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15 février 2015 7 15 /02 /février /2015 14:33

tempete-apaisee-3.jpg Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc 8,22-25

 

Un jour il est arrivé ceci : il monte dans un bateau en compagnie de ses disciples et leur dit : traversons le lac jusqu’à la rive opposée. Ils embarquent. Pendant la traversée, il s’endort. Une tempête se lève sur le lac. Le bateau prend l’eau. Ils sont en danger. Ils s’approchent de lui pour le réveiller et lui disent : Maitre, maitre, nous sommes perdus ! Il se réveille et s’en prend au vent et aux vagues. Ils cessent. Le calme revient. Il leur dit : Mais où est votre foi ?

 Quel est le point commun entre l’Exode, l’Odyssée ou l’Evangile de Jésus ? A chaque fois il est question d’une traversée : traversée d’une situation de mort pour aller vers un lieu de libération. Ainsi va la vie des hommes : une inéluctable traversée. Et dans ce texte, nous n’échappons pas à cette réalité : il s’agit de passer sur la rive opposée. A cet endroit, la mer est particulièrement dangereuse et imprévisible. Les disciples auraient pu refuser et rester sur le bord, connaissant les dangers ; ou encore, devant la tempête qui s’annonce, rebrousser chemin pour retrouver le « déjà connu » d’une terre ferme… Mais voilà qu’ils se risquent à la traversée. Ils sont plutôt courageux d’oser une telle aventure ! Alors pourquoi, une fois la tempête apaisée, ce reproche de Jésus : « Mais où est votre foi ? » ? Ils viennent de frôler la mort, de risquer leur vie pour suivre leur maître et Jésus n’a pas un mot de réconfort pour eux ? Cette attitude est déroutante. Et si tout n’était qu’une question d’intonation et de regard ?

Le début du voyage se passe plutôt bien. Pas de tempête … on peut imaginer chacun à sa tâche, avec Pierre aux commandes, et l’embarcation qui  avance sans encombre sur une mer tranquille. A tel point que Jésus s’assoupit. Il quitte le monde réel. Il s’endort. Mais qu’importe si le sommeil l’arrache au temps présent, et aux bruits des vagues .Les disciples n’ont pas besoin de Sa présence. Ils savent manœuvrer ce bateau et sont remplis de certitudes. Les ordres fusent, les « il faut » se succèdent, par souci d’efficacité. Leur maître sera sûrement fier d’eux, une fois arrivés sur la rive opposée! Etrange contraste entre Jésus et ses disciples : eux s’agitent et se démènent quand Lui semble posé là, sur ce coussin, tel un livre rempli de mots bien rangés et parsemé de belles idées engourdies de sommeil !

Et puis très vite, l’aventure vire au cauchemar ! « Un tourbillon de vent tombe sur le lac » traduit Chouraqui. Plus de repères, plus de certitudes ! L’eau monte, les disciples sont engloutis par leur peur, leur angoisse devant la mort. Tous leurs « il faut » explosent sous la violence du vent … Il ne reste plus rien  que cette part d’eux-mêmes dévorée par la nuit de l’en-bas, noyée dans l’ombre d’un néant où rien ne semble tenir. Ceux qui en ont fait l’expérience le savent, les mots, à cet instant, sont de trop. Et pourtant, au bord du gouffre, un indestructible désir de vie transperce les ténèbres ; nul demande de miracle, nulle prière devant l’imminence de leur mort, mais trois mots criants de vérité : « Nous sommes perdus ! »… Un cri capable de réveiller, de ressusciter, ce  livre  qui était là, posé,  dans un coin de leur vie. Un cri capable de transformer tous ces mots bien rangés en Parole d’éternité. Une Parole qui les précède et se fait Présence jusqu’ aux confins de leur désolation. Un cri capable de toucher en eux ce point d’infinie tendresse, où  le vent se tait et les vagues s’apaisent. Les disciples se sont donc enfin mouillés : ils sont descendus pour de vrai, au creux de leur humanité,  acceptant d’être enfin ce qu’ils sont …  des hommes, solidaires les uns des autres en ce lieu de détresse.

«  Mais où est votre foi ? » Et s’il ne s’agissait pas d’un reproche de la part de Jésus mais d’une simple question dont l’urgence soulignerait la gravité de la situation ? « Où est votre foi ? » C’est-à-dire «  Quel est le lieu de votre foi dans cette traversée impitoyable de la vie? » Quand la peur, la haine, la honte nous submergent, quand il est question de trancher entre la vie et la mort, quand la tempête s’invite  à ce long voyage, quel est le lieu de notre foi ? Force est de constater que nos croyances, nos convenances, nos suffisances se trouvent bien vite balayées !

Seule reste l’expérience que viennent de vivre les disciples : là, au fond, tout au fond de leur détresse, se tenait un visage de tendresse qui les autorisait à habiter en vérité ce qui faisait leur humanité, dans ce qu’elle a de plus beau mais aussi de plus terrifiant, sans craindre d’être défaits, anéantis. Rassurés, les disciples s’étaient alors risqués à accueillir en eux, le souffle d’un murmure, bien plus fort que le vent. Il est peut-être là, le lieu de notre foi, au commencement de nous-mêmes, un lieu de grande faim, faim de tendresse, faim de vérité,  qui nous oblige sans cesse à creuser et  à avancer, comme les disciples,  jusqu’à la rive opposée.

Katrin Agafia

 

 

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