Les images qu’on se fait de Dieu, peuvent être des obstacles à une vie chrétienne libre, joyeuse, et agissante.
Un des obstacles est la peur. Peur d’un Dieu qui demanderait forcément des choses à l’opposé de leurs désirs. Donc on reste à distance pour ne pas entrer dans cette opposition.
Cette image est fausse. Dieu est au contraire celui qui nous aide à découvrir et réaliser nos vrais désirs.
C’est cela que j’ai découvert en faisant les Exercices spirituels de St Ignace de Loyola : cette expérience m’a permis de libérer mon désir profond.
Ensuite, je n’ai pas cessé d’aider les gens que j’accompagne dans des retraites ou dans la vie, à découvrir cela.
La volonté de Dieu n’est pas à chercher en dehors de soi. Comme si Dieu aurait écrit dans un grand livre ce que je dois faire. C’est terrible cette image, car comment découvrir ce qui y serait écrit ?
Mais aussi quelle image de Dieu cela véhicule ! : Un tyran qui décide à notre place.
Non, une véritable expérience de Dieu doit nous aider à aller au plus profond de nous pour découvrir ce qui nous fera le plus vivre à plein, libèrera les désirs les plus profonds, les plus humains, les plus vivants qui vont nous permettre de bâtir notre vie.
Ce n’est donc pas un conflit entre notre désir et le désir de Dieu mais la recherche du désir de Dieu au plus profond, au plus fort et au plus vivant de notre désir.
Je suis née en dehors du christianisme. La foi, je ne l’ai pas bu avec le lait du biberon ! La foi, il a fallu dès le début que je la reprenne à mon compte, que je l’approprie avec des mots qui pouvait me parler. Donc dès le début, il y a eu toujours des questions, des recherches. Rien n’était évident, rien n’était acquis.
Cela me donne une sensibilité à l’incroyance, une proximité avec les incroyants, une compréhension de la raison de l’incroyance, car le dialogue passe à l’intérieur de moi. Je cherche sans me lasser une manière de dire la foi qui soit crédible pour moi et donc pour d’autres. Cela me rend sensible aux manières d’en parler que je ne prends pas pour argent comptant mais que je soumets à examen, un exercice de pensée.
Cela je le fais au quotidien de ma vie de religieuse, de mon travail d’accompagnatrice spirituelle, d’animatrice de retraite, et de blogueuse aussi.
Nous sommes devant un défi énorme.
Pour ce travail, nous avons déjà de bonnes ressources. En ce qui me concerne, parmi celles qui m’inspirent, il y a Bonhoeffer, Tillich.
Tillich a fait le constat que message n’est pas compris, que le fossé s’élargit de plus en plus entre la théologie et la pensée des gens qui vivent dans un monde placé sous le signe de la science.
Il s’est demandé : D’où vient ce divorce entre le message chrétien et la pensée moderne ? Et il se montre sévère pour les Eglises chrétiennes peinant à trouver un langage adapté à l’homme moderne. Tillich a su nous ouvrir le chemin en nous demandant de partir de l’homme et des ses questions d’aujourd’hui, confiant dans ses intuitions, pour indiquer un Dieu qui lui parle de sa vie.
Plus près de nous il faut citer Moltmann et du côté catholique, d’autres auteurs sont de bons guides : Segundo : Qu’est-ce qu’un dogme ? Un livre superbe qui donne d’excellentes clés d’interprétation de la Bible et fait du ménage dans l’accumulation de la pensée catholique. Et aussi Joseph Moingt.
Le fossé entre le message chrétien et la pensée moderne, porte aussi sur l’anthropologie du féminin et du masculin. La pensée catholique, mais aussi certains courants fondamentalistes du protestantisme, continuent de véhiculer des images obsolètes, conservatrices, aliénantes pour les femmes. Des théologiennes parmi bien d’autres et comme par exemple Jonhson et Schneiders ont relevé le défi sur ces questions.
Donc, déjà beaucoup de théologiens ont su relever ces défis et travailler à combler le divorce entre foi chrétienne et monde moderne.
Mais il reste encore beaucoup à faire et surtout comment cela a-t-il rejoint le terrain des paroisses, des homélies, des catéchismes, des mentalités… ? Quand je fais attention à ce qui est véhiculé dans la liturgie, ce qui est dit dans des sermons, écrit dans des catéchismes…cela permet de voir l’ampleur du travail à faire !
* Quand cessera-t-on définitivement de penser que la Bible « est » la Parole de Dieu de manière fondamentaliste ? Alors qu’elle est une parole d’hommes marquée par leurs limites, leurs préjugés, leurs intérêts. Et à ces hommes, Dieu essaie avec patience d’insuffler une conversion : conversion de toutes ces fausses images qu’ils se font de Lui … Lente, patiente pédagogie. Le passage de la mer rouge, par exemple, n’est pas l’acte d’un dieu qui ferait périr des soldats égyptiens mais, sous la forme de ce récit, la conscience qu’Israël a eu d’un Dieu qui dit non à l’esclavage.
*Quand cessera-t-on définitivement d’instrumentaliser la Bible pour justifier des conceptions qui enferment dans des schémas intouchables ? Par exemple : « Homme et femme, il les créa », n’est pas le sceau d’une volonté de Dieu qui instituerait le mariage, mais le signe du respect et la raison de toute différence dont le féminin et le masculin sont le paradigme.
Ou encore, le choix des évangiles de relater la présence de 12 apôtres masculins n’indique pas une détermination du Christ à exclure les femmes des ministères, mais renvoie à la conscience de la première communauté chrétienne d’être le nouvel Israël.
*Quand cessera-t-on définitivement de penser la croix du Christ comme le prix à payer pour que Dieu pardonne ? Il s’agit au contraire de saisir à quel point les actes du Christ, ses paroles, ses décisions ont été et sont, encore aujourd’hui, libérateurs, provoquant la mise en danger de toute forme de totalitarisme, fut-il religieux. Alors la croix n’est pas le prix à payer mais l’aboutissement d’un chemin de liberté.
Quand cessera-t-on…
Au travail mais en sortant des lieux dormant pour aller vers ce qui nait, cherche à vivre et à espérer.
Par ailleurs, le langage peut être juste mais il est inopérant.
On ne perçoit pas les conséquences psychologiques et sociales des fondamentaux de la foi On ne fait pas le lien entre ce que dit la foi et des réalités humaines.
Encore aujourd’hui :
*Pour parler d’un décès : « Dieu a rappelé à lui… » Alors, comme cela, Dieu décide la mort des gens ? Il laisse en vie certains et fait mourir d’autres ? Mort dans un accident…Dieu a rappelé à lui ? Je sais bien qu’on peut interpréter autrement cette phrase mais évitons les phrases ambigües qui induisent des fausses images de Dieu. Cherchons d’autre manière comme : Dieu l’a accueilli dans son amour.
*Dans une prière de début de repas : « Donne du pain à ceux qui n’en ont pas ». Prière qui se défausse sur Dieu de ce qui relève de notre responsabilité.
Dieu n’est pas un distributeur. Cela est plus digne de Dieu de dire : « Tu veux un monde juste où tous auront du pain. Aide-nous à être artisan de ton désir. »
A chaque fois, la question à se poser, l’acte de penser à faire est : dire cela, quelle conséquence cela a ? Quelle image de Dieu cela induit ?
*Dans certains pays le rituel de sépulture se fait par crainte des morts. Si le rituel est négligé, le mort viendra hanter les vivants pour leur faire du mal. Si ces régions ont été touchées par le christianisme, comment se fait-il que la foi en la résurrection ne vienne pas guérir de cette crainte ? Les morts sont dans l’amour de Dieu donc ne peuvent nous vouloir que du bien. Ce fondamental de la foi est inopérant socialement.
Et dès le début du christianisme :
*Comment se fait-il que le christianisme n’ait pas rejeté l’esclavage et comment se fait-il que des milieux marqués par le christianisme aient justifié la supériorité d’une race sur d’autres, le racisme et le sexisme ?
« Dieu fit l’humain à son image et à sa ressemblance, masculin et féminin, il les fit » aurait du être le contrepoison suffisant pour éradiquer ces injustices : puisqu’il est à l’image de Dieu, aucun humain ne peut appartenir à un autre, aucun humain n’est moins humain qu’un autre, aucun sexe n’est supérieur à l’autre. Ce verset a donc été inopérant socialement.
Il a pu l’être chez certains êtres d’exception qui ont pu faire le lien entre une donnée de la foi et une réalité humaine mais ce la n’a pas touché une société entière.
Comment comprendre cette inopérance ?
La raison de cette inopérance est à situer dès le début du christianisme. L’on sait que face aux oppositions rencontrées, les 1ères communautés ont voulu faire profil bas, se couler dans les mœurs de la société en ne remettant pas en cause l’esclavage et le statut inférieur des femmes par exemple. Mais il me semble qu’il y a une raison plus profonde encore qu’on trouve dès le discours de Pierre à la Pentecôte.
En disant : vous serez baptisé et vous serez sauvé-es, Pierre instaure une religion de salut qui fonde la foi sur la vie éternelle et ne la fonde pas sur la construction d’un royaume de justice et de paix pour l’aujourd’hui du monde. Il y a ici la perte de la dimension historique du christianisme perte de sa figure de transformation du monde pour la reléguer uniquement dans le salut individuel après la mort.
Jusqu’à récemment dans l’histoire de nos églises, c’est cette position de Pierre qui a prévalu. J’en veux pour preuve que c’est bien cette question du salut qui nous a valu l’opposition catholique-protestant : sauver par la grâce ou par les œuvres ?
L’émergence d’une autre manière de faire Eglise passe par l’émergence de nouveaux langages de la foi irrigant de nouvelles pratiques.
C’est ce que fait, parmi d’autres, le site temoins.com qui nous réunit aujourd’hui. Avec lequel, la catholique que je suis se sent en parfaite connivence.
D’ailleurs pour moi, nos anciennes divergences n’ont plus lieu d’être. Ce qui fait notre unité c’est de chercher en quoi, comment le Christ est chemin de bonheur pour nos contemporains et d’en vivre pour pouvoir le partager, pour construire des sociétés humanisées et humanisantes.
Cette intervention a été faite lors de la rencontre du 11 novembre organisée par le site témoins.com : http://www.temoins.com