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10 juillet 2014 4 10 /07 /juillet /2014 22:17

J’ai eu un coup de cœur en lisant cet article

C’est pourquoi, je vous partage cet article de Témoignage chrétien.

http://temoignagechretien.fr/articles/culture/olivier-py-le-theatre-comme-recherche-spirituelle

 

Olivier Py, le théâtre comme recherche spirituelle

Jean-Pierre Han

4 Juillet 2014

Le nouveau directeur du festival d’Avignon, par-delà l’écume et les polémiques de l’actualité politique et culturelle, revient sur sa quête d’une dangereuse aventure spirituelle qu’il assimile volontiers à celle d’une quête poétique.

 

TC : Votre pièce Jeunesse (2003) commence avec cette affirmation : « C’est de cette fenêtre que je te regarde, ô humanité… » Dans Les Enfants de Saturne (2007), un certain Monsieur Loyal (votre double ?) précise : « Si vous voulez voir le monde qui meurt, vous êtes aux premières loges. » Voilà qui situe d’emblée le rôle que vous vous assignez…

 

Olivier Py : Comme homme de théâtre. Avec mon histoire, celle d’un homme qui, n’ayant pas été un saint et ayant désespéré de la politique, a trouvé que le sens ne pouvait se faire que par le théâtre…

 

TC : Revenons à votre déclaration contre le Front national entre les deux tours des élections municipales. Votre prise de position, pour peu que l’on vous connaisse un peu, n’avait vraiment rien d’étonnant…

 

OP : Si, il y avait quelque chose d’étonnant, c’est qu’Avignon, c’est toute ma vie, c’est le grand amour de ma vie, mon destin. Arriver à prononcer rapidement que je partirais au cas où le Front national gagnerait les élections, ce n’était ni un coup de gueule ni de la désinvolture, c’était un geste grave. Mon histoire personnelle n’est pas très importante. Ce qui est important, c’est que tout cela a permis de redéfinir le Festival. Le Festival, ce n’est pas la Cour d’honneur du Palais des papes, c’est un lieu où les idées ont la parole.

On m’a parfois dit que j’étais un lâche, d’autres fois que j’avais du courage ; la vérité c’est qu’en fait, je n’avais absolument aucun choix, et aucun cas de conscience.

 

TC : Je voulais souligner le fait que vous avez toujours eu une attitude citoyenne, au cœur des affaires de notre monde. Vous avez, par exemple lors du conflit en ex-Yougoslavie, à propos de la Bosnie, fait la grève de la faim avec Ariane Mnouchkine et François Tanguy. Vous n’avez pas hésité à fustiger maintes fois l’attitude de l’Église concernant certains problèmes, vous qui êtes croyant.

 

OP : C’est vrai, mais j’ai toujours été suspect parce que catholique… de gauche ! Beaucoup de gens ne veulent pas comprendre ce que cela veut dire qu’être un homme engagé et être catholique. Je suis resté un homme libre. Je suis de gauche, mais quand la gauche a raison ! (rires)

Par rapport à mes critiques concernant certaines positions de l’Église, je ne suis pas sûr, là aussi, d’avoir vraiment eu le choix. J’ai réussi à tenir cette position sans contradiction avec moi-même : être homosexuel, défendre le « mariage pour tous », défendre la laïcité, tout cela est compatible avec ma foi, ma recherche théologique, ma mystique et ma religion. Je n’ai d’ailleurs pas été seul dans ce combat-là. Quand des questions de ce type se posent, on n’est jamais seul. Entre la foi et le monde, je rencontre des religieux qui m’aident.

 

TC : On trouve l’écho de ces débats dans votre œuvre…

 

OP : Oui, bien sûr. Mais pour continuer sur la question récente du « mariage pour tous », on m’a beaucoup dit que je devais souffrir de ce qui s’est passé en France durant l’année écoulée. En tant qu’homosexuel, un peu ; en tant que catholique, beaucoup ; je n’en peux plus de voir Christine Boutin représenter le message chrétien, alors que manifestement elle ne l’a pas beaucoup interrogé !

 

TC : Par rapport à l’Église, votre homosexualité vous met-elle mal à l’aise ?

 

OP : Très mal à l’aise ! L’Église, ce n’est pas que le catéchisme ou le Vatican ! Ce sont aussi des hommes et des femmes religieux que je rencontre et avec lesquels je peux établir un dialogue. L’Église, pour moi, reste une réalité. Il y a des contradictions, mais c’est normal.

 

TC : Dans Les Vainqueurs que vous avez présenté au festival d’Avignon en 2005, vous faites dire par un des personnages : « Voici peut-être la seule véritable réfutation du christianisme. C’est l’homme qui est le logos, c’est sa joie d’être, cette joie absolument libre qui est l’esprit. Dieu n’est que le mot prononcé pour supporter notre inachèvement, nous sommes ce qu’il faut être et parfaitement et il ne faut à ma vie rien retrancher et rien ajouter, elle est un drame admirablement équilibré, on n’imagine rien de plus beau que d’être immortel ! »

 

OP : Alors là, c’est Nietzsche ! Ce n’est qu’une part de moi qui dit cela. On écrit du théâtre, je crois, parce qu’on est irrésolu : on fait dialoguer sur scène tout ce qui dialogue dans notre propre âme. Cette part de l’âme qui est en moi, celle que j’appelle le poète, c’est la part du paganisme chantant.

Une part de l’âme qui enfonce le clou en ajoutant que « la théologie s’épuise où l’esthétique commence » !

Il y a une tentation de ne rien désirer d’autre que la vie. Et puis, tout cela est bien plus complexe que cela en a l’air, car au bout de neuf heures de spectacle (c’était la durée de la représentation !), comme dans la vie, et très laborieusement, il doit y avoir une synthèse qui s’exprime dans un christianisme qui n’est plus seulement métaphysique.

C’est comme un christianisme ontologique. C’est peut-être l’endroit où j’essaye de me tenir, même si ce n’est pas toujours facile. Le paradis, l’enfer, la métaphysique, l’eschatologie, je ne suis pas sûr, finalement, que cela m’intéresse tant que cela ! En revanche, savoir si je suis là, si je suis au présent, si l’être en face de moi, c’est le Christ… cela me semble être de bonnes questions.

C’est la raison pour laquelle il y a encore du théâtre pour moi. Je ne me compare pas à Paul Claudel, mais c’est vrai qu’à un moment donné, il s’est arrêté. Probablement parce que cela ne dialoguait plus en lui.
 

TC : « Être au présent », disiez-vous à l’instant. Il y a un autre présent qui vous travaille, c’est votre rapport avec les pays du Proche-Orient, de la Palestine, notamment.

 

OP : Avec le monde arabe en général. Je me sens une sorte de double dette vis-à-vis du monde arabe et vis-à-vis de l’Allemagne. Une double dette vis-à-vis de la Méditerranée et vis-à-vis du Rhin. Je me demande toujours, jusqu’à l’obsession, ce que c’est que la Méditerranée, et ce que c’est que le Rhin ! Avec la Méditerranée (1), c’est comme une histoire d’amour. La Méditerranée, jusqu’à la Palestine. La question palestinienne est effectivement toujours très présente. J’ai compris avec Mahmoud Darwich que la Palestine est une métaphore. Une métaphore qui me définit assez bien.

La Palestine n’est pas nationale. Le Palestinien connaît le même sort que l’artiste : il est à la fois errant et, en même temps, il n’a pas le droit de partir. Il est sans passeport. Cette question est « belle » et encore très vivace… C’est dans de tels lieux que l’on arrive à comprendre le monde.

À Avignon, le meilleur lieu d’observation se trouve dans les quartiers de Monclar. Là, on n’est plus devant un écran de télévision, on surmonte le protocole compassionnel, la culpabilité, on se retrouve face à des idées et à des êtres. Je pense que c’est la meilleure manière de faire de la politique.

 

TC : Concernant la Palestine où vous êtes allé, il y a un peu plus d’une dizaine d’années, vous nous disiez, lors d’un entretien que nous avions eu alors, que « ce pays est un pays d’épouvante, c’est un enfer. Le paysage est totalement dénaturé, la terre biblique est recouverte par la guerre. La souffrance du peuple palestinien est incommensurable. En parcourant physiquement le pays, on comprend pas mal de choses. D’abord, que les Territoires occupés portent bien leur nom : ils sont réellement occupés. Le grand Israël est territorialement réalisé. Mais la question n’est pas territoriale, elle est démographique ».

 

OP : Le problème que rencontre Israël aujourd’hui, c’est celui que l’on appelle la « guerre des berceaux », c’est le problème démographique. Cela va être de plus en plus difficile pour que cet État soit à la fois juif et démocratique. Le problème s’est encore intensifié ces dernières années, après qu’une porte ait été entrouverte avec les accords d’Oslo, et qu’elle ait été très vite refermée. Pour la petite histoire, je signale que nous recevons une compagnie de Tel Aviv cette année au Festival.

 

TC : Dans le même entretien, vous ajoutiez que « tout cela, pour moi, reste une plaie ouverte. Je ne suis pas un spécialiste des grandes causes, mais je considère l’amour que je porte à certains pays ou la compassion que j’ai pour la douleur de certains peuples comme une affaire de personne à personne. Ce qui se passe en Palestine est emblématique de ce qui se passe dans le monde mais, en plus, ça se passe sur cette terre-là. Même prononcer le nom de Palestine est en soi interdit… On s’ingénie vraiment à éliminer jusqu’à ce nom ».

 

OP : Il y a eu effectivement une volonté de détruire le nom même de Palestine. C’est là une forme de colonisation assez originale. Faire disparaître le nom, tout comme le paysage qui est désormais recouvert d’autoroutes et de plantations d’épicéas. Ce que je n’ai pas assez dit, c’est à quel point tout cela m’est douloureux parce que je suis ­profondément philosémite. Notamment à cause de mon aventure avec la Bible.

Je pense qu’être juif est une métaphore de l’humanité. Il y a ensuite l’amour que j’ai pu avoir pour Emmanuel Levinas, pour Jabès, et qui m’a fait me sentir profondément juif.

Ce qui est important, c’est que je revendique une certaine subjectivité dans mes engagements. Je n’ai pas combattu sur tous les fronts : j’en suis bien incapable. Il s’est simplement trouvé que j’ai parfois eu une place particulière. Être engagé, c’est être engagé là où l’on est, mais je ne suis en aucun cas un « engagé » professionnel !

 

TC : Tout ce que vous énoncez se retrouve dans la programmation du festival d’Avignon, sur son développement, et surtout dans la volonté de faire circuler la pensée.

 

OP : Effectivement, car le Festival n’est pas la vitrine des élégances spectaculaires. C’est une manière de penser le monde, le présent, l’engagement, l’indi­vidu, la collectivité. Mais c’est une manière de penser qui est différente de celle de l’Université.

 

TC : Vous dites avoir invité une compagnie théâtrale de Tel Aviv. Y aura-t-il aussi des spectacles arabes ?

 

OP : C’est la question du Sud qui est posée, que ce soit avec les Grecs ou les Arabes. C’est la Méditerranée qui est présente, parce que la question de l’axe Nord-Sud me paraît éminemment politique. Avignon, ce sont toutes les Méditerranées réunies, c’est le croisement de toutes. Et c’est bien pour cela que je m’y sens bien. Il y a, dès cette année, effectivement, des spectacles arabes.

 

TC : Vous semblez avoir une prédilection pour les tragiques grecs, dont vous avez mis en scène de nombreuses œuvres.

 

OP : Eschyle m’a donné des cours de rattrapage politique ! Mais j’ai également eu des cours de rattrapage politique avec Claudel, notamment dans la dernière partie du Soulier de Satin [qu’Olivier Py a intégralement mis en scène en 2003, NDLR].

Il y a là une méditation extrêmement importante sur la forme du monde, la globalisation, le transnational que je n’ai jamais trouvée ailleurs, avec une telle puissance. Claudel, en tant que poète et en tant que diplomate, voulait abattre les frontières.

J’aimerais bien refaire l’Orestie, refaire tout Eschyle. La trilogie – composée des Suppliantes, des Sept contre Thèbes et des Perses – que j’avais créée lorsque je dirigeais le théâtre de l’Odéon était l’exemple-type, pour moi, d’un théâtre populaire de forme très simple où tout repose sur les acteurs, dans une grande proximité avec le public. Je compte bien pouvoir présenter ce genre de spectacles dans le Festival décentralisé.

 

TC : Vous avez adapté l’Orestie d’Eschyle. Il n’y a guère d’écritures que vous n’ayez abordées…

 

OP : J’ai même écrit beaucoup de petites tribunes ici et là. Lorsque je suis remonté par quelque événement, cela m’aide de rester deux heures dans un bistrot à mettre mes idées au net sur un papier. Quant à l’écriture poétique qui, chez moi, est plutôt une écriture dramatique, elle est mon centre vital. Je peux renoncer à tout, sauf à ça. Je puis dire que je fais tout le reste avec une certaine facilité par rapport à l’engagement poétique.

Il y a deux choses que je fais pour moi, toujours avec une certaine cohérence, c’est écrire et chanter, deux choses auxquelles je ne pourrais jamais renoncer. Parce que ça, c’est vraiment difficile. On m’a dit, lorsque je suis intervenu en tant que directeur du Festival, entre les deux tours des municipales, que je prenais des risques.

Pour moi, ce ne sont pas des risques comparé à ceux de l’artiste lorsqu’il entre en scène, ou aux risques spirituels de l’écriture. Vraiment. Entrer en scène me semble toujours être de l’ordre de l’impossible.

La question du chant – par-delà le seul problème vocal – est une question centrale. Toutes les pièces pourraient s’appeler ainsi : qu’appelle-t-on chanter ? À partir de quel moment a-t-on conscience du continuum de sa présence au monde qui permet d’accéder au chant ? Chanter, trouver le chant, est hautement spirituel. J’ai un chant intérieur dont mon écriture témoigne, imparfaitement, maladroitement et de manière inquiète. Je ne suis pas un écrivain, je suis un poète.

Au cœur du geste d’écriture, il doit y avoir une joie. On peut écrire sans la joie, mais ce n’est pas mon chemin. Je n’ai pas choisi, personne ne choisit. Pour le chant, c’est identique. La prière, le chant, l’écriture poétique… il faut seulement être là. La recherche est la même.

Entrer en scène est de l’ordre du sacrifice. Les acteurs qui n’ont jamais ressenti cela, qui n’ont pas été à l’endroit du danger, qui est aussi l’endroit de la plus haute jouissance, passent à côté de ce qui fait leur spécificité et leur grandeur. Malheureusement pour l’homme (ou la femme) en scène, la jouissance est très fugace, alors il vit dans la nostalgie de cet instant de joie qu’il a peut-être atteint à un moment donné, qu’il rêve de retrouver sans en être certain… cela s’appelle le « trac ». Une notion sur laquelle on n’a pas assez médité.

Mais il faut en passer par un moment d’angoisse, avant d’être hors de soi, dans une forme d’extase. Or qui peut mener l’acteur à cet état, sinon le poète ? Et certainement pas le metteur en scène, qui n’est pas l’ami de l’acteur, mais son rival. Ma position, en tant que metteur en scène, c’est de jalouser la jouissance de l’acteur.

 

TC : En fait, vous êtes profondément acteur !

 

OP : Sans aucun doute. Mais, en même temps, le metteur en scène est un libérateur. Particulièrement avec les jeunes acteurs. Les plus âgés, eux, m’ont appris que cette aventure-là était strictement spirituelle, et que tout le reste que l’on peut appeler « art dramatique » n’avait pas grand intérêt.

J’essaye, avec les jeunes acteurs, de leur faire prendre conscience de l’extraordinaire aventure spirituelle qui est le jeu, une aventure qui ne ressemble à aucune autre, qui se situe à un niveau archaïque tout en étant toujours nouvelle et unique.

Ce sont des hommes comme Bruno Sermonne, mort à l’automne, ou comme Philippe Girard, qui m’ont fait prendre conscience du danger de l’aventure spirituelle, un danger absolu. Et il n’est pas question d’aller à un autre endroit que le danger. On va sur scène pour se perdre, pour mourir et renaître. Pas seulement pour mourir, ce serait trop narcissique !

 

TC : Encore faut-il, pour mener à bien cette aventure spirituelle, être bien entouré !

 

OP : Il y a nécessité d’une entraide profonde. Je pense même qu’il peut y avoir des spectacles qui fonctionnent parce qu’il y a une sorte d’entraide du plateau contre le metteur en scène ! Ce n’est pas grave, l’important, c’est que tous soient ensemble, et qu’ils reconstituent une sorte de paradis politique qui s’appelle la troupe. J’ai connu un tel paradis avec La Servante où nous étions trente ! L’agapè, l’amour politique : nous étions tous les uns pour les autres. C’est le poète qui fédère, plus que le metteur en scène. On reconnaît la force d’un poète dramatique à sa capacité à fédérer une troupe.

 

TC : Revenons à la joie de l’acteur sur le plateau : elle est un champ d’expérience spirituel et cela rejoint la croyance…

 

OP : Le spirituel croise le religieux. Une sorte de dynamique se créée ainsi. Rien n’est résolu, rien n’est clos. Ni la foi, ni l’amour de l’art, ni le théâtre… J’ai finalement eu une grande chance dans cette vie qui est la mienne : je fais exactement ce que je veux faire, à l’endroit exact où je voulais être… ça m’oblige à rendre grâce !
 

(1) Olivier Py a réalisé un moyen-métrage de fiction intitulé Méditerranées (2010, 32mn).

                                                                                            

Olivier Py : À un peu moins de 50 ans, son itinéraire artistique est d’une foisonnante richesse. À la fois acteur, chanteur, metteur en scène, dramatur­ge, romancier, cinéaste, chef de troupe, il a fait des études de philosophie et de théologie avant d’intégrer le CNSAD. Il a dirigé le CDN d’Orléans, puis le théâtre national de l’Odéon, avant d’être nommé en 2013 directeur du festival d’Avignon.

 

 

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