vingt siècles où notre question de l’Adam masculin n’en était pas une mais était une évidence, une certitude et une justification de subordination du féminin au masculin.

 

Ces deux lectures, celle d’A.Wenin et celle de L.Basset, dans leur différence même permettent d’interroger la pertinence de la typologie sur laquelle s’appuie Mulieris dignitatem.

Adam, autant féminin que masculin permet de mieux comprendre que le Christ nouvel Adam « manifeste pleinement l’homme (homo) à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » ( GS 22,§2) et inclut donc les femmes comme les hommes dans cette typologie et ne les exclut donc pas.

Adam au masculin seulement dans un monde où le mal est déjà là, permet de ne pas légitimer une typologie qui met le masculin du côté du Christ à l’exclusion du féminin car elle fait perdurer une inégalité incluse dans le texte même comme situation de péché.

 

 

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23 juin 2012 6 23 /06 /juin /2012 23:32

Pour écrire une autre Mulieris dignitatem, il est d’abord nécessaire d’interpréter autrement l’Adam du livre de la Genèse. Nous avons vu que la masculinité d’Adam a fondé dans la tradition, une différence de subordination. Cette même masculinité, dans la lettre encyclique, fonde une typologie qui associe le masculin à Adam et au Christ, et le féminin à Eve et Marie. D’autres lectures aujourd’hui sont possibles pour qui Adam signifie l’Humain,  ce sera la présentation que je ferai du livre d’André Wénin ou celle de Litta Basset pour qui l’Adam masculin ne dit pas une volonté de Dieu mais un mal déjà là.

Il est ensuite nécessaire de  développer une autre conception de la révélation, pour cela je présenterai la pensée de J.L. Segundo pour qui la Bible n’est pas une « carrière de normes », une vérité digitale mais une vérité iconique, pédagogie de Dieu qui nous apprend à penser à travers des crises pour dépasser des solutions provisoires.

Il est encore nécessaire aussi à partir de la foi au Dieu trinitaire, selon la pensée de J.Moltmann,  de tirer toutes les conséquences de la tri-unité de Dieu  qui soient libérantes pour les femmes et les hommes, car certaines images qui font de Dieu un tout puissant au masculin, ne peuvent que conforter une situation de suprématie du masculin sur le féminin.

Il est enfin nécessaire de développer une autre anthropologie différenciée mais non discriminante du masculin et du féminin, ce que je ferai avec C.Ducocq.

4ème  partie : A quelle condition un autre langage sur le féminin est-il possible ?

Une autre lecture de la figure d’Adam

Nous avons vu que dans la théologie chrétienne classique, le texte de Gn 2 a été interprété dans le sens d’une création de l’humain en deux étapes : d’abord masculine, ensuite féminine tirée du masculin, et où le nom d’Adam se réfère au seul masculin. En continuant de penser aux enfants, un garçon au catéchisme pourra immédiatement s’identifier à ce Glébeux sorti des mains de Dieu, à qui il s’adresse, qui est son interlocuteur, à qui il donne pouvoir de nomination. Si on le fait prier devant la sculpture de Chartres qui représente le Christ créant Adam, il y verra son visage d’homme. Pour la fille, cette identification ne sera pas immédiate. Parle-t-on d’elle aussi dans ce Glébeux ? Plus globalement nous l’avons vu y compris dans le Nouveau Testament, traduction et interprétation de ce texte se sont conjuguées au service d’une image infériorisée des femmes.  L’encyclique Mulieris dignitatem ne remet pas en cause cette interprétation de l’Adam masculin. Ce qui lui permet de fonder sa typologie Adam-Christ nouvel Adam et sa convenance masculine et Eve-Marie comme paradigme du féminin.

Aujourd’hui, certains exégètes apportent des interprétations de ces textes pour les rectifier  dans un sens qui n’est plus dévalorisant pour les femmes.  Je présenterai pour cela deux travaux, un chez le catholique, André Wénin pour y trouver une traduction et une interprétation qui cherchent à être non-discriminantes. L’autre chez une auteure protestante, Litta Basset qui prend acte dans son livre Le pardon originel, (L.BASSET, Guérir du malheur, Albin Michel, 1999, p 266 à 272 )que ce Glébeux dans le texte est bien de sexe masculin, mais en fait une interprétation non-discriminante.

 

Adam, figure de l’humain, homme et femme. Adam, autant femme que homme et le drame de l’un qui se prend pour l’origine de l’autre.

André Wénin, (A.WENIN, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain, Paris, cerf, 2007 et aussi : Vives femmes de la Bible, Bruxelles, Lessius, 2007   )traduit d’abord le mot Adam par  humain. Actuellement, dans la langue française, c’est ce que nous avons trouvé de mieux pour inclure féminin et masculin dans un même mot. Si nous adoptons cette traduction pour Gn 2-3, cela permet, dans une recherche d’anthropologie biblique, de décrire l’homme et la femme comme formé-es de la glèbe, recevant une haleine de vie, posé-es dans le jardin pour le garder et le travailler, entendant ensemble la parole d’ouverture à tous les arbres et celle de l’interdiction de l’arbre à connaître le bien et le mal.

« Et Adonaï Elohim modela ha ‘adam, poussière hors de ha’damah et il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’humain (ha’adam) devient un être vivant »( A.WENIN, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain, Paris, cerf, 2007 p 57)

Si nous suivons la lecture inclusive d’A.Wenin, le verset 18 du chapitre 2 peut cependant nous arrêter et rendre difficile l’inclusion du féminin et du masculin dans cet-te Adam.

Même si on traduit par : "Le Seigneur dit: il n’est pas bon que l’humain soit seul", on peut se demander qui était cet humain seul ? La réponse de l’auteur est de considérer Adam comme l’Humain dont l’être n’est pas encore différencié sexuellement.

« Il faut préciser ici que jusqu’ici, l’humain qu’Adonaï Elohim a façonné n’est pas un homme mâle, au contraire de ce qu’impose à l’imagination du lecteur tant l’interprétation traditionnelle que la force de l’habitude. L’hébreu parle en effet de ha’adam « l’être humain » dont le narrateur a précisé en 1/27, qu’il est créé mâle et femelle. C’est avec raison, selon moi, que les anciens commentaires juifs, l’imaginaient comme un être double, androgyne » ( Idem p 70).

L’interpréter ainsi (et non comme un Adam masculin) comporte un enjeu anthropologique important. Pourquoi ? Parce que, dans cette interprétation,  Dieu s’adresse à lui et à elle, fait de lui et d’elle un-e interlocuteur-trice,   donne à lui et à elle, un pouvoir de nomination. Dieu l’associe donc  à son pouvoir. En donnant un nom, il-elle en devient maître-maîtresse. (G.VON RAD, La Genèse, Genève, Labor et Fides 1968)Si Adam est toujours cet-te humain indifférencié-e sexuellement, ce pouvoir est potentiellement celui des deux sexes. Si c’est l’Adam uniquement masculin, une lecture fondamentaliste peut se servir, s'est servi et se sert encore de lui, pour introduire une image du masculin différente du féminin, dans le sens d’un pouvoir de gouvernement qui n’est donné qu’à l’Adam masculin. C'est en tout cas une lecture non avertie des exigences critiques d'une éthique de l'égalité homme-femme. Cette interprétation a prévalu pendant des siècles au point d’oublier ou d’occulter l’Adam mâle et femelle de Gn 1. Telle n’est pas l’interprétation que suggère la traduction d’ A.Wenin.

« Dans le récit, il n’est ni homme ni femme. Ou les deux à la fois. Mais pour le Seigneur Dieu, un tel isolement n’est pas bon. C’est la relation qui fait vivre. »( A. WENIN, Vives femmes de la Bible, Lessius, 2007 p 11)

Très beau commentaire qui dit bien l’enjeu et le bienfait de cette différenciation voulue par Dieu et qu’il va opérer. La suite de son commentaire est encore plus novatrice. Après avoir déploré la malencontreuse traduction par « côte » alors qu’il s’agit de côté, Wénin en conclut qu’il s’agit d’une opération où

«  Adonaï Elohim coupe en deux un être humain jusque là indifférencié.  Le surgissement de la différence se fait au prix d’un double manque. D’une part, aucun des 2 partenaires de cette différenciation à cause du sommeil, n’aura accès à son origine, perte de savoir qui est prix à payer pour qu’il y est égalité. D’autre part, la différenciation se fait au prix d’une blessure, l’autre côté de soi est perdu, donc aucun des deux n’est complet. Cela fonde toute relation juste en ce que l’autre échappe radicalement et renvoie  sa propre image  d’être manquant, et sa différence lui renvoie qu’il ne sait pas tout et en tout cas, pas tout de l’autre. La relation devra donc se construire sur la base d’un consentement à cette double perte »( A.WENIN, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain, Paris, cerf, 2007 p 75

Voilà ce qui devrait être une relation juste, pas seulement entre les hommes et les femmes, mais aussi entre tous les humains. Cependant la relation homme-femme est paradigmatique du consentement au  non savoir sur l’autre et au manque.  L’interprétation de Wénin peut aider à comprendre que ce double consentement est un acte de liberté. Vais-je ou non y consentir ? Cette question permet de comprendre l’analyse qu’il fait de la suite du texte et qui décrit un non-consentement du côté masculin et du côté féminin. Pour cela il interroge le cri d’exclamation de l’Adam masculin :

« Et l’humain se dit : CELLE-CI, cette fois, est os de mes os et chair de ma chair. A CELLE-CI il sera crié ishhah, femme, car ish, homme, a été prise CELLE-CI »( Traduction d’André Wénin idem p 76)

Sous l’apparence d’un émerveillement, il se cache une faute profonde à tel point, il me semble que dans une Bible traduite et commentée comme cela, nous pourrions avoir comme titre à partir du v.27 : « Le premier péché ». Il aurait pour premier auteur l’Adam masculin.

En effet ce qui est dit au v.23, à côté de son aspect positif, peut être questionné. Ce n’est pas une parole de dialogue, Adam ne dit pas : « Tu es os de mes os et chair de ma chair ». Il se parle à lui-même. La communication commence mal !  Il en fait l’objet de son discours. Il parle d’elle à la 3ème personne. Au contraire par trois fois, il la désigne avec un démonstratif : Celle-ci. « Elle est objet de son dire, il la prend dans son discours » ( Idem page 77) Mais peut-être encore plus grave, il se donne comme l’origine de « issah » : « Car de ys a été prise celle –ci ». Elle vient de lui. ( Une lecture psychologique pourrait y voir trace d’un « désir de maternité » que l’on peut constater chez certains  humains masculins. Désir de maternité ou revanche sur la dépendance maternelle ?) Cette déclaration se veut parole de savoir. Il croit savoir comment cela s’est passé, qu’elle vient de lui, et ne mentionne pas l’action de Dieu alors que le texte nous a bien dit que c’est Dieu qui est l’auteur de cette différenciation, que l’humain féminin comme l’humain masculin a été tiré comme lui de l’humain par séparation : lui d’un côté, elle de l’autre. Il croit savoir alors qu’il ignore tout puisque tout s’est passé dans un sommeil. Quelle aurait dû être la parole juste ? Peut-être interroger Dieu sur ce qui vient de se passer, sur le mystère accompli, et s’adresser à cette autre maintenant devant lui ?  On le voit ainsi reprendre connaissance en gommant ce qu’il ignore, à savoir l’action divine qui a fait de la femme un être singulier, différent de lui. On le voit aussi prendre sur elle un pouvoir que Dieu avait donné à l’humain sur les animaux, le pouvoir de nommer. Ce faisant il situe la femme par rapport à lui, venant de lui et lui appartenant (mes os, ma chair).

« C’est là un geste de convoitise…qui pousse l’humain a faire comme si la femme était sienne, comme si elle était sa chose, plutôt que de lui permettre d’être autre, hors de sa maîtrise , loin de ses prises »( Idem page 80)

Si on suit Wénin dans son analyse, on comprend mieux la manière dont une lecture biblique est toujours voilée par des présupposés. On va pointer le péché de la femme en Gn 3/6 et ne pas remarquer cet autre peut-être encore plus grave et qui n’a pas même besoin d’un tentateur extérieur !

Premier péché donc mais qui est aussi celui de la femme. Celui-là aussi a été voilé et combien il est nécessaire qu’il soit  dévoilé. Le péché, ici, au féminin, est le silence. Elle ne dit rien, se laisse dire. Se laisse prendre dans ce refus d’une vraie altérité, au profit du même. Elle se laisse nommer par un autre. Ce mutisme est autant refus de dialogue que le « parler à soi même » de l’humain masculin. Il dit un péché de soumission à l’injustice dont on est victime et donc une possible complicité avec son propre malheur. La femme ici le commet : par son silence elle accrédite la parole qui fait d’elle un objet dont on parle, au lieu d’être sujet parlant.

Le texte même, à partir du verset 25,  a l’air d’entériner cette situation.( Le glébeux et sa femme Gn2/24 et 3/8 ) En effet pour parler de l’humain masculin, le texte va simplement dire l’humain (l’Adam ou le Glébeux, ou l’homme selon les traductions), comme si le masculin était simplement l’humain à lui tout seul. Simplement  et c’est bien là la faute. Au lieu d’accueillir l’altérité comme un don, le manque comme l’espace d’une vraie rencontre, l’Adam masculin va se vivre comme le sexe premier, parfait, exemplaire et le féminin comme dérivé de lui. Ceci est au fondement de toute l’anthropologie classique qui va s’élaborer à partir d’une interprétation de l’Adam au masculin.

 

 

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18 juin 2012 1 18 /06 /juin /2012 23:57

Je continue à pointer les différents composantes de l'anthropologie de la lettre encyclique Mulieris Dignitatem


Une anthropologie « révélée »

« Dis-moi quel est ton Dieu, je te dirai quel homme tu es ». Il y a bien un lien entre révélation et anthropologie. Mais à quel niveau ?

La lettre encyclique le rappelle en s’appuyant sur le Concile Vatican II : le Christ nouvel Adam « manifeste pleinement l’homme à lui-même » et tout le chapitre 1 de Gaudium et spes décline les conséquences anthropologiques de la foi chrétienne fondée sur l’homme (homo) à l’image de Dieu : être capable de Dieu et capable d’aimer ; la différence sexuelle comme expression du caractère de la communion des personnes et de la nature sociale de l’homme ; sa fragilité et division par le péché ; sa participation à la lumière de l’intelligence divine ; sa recherche et son amour du bien et du vrai ; la dignité de sa conscience morale ; la grandeur de sa liberté qui est un signe privilégié de l’image divine ; sa destination à une fin bienheureuse au-delà de l’épreuve de la mort. Ce chapitre 1 de Gaudium et spes s’achève par le numéro 22 cité plus haut intitulé, De Christo novo homine.

« Par son incarnation, il s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme  ( ipse enim, filius dei, incarnatione sua cum omni homine, quodammodo se univit)  mystère de l’homme que la révélation fait briller aux yeux des croyants. »

Tout ce chapitre 1er de GS éclaire le sens de l’existence humaine mais ne se veut pas une anthropologie particulière et encore moins une anthropologie différencié du féminin. La mention de la différenciation au n°12 est donnée comme sens du caractère social de l’humain. Cela m’amène à la question suivante : est-ce légitime, à partir du donné de la foi d’un sauveur masculin né d’une femme, vierge et mère, d’en tirer une anthropologie du masculin et du féminin ? Il fut un temps où l’on tirait de la Bible une cosmologie, ce qui, à l’époque moderne,  a introduit le conflit entre science et foi. N’est-ce pas la même dangereuse démarche qui anime cette Lettre encyclique ? Dangereuse pour les femmes et pour la crédibilité du magistère romain. Le magistère romain a renoncé à fondé bibliquement une cosmologie. Le temps n’est plus à la défense d’une création en 7 jours. L’accueil du principe de l’évolution des espèces inauguré par Darwin, commence à être reconnu. Pour ces questions relevant des sciences, le partage entre ce qui relève du comment est reconnu à la science, celle du pourquoi, de l’ordre de la foi. De même, il n’est pas possible de chercher dans la Bible une anthropologie révélée du masculin et du féminin, qui dirait de toute éternité ce qu’est une femme, ce qu’elle doit être et rester. Malheureusement la lettre encyclique relève encore de ce mode de pensée. Elle ne peut être reçue par les femmes qui luttent pour ne pas être enfermées dans des stéréotypes qui les empêchent de développer toutes leurs potentialités humaines.

 

 Gaudium et spes nous montre bien que la révélation se situe au niveau du sens de l’existence, d’une anthropologie fondamentale, homme (homo) image de Dieu, aimé et capable d’aimer, digne de respect. Cette anthropologie  dit le sens de l’existence humaine et de la destinée divine mais elle n’offre pas une anthropologie particulière, une science anthropologique révélée. Cette anthropologie particulière est à bâtir par l’expérience de tous et de toutes, chrétiens ou non.

 

Une anthropologie fondée sur une symbolique allégorique

Pour cette lettre encyclique, l’économie de la rédemption, un sauveur masculin né d’une femme,  relèverait de la révélation du plan de Dieu sur le féminin et le masculin. C’est une sotériologie qui informe une anthropologie du féminin et du masculin par une manière particulière de traiter le symbolique : une symbolique allégorisante.

Le symbole donne à penser. Il est donc légitime que dans la lettre aux Ephésiens,  l’union du Christ et de l’Eglise soit à l’image de l’union d’un homme et d’une femme. Faire de cette réalité humaine du mariage, un symbole de l’amour du Christ pour son Eglise est parfaitement juste. En écrivant cela Paul veut fonder une inégalité radicale dans le rapport Christ / Eglise  : le Christ est la tête de l’Eglise, elle est tirée de lui. Pour se faire comprendre, il utilise une réalité connue, pratiquée, acceptée  par tous dans la société qui est la sienne et que donc tous peuvent comprendre : la soumission de l’épouse au mari dans une société patriarcale. C’est une belle réussite catéchétique bien adaptée aux conditions sociales et culturelles de son temps. Nous savons qu’un symbole doit partir de réalités immédiatement lisibles pour pouvoir y lire un mystère de Dieu : la situation inégale des femmes par rapport aux hommes pouvait faire bien comprendre le rapport inégalitaire de l’Eglise par rapport au Christ. Le modèle contingent du rapport homme/femme permettrait de comprendre le modèle absolu du rapport Christ/Eglise : comme les femmes sont soumises à leur maris, l’Eglise est soumise au Christ.

L’erreur d’interprétation, c’est de faire fonctionner cette analogie en sens inverse. Le rapport Christ/Eglise, (légitime quant au rapport de subordination parce que de l'ordre de la Révélation), deviendrait le modèle du rapport homme/femme: puisque l’Eglise est soumise au Christ, les femmes devraient être soumises à leur maris. Nous avons là un bel exemple d'une « surdétermination d’origine religieuse affectant une structure sociologique contingente, lui conférant une valeur absolue que l’on retrouve encore dans la conception traditionnelle de la hiérachie familiale."

Nous avons vu que la lettre encyclique ne retient plus de ce symbole la soumission uniquement du côté de la femme. Mais elle garde le caractère féminin de l’Eglise face à la position masculine du Christ. Ici le symbole ne donne pas seulement à penser, (ce qui est légitime car nous sommes bien en tant qu’humains dans l’accueil d’un don qui nous vient du Christ), mais il devient déterminant de la vocation de la femme dans l’Eglise qui  ne pourrait pas assumer la vocation de représenter l’initiative du Christ.

Il est légitime pour parler de Dieu d’utiliser des images. Nous avons trace dans l’Evangile de leur utilisation. Pour parler de Dieu miséricordieux, Jésus emploie l’image d’un berger à la recherche de sa brebis, d’une femme à la recherche d’une pièce de monnaie, d’un père en attente de son fils. Dieu est décrit comme un berger, comme une femme, comme un père. Ici nous sommes dans l’ordre du symbole. Cela donne à penser une attitude de Dieu qui ne cesse de nous chercher et de nous attendre. Mais si nous remplaçons le terme « comme » par une identification : Dieu est un berger, est une femme, est un père, nous sommes alors dans une symbolique allégorique où il y a identification terme à terme. La lecture que fait Mulieris dignitatem du Christ époux relève de la symbolique allégorisante : identification terme à terme du Christ à l’époux, donc à l’homme( vir) et de l’Eglise à l’épouse, donc à la femme. Alors qu’en rigueur de terme la relation Epoux/Epouse donne seulement à penser une notion de fidélité amoureuse. Cette symbolique allégorisante se décline ainsi :

Christ= époux= principe masculin= les hommes concrets ;

Marie= épouse et mère= principe féminin=  les femmes concrètes. Avec cette symbolique allégorisante, le féminin et donc toutes les femmes ne peuvent qu’être dans une position seconde, réceptrice, uniquement du côté de l’humain, tandis que le principe masculin et donc tous les hommes se voient attribuer la position première, initiatrice, ayant part à la dimension divine du Christ.

Nous avons vu qu’il y a bien  rupture avec une anthropologie inégalitaire des sexes dans cette lettre encyclique. Mais l’inégalité est réintroduite dans la symbolique allégorisante du mystère de l’Eglise. Dans ce mystère, le féminin est remis à une place inégale. Comme un mystère de foi ne peut que s’incarner dans une réalité institutionnelle, le féminin ne pourrait pas représenter le Christ et ne pourrait que représenter l’Eglise. J. M Aubert a schématisé ce processus de la manière suivante :

tête      homme (vir), époux           Christ                  hiérarchie

Corps  femme     ,       épouse        Eglise                   fidèles

Le point de départ et premier niveau est un contexte social où la femme est en situation de soumission : «  Le mari est tête de sa femme. » ; le 2ème niveau est un transfert typologique de cette situation humaine au rapport de l’Eglise au Christ « comme le Christ est tête de l’Eglise ». Symbole réussi donc car pour être compris, il doit partir d’une situation humaine vécue et comprise par tous, une subordination des femmes considérée comme immuable, liée à l’ordre de la nature, donc bien adapter pour dire la relation inégalitaire de l’Eglise par rapport au Christ ; le 3ème niveau ne pouvant rester au seul plan mystique doit se réaliser dans une forme institutionnelle. Comment réaliser dans le visible de l’histoire le caractère de tête de l’Eglise qu’est le Christ ? Pour cela certains baptisés qui comme baptisés sont dans le corps du Christ doivent quitter « institutionnellement » cette posture féminine de l’Eglise pour être mis du côté de la tête qu’est le Christ, du côté du sacerdoce hiérarchique. Donc, comme au 1er niveau l’homme est chef de la femme, cette visibilité de la tête ne pourrait qu’être masculine. Cela peut se comprendre tant que le contexte de départ est réel (l’inégalité sociale de l’homme et de la femme). Que se passe-t-il quand la relation homme-femme ne signifie plus forcément un rapport inégalitaire ? A ce moment là cela n’est plus pertinent pour dire le rapport inégalitaire de l’Eglise par rapport au Christ, donc ne peut plus justifier aussi la structure institutionnelle de l’Eglise qui met uniquement le féminin du côté du corps, de l’Église, de l’épouse et donc uniquement du côté des fidèles.

« …une symbolique n’a de sens que lorsqu’elle part d’une donnée de fait comprise et acceptée par ceux auxquels elle est destinée ( sinon le symbole ne renvoie plus à rien, il est muet) à ce moment là il ne serait plus guère possible de justifier par cette antique symbolique révolue, la rigueur d’une structure institutionnelle et ses interdits. L’égalité actuellement reconnue (au moins en droit) entre l’homme et la femme demanderait à s’incarner par une similaire égalité dans l’institution  »

 

En comparant Mulieris dignitatem aux encycliques du 19ème siècle, on constate qu’elle s’oppose aux seconds sur la question de la soumission. Egalement elle s’oppose à la pensée classique concernant l’égale théromorphe chez la femme comme chez l’homme. Il y a donc des ruptures possibles dans le discours magistériel pour se libérer de discours discriminants.

Mais nous avons vu aussi qu’il reste une constante  concerne la typologie du Christ masculin face à une Eglise féminine.

Ces ruptures en légitiment d’autres et les fait espérer. Des progrès sont encore à faire.

 

Pour cela quel autre langage est possible ? A quelle condition ?  Ce sera l’objet  de la 4ème partie de mon étude

 

CONCILE VATICAN II, Constitution pastorale Gaudium et spes, L’Eglise dans le monde de ce temps , 22§ 1

Cerf, 1967

J.M AUBERT, la dignité de l’homme interpellée par la dichotomie sexuelle dans l’Eglise et la société, De dignitate hominis, mélanges offert à Carlos Josaphat Pinto de Olivivera, p 601

Idem p.602

Idem  p 604 

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3 juin 2012 7 03 /06 /juin /2012 15:28

Après avoir fait dans les articles déjà mis en ligne sur ce blog ( Mulieris Dignitatem de 1 à 8)  une analyse précise de cette encyclique, vient maintenant le temps de la synthèse. Quelle est les prises de positions anthropologiques de ce texte ?

        

Une anthropologie du féminin lié à la sexualité

Le magistère romain a cru bon d’écrire une lettre encyclique sur la femme qui a pour titre Mulieris dignitatem. Mais il n’existe pas jusqu’à présent un document similaire qui aurait pour titre Viri dignitatem. Pourquoi ? Parce que dans cette pensée, ce qui serait dit du viri, ne pourrait être que l’équivalent de l’homo. Un texte sur mulier, devant l’absence d’un texte sur vir, dit, de fait, que le masculin serait générique de l’humain, sans particularité  et que seul le féminin en comporterait, l’incluant dans l’humain tout en le mettant à part. Viri dignitatem définirait-il l’homme comme époux, père et vierge ? Non, car pour cette pensée, la sponsalité, la paternité, le célibat n’ont pas le même poids identitaire chez l’homme que chez la femme. Son identité n’est pas d’être époux d’une femme, père d’enfants, et encore moins époux du Christ dans le célibat consacré. Son identité ne se limiterait pas à cela alors que Mulieris dignitatem le fait pour la femme. Il y a donc asymétrie. Le principe de cette asymétrie est que le féminin est lié au sexuel et toujours référé au masculin. Il y a donc dans le texte même de l’encyclique  une contradiction entre l’affirmation, de la femme voulue  pour elle-même et la réduction de sa vocation à une relation d’épouse pour un mari, de mère pour des enfants (du mari ) ou d’épouse consacrée pour le Christ.

De ce fait, y-a-t il  vraiment dépassement de la raison instrumentale de la création du féminin que nous avions rencontré chez Thomas ? Si la raison du féminin et sa vocation essentielle, est d’être épouse pour un époux, en vue d’être mère, est-elle vraiment voulue pour elle-même ? N’est-elle pas voulue pour l’homme (vir) ? La lettre encyclique répète souvent que la femme a été voulue pour elle-même et pourtant ce qui est dit de sa dignité et de sa vocation est d’emblée située pour d’autres. Epouse donc femme pour un mari. Mère, donc femme pour des enfants. Ceci est renforcé par  les chapitres 1 à 3 de la Genèse interprétés dans un contexte conjugal. Tout en ne citant pas Thomas qui s’interrogeant sur la pertinence de la création de la femme, (y répondait entre autres par la nécessité de la procréation), la lettre encyclique continue de mettre l’essence de sa vocation dans la maternité.

 

Une anthropologie du féminin dans une posture uniquement de réceptivité

Le Christ est l’époux, l’Eglise est l’épouse. La position d’épouse serait la vérité sur la femme. L’époux serait celui qui aime. L’épouse serait celle qui est  aimée et qui reçoit l’amour pour aimer à son tour.  Il s’agirait d’un universel fondé sur le fait d’être femme. La femme aurait reçu mission d’être prophète de cette attitude de réceptivité de l‘amour, « être aimé »,  qui, dans la Vierge Marie trouverait son expression la plus haute.

 

1-Une vocation qui en empêche une autre

Cette vocation de la femme se résumerait à être épouse et mère dans le mariage : lié à un époux humain pour une maternité d’enfants. Ou à être épouse et mère dans la virginité : liée au Christ époux pour une maternité spirituelle. Cette vocation, propre à la femme serait un empêchement dirimant à une autre vocation, celle du ministère presbytéral qui a charge d’enseigner, de sanctifier, de gouverner les fidèles.

Ceci parce que cette vocation ne serait pas conforme à la nature de la femme, incompatible avec celle-ci. Cette incompatibilité viendrait de Dieu même qui aurait déterminé dans un plan éternel, ce qui serait la vocation de l’un et de l’autre.  Cela n’aurait donc pas d’autre justification que son origine divine ( de potestate Dei absoluta). Ce qui voudrait dire, que dans le plan de Dieu, la femme n’aurait pas vocation a enseigner, sanctifier, gouverner.

Cette impossibilité d’être en posture de gouvernement, de sanctification et d’enseignement viendrait de sa vocation qui est d’être accueil d’un don et non en posture d’initiative.

 

Ce côté dirimant de la sponsalité et de la maternité du côté féminin, n’est pas symétrique du côté masculin. Bien au contraire puisque la paternité spirituelle est considérée comme belle figure du prêtre dans l’Eglise catholique latine, et le fait d’être époux et père dans les Eglises catholiques orientales n’empêchent pas l’accès au presbytérat.

 

2-Marie réceptrice du don, figure de la femme.

Ce choix peut être interrogé de manières diverses.

D’abord, c’est d’emblée donner aux femmes la maternité comme vocation par excellence du fait de la maternité de Marie.

Ensuite, comme cette maternité est due à l’initiative divine, cela induit une dimension passive de Marie comme figure des femmes. Cela les met du côté de la réceptivité d’une action dont elles n’ont pas l’initiative.

Ceci est légitime pour l’attitude de foi comme accueil par le croyant d’une grâce qui lui vient de Dieu. Mais cela ne l’est pas pour en faire le paradigme du féminin.

Dans cette perspective, il a une convenance d’un sauveur masculin, qui lui, représenterait, parce que masculin, la dimension de l’initiative. Dans la logique de cette pensée il y a une cohérence entre masculinité du Christ et masculinité du prêtre parce que la masculinité est pensée, par essence, comme  activité et initiative.

Mais cela n’est pas recevable dans une anthropologie qui reconnait aux femmes une identique posture d’initiative.

 

Une anthropologie anhistorique

La lettre encyclique commençait en voulant tenir compte des signes de temps.  Mais à la fin de la lettre, il est bien précisé que face aux changements, il faut revenir aux fondements qui se trouveraient dans le Christ, aux vérités et aux valeurs immuables dont le Christ serait le témoin et qui seraient conforme au plan de Dieu qui aurait créé l’homme et la femme pour des vocations différentes. Ces vocations seraient inscrites dans le corps et pour la femme dans son corps fait pour la maternité.

Comme pour d’autres encycliques ayant pour thème la sexualité, le biologique (Par exemple Humanae Vitae qui ne déclare morale que la régulation des naissances qui obéit au processus naturel.) est une donnée normative, donc statique. Il y aurait un ordre de la nature qui est destin de maternité pour la femme. Cela pouvait se comprendre dans les situations historiques passés où l’espérance de vie ne dépassait guère 40 ans, où la multiplication des naissances se justifiait par une très grande mortalité.

Cela n’est plus la réalité pour une part importante de femmes dans le monde d’aujourd’hui. L’horizon vocationnel des femmes en France par exemple ne se réduit pas à être épouse et mère. Même si de grands progrès restent encore à réaliser dans de nombreux pays du monde, le  changement de mentalité, le progrès technique ont permis  un plus équitable partage des taches domestiques et d’éducation des enfants, l’investissement dans le travail professionnel, l’accession (en pratique, non sans difficultés et  sinon en théorie)  à tous les postes de responsabilités dans la société civile. La créativité des femmes n’est maintenant plus limitée à la seule maternité, elle peut ( malgré d’énorme progrès encore à réaliser dans de nombreux pays) s’épanouir dans tous les domaines du politique, de l’économique, du social, du culturel…Tous ces domaines demandent autant de qualités d’initiative que de réceptivité, ils ne se vivent pas selon le schéma de la lettre encyclique fondé sur un don au masculin et l’accueil du don au féminin (Initiative masculine et réceptivité féminine) mais selon une réciprocité où chacun donne et reçoit sans prééminence.

La réceptivité féminine ne serait alors signifiante que pour la symbolique ecclésiale ? Pourquoi  y aurait-il posture d’initiative dans ce qui est de l’ordre humain et uniquement posture de réceptivité dans le domaine ecclésial ? Il y a là contradiction. D’autant plus, que même dans la réalité de la vie de l’Eglise, de plus en plus nombreuses sont des femmes en posture d’initiative, et même assumant des « munera » d’enseignement, de sanctification et de gouvernement.

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